Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 19 juillet 2011

Serpico - Sidney Lumet (1973)


Policier intègre, Serpico lutte contre la corruption généralisée au sein de la police new-yorkaise. Détesté de tous, collègues comme supérieurs, il ne pourra compter que sur lui-même pour mener à bien sa croisade pour la justice.

Au début des années 70, la ville de New York est financièrement au bord du gouffre. Le malaise est tel qu’une grève des éboueurs pour salaires non versés entraînera une insalubrité dangereuse dans les quartiers les plus défavorisés et causera des violences des minorités révoltées par cet abandon. Paradoxalement, la ville sortira de cette impasse en ouvrant ses rues aux studios de cinéma qui des drames comme Macadam Cow-boy au polar tel ce Serpico diffuseront à travers le monde cette imagerie sordide et menaçante. Dans ce contexte où les instances s’avèrent si démunies, être policier n’est pas chose aisée face à une criminalité galopante et les tentations sont grandes. S’il ne la justifie pas, ce cadre délétère explique en tout cas le basculement de certains vers la corruption désormais vue comme une chose naturelle. Quelle place alors pour un flic réellement vertueux et propre ?

C’est la grande question du film de Lumet qui adaptait là le roman de Peter Maas inspiré du réel destin de Frank Serpico ici incarné par Al Pacino. On accompagne ainsi le lent désenchantement d’un jeune flic idéaliste qui va constater à quel point la gangrène de la corruption ronge la police. Dénué de vraie intrigue linéaire, le récit accompagne Serpico à différents moments de sa carrière et de sa désillusion croissante sur son métier, ses collègues et ses dirigeants. Lumet articule cette faillite de la police de manière croissante selon les fonctions qu’occupe Serpico. Encore jeune policier en uniforme idéaliste, Serpico se confronte à des confrères blasés (« ce n’est pas notre secteur » lancé par son coéquipier lors d’un appel pour une tentative de viol) et guère motivé par la défense du citoyen. Après une arrestation courageusement tentée en solitaire, il se voit ainsi voler le crédit de son action par ceux même ayant refusé de l’aider sous prétexte hiérarchique.

Cette marginalisation progressive va bientôt se manifester de manière plus concrète dans la tenue vestimentaire. Alors que même les officiers les plus « borderline » comme l’Inspecteur Harry affiche toujours un impeccable veston de ville (et ainsi repérable des lieues en amont par les criminels), Serpico révolutionne l’image du flic au cinéma avec un Al Pacino à la chevelure hirsute, barbe foisonnante et fripes évoquant plus la communauté hippie de Greenwich Village. La télévision surtout saura s’en souvenir puisque des séries aux héros classiques comme Les Rues de San Francisco vont bientôt laisser place au Robert Blake, roi du déguisement de Barreta ou du duo décontracté de Starsky & Hutch.

Cet aspect très voyant en cache un bien plus problématique. Serpico dans sa droiture morale est un homme souhaitant s’élever l’esprit, se cultiver. Dès lors, face aux conversations terre à terre et à la bêtise crasse des autres flics, on comprend qu’il ne sera jamais l’un des leurs. Le film dresse un constat très pessimiste, Serpico se confrontant au corporatisme en plus haut lieu et voyant l’étau se resserrer sur lui. On passe en effet du repas gratuit offert à une collecte savamment organisée et aux montants de plus en plus élevés selon les quartiers et unités. Le style urbain et sur le vif adopté par Lumet s’alterne ainsi avec des moments plus intimistes où Serpico désespère de sa condition.

Devenue une menace pour ses collègues mais aussi ses dirigeants dont il dénonce l’immobilisme, Serpico est un héros en sursis comme le montrera la boucle que forme l’ouverture et la conclusion d’une noirceur sans appel. Lumet signait là une de ses grandes réussites, bien aidé par la prestation habitée de Pacino. Ce n’est pourtant que le premier édifice d’une entreprise qui révélera toute son ambition avec Le Prince de New York (1981)puis Contre-Enquête (1990) dans ce qui est la grande trilogie policière (auquel on peut ajouter en sortant du polar le méconnu Dans l'ombre de Manhattan) consacrée à la corruption au centre de la filmographie du regretté Sidney Lumet qui nous a quitté récemment.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal


6 commentaires:

  1. A noter que Lumet a en réalité réalisé quatre, et non pas trois, films traitant de la corruption policière, le quatrième étant le plus méconnu et pourtant très joli Dans l'ombre de Manhattan, qui échange la moiteur et la rudesse bitume contre l'atmosphère feutrée et étouffante d'un petit tribunal new-yorkais, faisant ainsi le pont avec son autre genre et thème de prédilection, le drame judiciaire.

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  2. Ah oui effectivement je ne l'ait pas vu celui-ci d'ailleurs une lacune à combler merci ! C'est vrai que je me suis arrêté au polar quand je disais cela pour reste dans la lignée de "Serpico". D'ailleurs hormis les plus connus "Le Verdict" et "Douze hommes en colère" j'aime beaucoup en drame judiciaire l'excellent "Jugez moi coupable" son avant-dernier film. Viin Diesel y était étonnant et très drôle...

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  3. J'aime beaucoup ce film également, celui-ci devrait donc logiquement te plaire puisqu'ils ne sont pas très éloignés au final. Vivement la petite critique en ces lieux en tout cas. :)

    Ce qui me plait tant chez ses films généralement considérés comme "mineurs", c'est cette chaleur humaine toute particulière qui s'en dégage, cet amour avec lequel il filme les rues de NY, ces ambiances feutrées et jazzy, cette mise en scène discrète mais toujours très classe qui complimente la qualité et la justesse des dialogues... et surtout, cette capacité, cette facilité qu'a (avait...) Lumet à passionner avec des sujets pourtant peu bandants sur le papier, sans jamais tomber dans le didactisme ennuyeux. Il avait aussi entre ces deux films créé, écrit et réalisé pour une excellente série judiciaire sur le câble américain, 100 Centre Street, où on retrouve tout cela avec plaisir (je me souviens de certaines séquences de transition où la caméra traverse la ville, enfermée dans un taxi la nuit tombée ou dans le métro aérien alors que la pluie tombe dehors, le tout sur du jazz terriblement mélancolique, des séquences de 30 secondes qui donnaient l'impression de durer une éternité, rarement un réalisateur aura aussi bien capturé cette sensation de spleen urbain à mes yeux). Une partie vraiment riche et intéressante de sa filmo qui reste pourtant malheureusement méconnue, tout du moins par chez nous.

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  4. Ca donne envie tout ça ! Ce que j'adore avec Lumet c'est que si on situe bien les genres où il a donné ses plus grandes et connue réussites (le policier) il n'a jamais craint de s'aventurer ailleurs pour le meilleur (A bout de course, son excellente adaptation d'Agatha Christie, le visionnaire "Network") comme pour le pire avec le nanardesque "The Wiz" (pour ceux qui ne connaissent pas une version black et kitsch du Magicien D'Oz produite par la Magicien D'oz avec Diana ross en Dorothy ^^). En tout cas il ne s'est jamais reposé sur ses acquis et a toujours eu soif de nouvelles expériences, cet tout à son honneur avec une telle carrière...

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  5. Yep, difficile de ne pas avoir énormément de respect et d'admiration pour des types comme lui ou Huston... des filmos qui donnent envie de geindre "le ciné US, c'était mieux avant" comme de vieux aigris... ^^ Pas vu The Wiz mais tu me donnes envie (ou pas), je vais tenter d'y jeter un coup d'oeil, ça me semble être une bien bonne curiosité pour cinéphile déviant. Comme quoi, même les plus grands ont leur lot de films honteux !

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  6. Ah oui c'est gratiné coquille dans mon commentaire précédent je voulais dire produit par la Motown (vu que le boss Berry Gordy s'était entiché de Diana Ross et voulait la lancer au ciné) et pour couronner le tout Michael Jackson en épouvantail, il faut le voir pour le croire ^^

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