Lors d'un séjour à Rome, deux
étrangères de passage se rencontrent. L'une (Natasha) russe est
hétérosexuelle et l'autre (Alba) espagnole est homosexuelle. Une passion
torride naîtra entre les deux femmes qui se retrouveront dans une
chambre d'hôtel à huis-clos pour le dernier jour de leur séjour à Rome.
Julio Medem nous offre un bijou de sensibilité et de romantisme avec
Habitación en Roma. Medem aborde dans une intrigue resserrée (unité de temps et de lieu) les thèmes au cœur de deux de ses films les plus fameux,
Les Amants du cercle polaire et
Lucia et le sexe. On retrouve ici la recherche esthétique et la force mélodramatique des
Amants tout en retrouvant la sensualité et l'oubli de soi par le sexe de
Lucia.
Tout cela démarre pourtant sous une aune faussement superficielle avec
ses deux jeunes femmes se retrouvant un peu par hasard entre les murs
d'une chambre d'hôtel après s'être rencontrée dans un bar.
Dès
l'introduction, la chambre est définie comme un espace hors du temps et
du monde extérieur, où tout peut arriver, où tout peut se révéler. Ainsi
la drague insistante de la brune et espagnole Alba (Elena Anaya) envers
la blonde et russe Natasha (Natasha Yarovenko) et leur échange de la
rue afin qu'elle l'accompagne à son hôtel est filmé en plongée du ciel
(un leitmotiv au cœur du film tout ce qui concerne l'extérieur et le
passé des personnages sera filmé de cette façon à travers une
application à la Google maps) avant qu'un délicat plan séquence ne nous
ramène de cette ruelle au balcon, puis dans la chambre où sont enfin
arrivées les deux jeunes femmes.

C'est le cliché qui domine au
départ, Alba la brune latine incendiaire et lesbienne affirmée se montre
très entreprenante avec la blonde glaciale Natasha amenée là par la
curiosité et une attirance nouvelle pour elle. Uniquement basée sur le
désir, la rencontre va pourtant tourner court tant que son seul enjeu
reposera dessus et entre la réticence de Natasha et les assauts trop
pressants d’Alba il ne se passera rien dans un premier temps. Il faudra
un oubli de portable et le retour quelques minutes plus tard pour que
tout se rejoue, plus sincèrement. Les scènes de sexe s'avèrent
libératrice dans leur déroulement de ce qui ronge les deux héroïnes. Que
cherche à oublier Alba dans l'alcool et ce déchaînement d'abandon
lascif ?

Quelles fêlures dissimule Natasha dans cette retenue alors que
son désir paraît évident dès le départ ? Les étreintes filmées avec
fièvre mais également une grande sobriété par Medem serviront de
révélateur aux amantes plus intimes et susceptible de se livrer dans
cette nuit forcément sans lendemain. Entre semi-vérité, mensonge et
invention diverses le passé de chacune se révèle au cours de leurs
échanges. Ce désir de l'instant s'avère donc une libération soulageant
leur peine, mais peut être cache-t-il un sentiment plus profond qu'elles
n'osent s'avouer.

Medem instaure un dispositif brillant dans la
composition de plan, la gamme chromatique et la topographie de la
chambre. L'intérieur de la chambre baigne dans un mélange d'ombres (le
passé et les douleurs secrètes des personnages) et de couleurs plus
ocre, brunes et orangées symbolisant ce qui les lie l'une à l'autre.
Cela se vérifie avec les deux tableaux se répondant d'un mur à l'autre
de la pièce et auxquels elles sont particulièrement sensibles, exprimant
ainsi une interaction allant au-delà de cet attrait physique.
D'un côté
la philosophe Aspasie (magnifiquement dépeinte récemment par Amenabar
dans son
Agora) se rendant à
l'Agora entouré de Socrate et Périclès montant vers l'Agora et de
l'autre la réponse quelque mètres et siècles plus tard avec un autre
philosophe Leon Battista Alberti expliquant l'art des grecs dans un
cénacle des Médicis. Le cadre romain, l'emplacement de l'hôtel dans la
ville au-dessus du théâtre Pompée et les divers objets évoquant cette
culture dans la chambre instaure donc une ambiance baignée de cette
sensibilité artistique, signifiant la communion des âmes autant que du
corps d'Alba et Natasha. La salle de bain toute de blanc immaculé sera
lui le lieu de la mise à nu, aucun artifice ne dissimulant plus le lien
fort qui s'est imperceptiblement noué.

L'ambiance éthérée, la
profonde délicatesse de l'ensemble confère un ton unique au film. Bien
que beaucoup vendu sur son aspect sexuel et saphique (et que cette
facette soit frontalement abordée par Medem et son casting) le film va
bien au-delà de ça, nous emmenant vers un une belle histoire d'amour et
un grand mélodrame. La nudité permanente des actrices s'oublie ainsi
très vite, semblant naturelle pour nous et pour elles dans leur
rapprochement progressif. Elena Anaya et Natasha Yarovenko donnent
richesses et mystères à leur personnages dans ce cadre restreint, forte
et fragile chacune à leur tour, méfiante et passionnée, cultivant
différence et mimétisme avec une complicité constante.

Les premières
lueurs du jour arrivées, rien de tout ce que l'on vient d'assister ne
devra dépasser les quatre murs de cette chambre, Medem reprenant de
manière inversée son plan séquence d'ouverture où l'on passe cette fois
de la chambre à la rue en plongée. En grand romantique qu'il est, il
nous laissera pourtant une lueur d'espoir pour la suite avec une superbe
fin ouverte et le leitmotiv
Loving Strangers de la chanteuse Russian Red n'est pas près de nous sortir de la tête.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side