Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
L'histoire d'une famille de Liverpool
dans les années 50 à travers les souvenirs du réalisateur. Distant
Voices est le portrait détaillé du mode de vie traditionnel de la classe
ouvrière qui a marqué son enfance.
Après son inaugural et salué The Terence Davies Trilogy
(1984 et réunion de ses trois premiers moyen métrage), Terence Davies
en creusait encore le sillon autobiographique avec ce magnifique Distant Voices, Still Lives.
Le récit nous plonge dans les souvenirs du réalisateur à travers la
description de sa famille et plus globalement de la vie d'une certaine
Angleterre des années 40/50. Le titre divise le film en deux parties, le
Distant Voices allant de
l'enfance à l'âge adulte et le Still Voices poursuivant le destin des
jeunes personnages ayant fondés à leur tour une famille. Cette division
ne donne pas une structure linéaire au film, bien au contraire.
Davies
nous promène entre passé et présent au gré de transitions dont le
montage fonctionne par associations d'idées, au détour d'un mot, d'un
fondu au blanc synonyme de la nostalgie ressentie et donc surtout au gré
des émotions des personnages. La scène d'ouverture annonce clairement
cela avec ce plan fixe sur un corridor tandis que la voix de la mère
(Freda Dowie) appelant ses enfants se fait entendre ainsi que leur
réponse sans qu'ils n'apparaissent à l'image. Un lent panoramique
sillonne alors les lieux pour nous diriger vers la porte d'entrée où un fondu
enchaîné et la bande son amorce alors déjà une autre époque. Terence
Davies annonce ainsi d'emblée une œuvre placée sous le signe du
souvenir.
La partie Distance Voices
navigue entre capture du quotidien et grands évènements qui bercent la
vie de cette famille à travers mariages, enterrements ou encore noël.
Lors de la séquence de mariage de la fille aînée Eileen (Angela Walsh),
la caméra de Davies s'attarde sur le visage de la mariée regrettant
l'absence de leur père puis sur celui de son frère Tony (Dean Williams)
et sa sœur Maisie (Lorraine Ashbourne) dont les pensées en voix off
révèlent au contraire une farouche haine pour l'absent.
Une manière
d'effectuer une première bascule dans le passé où ce père tyrannique
incarné par un impressionnant Pete Postlethwaite leur mena la vie dure
par son caractère violent et colérique dont leur mère fit souvent les
frais. Par ses vas et viens narratifs, Davies exprime cependant un
sentiment plus diffus. D'une scène à l'autre ce père abusif peut
apparaître vulnérable et affaibli par la maladie, tendre et bienveillant
le temps d'une veillée de noël ou sourdement impitoyable en laissant
son jeune fils à la porte de la maison.
De même les trois bambins
peuvent être fascinés et admiratifs de l'observer au travail, terrorisés
par un accès de colère ou fondre en larme au présent lors du mariage où
ils leur manque terriblement. L'amour suit une ligne se confondant et
rejoignant celle de la haine et Davies par sa manière de raconter amène
une confusion des sentiments finalement bien naturelle dans les aléas
qui agitent une vie de famille. Cette dimension universelle s'étend à la classe ouvrière anglaise entière par les portraits sobrement
esquissés des amis et connaissance de la famille, le cycle de joie et de
malheur se mêlant au commun et à l'intime.
Pour l'intime c'est ces
courts moments figés de pure tendresse telle les enfants effrayés de
voir leur mère tombé alors qu'elle lave les carreaux, c'est les destins
disparates et les mariages plus ou moins heureux et les renoncements des
jeunes femmes que l'on aura suivis. L'universel traduit également les
hauts et les bas de ce quotidien, emblématique de cette Angleterre
soumise au rythme des bombardements allemands (superbe séquences où les
enfants se mettent à chanter et galvanisent les autres réfugiés qui les
accompagnent en donnant de la voix) puis plus tard ces soirées au pub où
l'on vient oublier ses tracas, boire et chanter en communion avec ses
amis.
Ce voile de souvenirs imprègne la mise en scène de Terence
Davies, figeant chaque tranche de vie comme un tableau indépendant où de
lents mouvements de caméra semblent comme photographier et immortaliser
chaque précieux moment passé. La photo cotonneuse et aux couleurs
désaturées de William Diver et Patrick Duval baigne dans cette nostalgie
et évoque autant une peinture (Davies revendiquant l'influence de
Vermeer pour ce film notamment pour sa manière de capturer les moments
domestiques dans ses œuvres) qu'une vieille photo jaunie pouvant
renaître à la vie en laissant transparaître quelques couleurs plus vives
le temps de quelques instants de grâce (le sourire de la mère concluant
la partie Distant Voices).
La
bande son, entre standards et chansons traditionnelles est également un
vecteur émotionnel indissociable des images, laissant les personnages
s'abandonner à de multiples reprises en donnant de la voix, surlignant
délicatement l'émotion où amenant un doux parfum de mélancolie
suspendue. Faussement figé et bourré d'idées visuelle splendide (le
double accident vu à travers une scène onirique sans explication
superflue), Distant Voices, Still Lives
est un grand classique du cinéma anglais contemporain à juste titre
classé troisième d'un récent top 100 des plus grands films anglais par
la revue Time Out.
Sorti en dvd zone 2 anglais sous-titré anglais et pour les amateurs de Davies un coffret contenant toutes ses premières oeuvres est édité pour pas très cher par la BFI (pourvu de sous-titres anglais aussi) avec de nombreux bonus
Une jeune femme, Sapphire, est retrouvée assassinée dans
un parc de Londres. L'inspecteur Hazard est charge de l'enquête. Il
découvre que cette fille discrète, fiancée à un architecte, menait une
double vie, sous deux identités et deux couleurs de peau.
Sapphire est un très bon polar où Dearden aborde le racisme ordinaire régnant alors en Angleterre en traitant du phénomène du passing. Le passing
est l'action par laquelle des noirs à la peau très claire profitèrent
de cette particularité physique pour s'intégrer aux milieux blancs
notamment aux Etats-Unis. Le cinéma s'était penché sur ce thème avec
bien sûr le chef d'œuvre de Douglas Sirk Mirage de la Vie (1959) et en littérature Boris Vian signa son fameux J'irai cracher sur vos tombes
en 1946. Dearden à travers le remarquable scénario de Janet Green
dépeint ainsi une Angleterre d'après-guerre refermée sur elle-même et où
règne la peur de l'autre.
Le film s'ouvre sur la découverte macabre du corps d'une jeune femme
dans un parc londonien. L'intrigue déroule donc au départ une
construction policière classique l'enquête de L'inspecteur Hazard (Nigel
Terry) et Learoyd (Michael Craig) survole le passé de la victime, sonde
ses amis et son environnement. Des signes précurseurs (une garde-robe
secrète aux tenues bien plus criardes et voyantes que la sobriété de
façade) annoncent la révélation qui remet tout le récit en question avec
la découverte du frère de Sapphire, noir. Sapphire pratiquait donc le passing
et dès lors de son petit ami blanc et sa famille en passant par la
communauté noire londonienne, les suspects se multiplient selon leur
intolérance et le fait qu'ils soient au courant du subterfuge de
Sapphire.
Plus que l'enquête, c'est réellement l'étude de mœurs qui
intéresse là Dearden qui nous fait découvrir un Londres interlope et
multiracial rarement vu jusque-là, la bande-son jazzy de Philip Green
nous promenant de bar dansants enfumés en squats insalubre. La division
est pourtant claire avec l'autre Londres plus blanc, séparation que
Dearden affiche une séquence au saisissant surréalisme urbain lorsqu'un
suspect noir traqué par la police fait face à la haine et menace au fil
de brèves rencontres nocturnes (même si la dernière plus bienveillante
atténue l'impression) où sa couleur ne fait vraiment pas de lui le
bienvenu.
Nigel Terry promène son flegme impeccable face aux personnages plus
outrés qui l'entourent, sa neutralité contrastant avec l'intolérance
présente chez les noirs comme les blancs. Dearden évite aussi le piège
du racisme involontaire avec certains noirs exubérants et caricaturaux
(mais signe d'un certain comportement existant) contrebalancé par
d'autres plus posés et réfléchis comme le frère joué par Earl Cameron.
Les blancs ne sont de même pas tous des racistes belliqueux mais la
réalité d'une vraie discrimination nous apparait le temps de séquences
presque documentaire (la tenancière d'hôtel refusant l'entrée d'un noir
pour ne pas perdre sa clientèle, un bar se levant comme un seul homme à
l'entrée d'un noir...).
C'est dans ce rejet viscéral de l'autre que la
puissante scène finale nous révèlera le coupable dans une tension
étouffante. Une belle réussite dont le message progressiste marqua
l'opinion si l'on en croit les récompenses obtenues avec un BAFTA du
meilleur film et une nomination pour le script de Janet Green. Dearden prendra encore plus de risque deux ans plus tard en dénonçant le chantage envers les homosexuels dans le thriller Victim (1961).
En Libye, en 1942, un
commando doit faire sauter des dépôts d’essence allemands. Près d’El-Alamein,
Cyril Leech, mercenaire, revient de mission avec la dépouille de l'officier
anglais chargé de la mission précédente...
Play Dirty est un
des nombreux films de commando produit dans la foulée du succès des Douze Salopards (1967) de Robert Aldrich. Le film en évoque d’ailleurs une sorte de variante
dans le désert et en prolonge les thématiques à savoir une unité composée des
pires raclures (la scène de présentation de chacun et de ses méfaits est délectable)
envoyé en mission suicide, les tâches les plus « sales » devant être
réalisée par des sales types comme se plaît à le souligner le titre. Grande
différence cependant, Aldrich soufflait le chaud et le froid en soulignant les
déviances de ses soldats tout en leur conférant une réelle dimension héroïque
et créant une nouvelle race d’anti héros au cinéma.
Le commando ne sera finalement peu caractérisé (même si
leurs instinct barbare resurgissent quand une infirmière allemande est faite
prisonnière) l'intrigue se concentrant sur l'opposition entre Michael Caine (un
rôle voisin de celui qu'il tenait dans Zoulou)
soldat sans expérience du front et parachuté là à cause de ses connaissances en
hydrocarbure et Leech (Nigel Davenport) vieux baroudeur corrompu peu préoccupé
du drapeau.
L'inexpérience de l'un et son apprentissage du terrain
opposé à la rudesse de l'autre constitue le ciment de l'intrigue où l'ennemi
allemand pointe finalement peu son nez malgré la menace latente. Tous les
aspects de la guerre dans le désert sont rigoureusement abordés avec la
difficulté du terrain, le climat et également les possibilités inédites qui y
sont offertes comme une attaque surprise en pleine tempête de sable. Le cynisme
est de mise avec l'image de l'armée en prenant un sacré coup avec officiers
carriéristes, supérieurs s'attribuant sans vergogne les idées des autres,
n'hésitant pas à sacrifier leurs propre homme sur un changement de stratégie. La lâcheté ordinaire de Caine et le pragmatisme intéressé de Davenport se rejoignent ainsi dans un même élan, les deux représentant le revers d'une même pièce constituant cette armée corrompue.
Le
résultat, efficace et cinglant ne laisse pas à deviner les aléas d’un tournage
mouvementé. Richard Harris tenait à l’origine le rôle finalement repris par
Nigel Davenport mais devant les changements de scénario quitta le tournage au
bout de quelques jours. Un départ qui entraîna aussi celui du réalisateur
initial René Clément remplacé donc par André de Toth à l’origine
producteur.De Toth mène le tout avec
son savoir faire habituel et signe un des meilleurs film de guerre des 60’s
dont le cinglant final marque durablement.
Sorti en dvd zone 1 chez MGM avec VF et sous-titres anglais
Hana et ses deux enfants, Ame et Yuki, vivent discrètement dans un coin tranquille de la ville. Leur vie est simple et joyeuse, mais ils cachent un secret : leur père est un homme-loup. Quand celui-ci disparaît brutalement, Hana décide de quitter la ville pour élever ses enfants à l'abri des regards. Ils emménagent dans un village proche d'une forêt luxuriante… Alors que les studios Ghibli montrent ces dernières années quelques
signes d’essoufflement, exception faite des films de Miyazaki, Mamoru
Hosoda fait plus que confirmer les espoirs placés en lui avec Les Enfants loups, Ame & Yuki,
s’imposant comme la figure de proue de l’animation japonaise grand
public. Hosoda y développe et affine brillamment les qualités entrevues
dans ces précédentes œuvres. L’art d’Hosoda repose sur la proposition
d'un argument extraordinaire pour conter des problématiques ordinaires,
intimistes et inscrites dans le quotidien.
Dans La Traversée du temps
(2006) l’acquisition du don de voyager dans le temps servait la
description touchante des premiers émois amoureux d'une adolescente. Le
plus ambitieux Summer Wars(2010) se servait d'une menace
numérique planétaire pour narrer la réconciliation d’une famille
japonaise et dépeindre la maturité de son jeune héros dans un
passionnant questionnement sur la tradition et la modernité.
Dans Les Enfants loups, Ame & Yuki, le ton feutré de La Traversée du temps va ainsi se mêler à l’écran aux thèmes plus matures amorcés dans Summer Wars
. Le film raconte tout simplement le courage d'une mère à élever seule
ses deux enfants. L'extraordinaire surgira dans la nature de ces
enfants, des enfants loups portant sur eux le lourd héritage de leur
père trop tôt disparu.
L'introduction (évoquant celle magistrale du Là-hautde Pixar en plus approfondie) est un
petit bijou de romantisme qui narre en quelques vignettes la rencontre
de l'héroïne Hana avec l'homme-loup (plus proche du concept
d'homme-animal que de loup-garou), la révélation de sa nature, leurs
premiers émois (dont l'aspect sexuel pas éludé est abordé tout en
délicatesse, loin des très prudes et platoniques films Ghibli) et la
naissance des enfants avant la terrible séparation lors d'une magnifique
séquence muette.
Et là Hosoda aborde avec réalisme les difficultés de
cette jeune mère célibataire (soucis d'argent, logement exigu, ...) à
élever ses nourrissons en plus de ceux de gérer leurs dons surnaturels.
Le ton ne penche jamais de façon forcée du côté du mélodrame grâce à la
nature optimiste de l'héroïne et à quelques moments amusants qui
allègent la mélancolie ambiante (cette scène où Yuki malade hésite entre
le pédiatre et le vétérinaire).
Hosoda retrouve les thèmes de La Traversée du temps et de Summer Wars
sur la quête et l'accomplissement de soi mais au point de vue
adolescent de ses films s'ajoute désormais le regard bienveillant et
anxieux d'une mère. On voit donc les enfants grandir entre l'exubérante
et bruyante Yuki et le plus chétif et introverti Ame, accepter puis tour
à tour refuser leurs héritages d'enfant loups, se confronter aux regard
des autres et vivre les premiers élans sentimentaux...
La
narration d'Hosoda est limpide pour accompagner cette notion de temps
qui passe, entre ellipses parfaites (les années qui défilent à travers
les deux salles de classe voisines de Yuki et Ame), poses contemplatives
et moments plus oniriques. Sur ce dernier point, le réalisateur use
d’un naturalisme formellement somptueux où cette campagne et cette forêt
environnante sont magnifiées avec une inspiration telle qu’on a parfois
une impression de photoréalisme alors que le tout repose sur des
traditionnelles compositions dessinées (où interviennent de discrètes
touches numériques).
On s’approche de l’écologisme de Ghibli et
notamment de la notion de « retour au pays natal » inscrite au sein de
la culture japonaise et présente dans le classiqueSouvenirs goutte à goutte (1991) d’Isao Takahata, dont on retrouve ici la description
chaleureuse, solidaire et régénérante de la vie rurale (et l’approche
documentaire des travaux agricoles). Hosoda a d’ailleurs admis lors de
l’avant-première française que l’intrigue se situait au sein de sa
région natale, renforçant ainsi cette facette.
L’introspection de mise
dans ce retour sur soi correspondra dans l’histoire à la manière qu'à
chacun de trouver sa voie et aux autres de l’accepter. Le timide Ame va
donc se révéler à lui-même dans cette nature pour peut-être choisir son
côté loup alors que Yuki (notre guide et narratrice dans le récit ), au
départ plus sauvage, semble s’épanouir dans le monde des hommes.
Tout
cela sous l’œil aimant de leur mère Hana (la grand-mère de Summer Wars, l’adolescente de La Traversée du temps,
Hosoda a l’art de brosser des personnages féminins très authentiques et
attachants), qui aura regardé ses enfants grandir et les aura
accompagnés dans leur évolution. C’est là qu’il faut chercher l’âme du
film, dans cette ode à la femme et à la maternité saluée par une
dernière scène bouleversante et toute en retenue. Mamoru Hosoda signe un
chef d’œuvre de l’animation et le plus beau film sorti l'an passé.
Harriet, une jeune anglaise expatriée,
vit avec son petit frère, Bogey, et ses trois sœurs cadettes dans une
grande maison de la région de Calcutta en Inde. Son père dirige une
manufacture de toile de jute tandis que sa mère s’occupe de la famille
et attend un sixième enfant. Un jour d’automne, le capitaine John rentre
de la guerre et vient habiter une maison voisine. Invité à une fête, il
y rencontre Harriet, ainsi que Mélanie une belle métisse indienne et
Valérie. Les trois jeunes filles vont toutes trois tomber sous le charme
du bel étranger…
Le Fleuve
était de son propre aveu son film favori de Renoir au sein de sa
filmographie. On peut le comprendre tant dans la réussite de celui-ci
s'entremêlent les satisfactions artistique et personnelles avec ce qui
constitua une grande aventure humaine et une œuvre inoubliable. C'est un
Renoir bien mal en point qui s'apprête à s'atteler au projet.
Le
réalisateur n'a jamais vraiment réussit à s'adapter à Hollywood où il
est installé depuis 1941 et vient même de voir résilier son contrat de
deux films avec la RKO après la réalisation du seul La Femme sur la plage
1947) dont la production fut houleuse. Renoir pense pourtant trouver le
projet qui pourra le relancer après avoir lu le roman de Rumer Godden The River.
Les studios montrent pourtant peu d'intérêt tant le roman plutôt
intimiste est dénué des éléments de l'Inde tel qu'ils la conçoivent au
cinéma à savoir un exotisme marqué (éléphants, sorcelleries hindoue) et
une tonalité de film d'aventures façon Les Trois Lanciers du Bengale (1935) ou Gunga Din
(1939).
Le salut pour Renoir viendra de Kenneth McEldowney, riche
entrepreneur à la tête d'un réseau de fleuriste désirant devenir
producteur de cinéma. Pensant qu'un tournage à l'étranger serait plus
avantageux, il se rend en Inde fraîchement décolonisée où il se met les
notables locaux en poche, obtenant financement et avantage de tournages
divers. Seulement il n'a pas encore de sujet de film et lorsque lui est
recommandé le roman The River il
découvrira que Jean Renoir en possède les droits. Il lui propose tout
naturellement la réalisation, Renoir posant comme seule condition un
tournage en Inde mais pour le reste en dehors des évidentes difficultés
logistiques cette production sera une vraie libération après l'étau des
studios Hollywoodien.
L'adaptation est coécrite par Renoir et Rumer Godden elle-même qui avait
détestée la précédente transposition de ses écrits avec Le Narcisse Noir
de Powell et Pressburger. Si l'intrigue du roman sera largement
remaniée par Renoir, Rumer Godden est partie prenante de ses
modifications de par sa connaissance de l'Inde où elle a grandi (The River
étant en partie autobiographique) et où se déroule la majorité de ses
livres. Le changement essentiel viendra en fait d'un Renoir tombé sous
le charme de l'Inde. Privé en début de tournage de l'outil étouffant le
son des très bruyantes caméras technicolor, le réalisateur en attendant
décide de flâner et de filmer paysages, population et quotidien indien
dans des images lorgnant plutôt sur le documentaire.
Dès lors le film se
fait bien plus indien dans son atmosphère (alors que le roman quitte
rarement la famille anglaise et leur demeure) avec l'ajout du personnage
de la métisse Mélanie et une large place laissé au us et coutumes
locaux, aux séquences purement illustrative nous imprégnant de
l'authenticité de cette Inde même si vue à travers le regard occidental.
Le film reprend sans les excès la thématique du Narcisse Noir
où l'environnement sera un prolongement et/ou un déclencheur des
sentiments profonds des personnages. Il est surtout plus proche de The Greengage Summer
roman où Rumer Godden s'attarde aussi sur les premiers émois amoureux
d'une adolescente (et dont Lewis Gilbert tirera une belle adaptation en
1961).
Cette Inde foisonnante et aussi authentique que fantasmée servira donc
ici de catalyseur émotionnel à un groupe de personnages. Les deux jeunes
et inséparables amies Harriet (Patricia Walters) et Valérie (Adrienne
Corri) se feront rivales pour les beaux yeux du capitaine John (Thomas
E. Breen), vétéran de guerre échoué en Inde. Celui-ci cherche également
sa place dans le monde, se sentant étranger partout du fait de son
expérience du front et d'un handicap qu'il n'accepte pas puisqu'il est
amputé d'une jambe.
Pour la métisse Mélanie (Radha Shri Ram), ce
sentiment amoureux naissant s'accompagne aussi d'un trouble identitaire
sur sa culture indienne et occidentale. Renoir fait baigner l'ensemble
dans une langueur, légèreté et innocence qui sied bien au casting non
professionnel (Radha Shri Ram ayant été recruté après un spectacle de
danse auquel Renoir assista notamment) avec cette intrigue sans vrai pic
dramatique (si ce n'est en toute fin) qui peut laisser parler le
naturel notamment chez les plus jeunes plein de fraîcheur.
Ainsi comme
dans tout bon récit adolescent, l'insignifiant est aussi le plus
douloureux avec ces petits instants de cruauté (Valérie lisant le
journal intime d'Harriet) et de désarroi tel la déception de ce premier
baiser au terme d'une somptueuse séquence où les rivales traque l'objet
de leur affection à travers la jungle. Le pays avec ses rites, ses fêtes
et son bestiaire est autant un terrain de jeu pour les enfants (la
joyeuse célébration du Diwali au début) qu'un espace immense où noyer sa
mélancolie chez les adultes avec ces longs moments contemplatifs où
l'on observe l'activité du Gange et les paysages à perte de vue.
Renoir s'était entouré de ses plus fidèles collaborateurs avec Claude
Renoir à la photo et Eugène Lourié aux décors (tandis qu'un débutant
admirateur de Renoir nommé Satyajit Ray fera partie de l'équipe et
s'occupera des repérages) et, entre stylisation et authenticité le
résultat à l'image est grandiose. Premier film en technicolor de Renoir,
Le Fleuve est aussi une des
plus belles illustrations du procédé, les couleurs saturées figeant les
cadrages dans un voile de chaleur opaque et nuancé à la fois, faisant
jaillir la vie de la faune foisonnante et exacerbant les envolées
sentimentales par ses teintes marquées.
On est tout à la fois en surface
et impliqué par les évènements, les aléas des personnages nous
intéressant tout en empêchant pas cette activité grouillante de se
poursuivre. C'est un cycle de la vie symbolisé par le final où une
terrible perte est suivie d'une naissance sur laquelle s'achève le film.
Universel et intimiste, Renoir nous promène sur les rives du Gange avec
la photographie de cette Inde et de ses personnages à un moment
charnière de leur vie. Une belle vision à l'influence immense sur
d'autres films visitant ces mêmes terres comme Chaleur et Poussière (1982) de James Ivory et La Route des Indes de David Lean (1984).
Sorti en dvd zone 2 français et en blu ray chez Carlotta
Anthony, Dignan et Bob sont trois
jeunes adultes décidés à devenir des cambrioleurs. Ils ne sont pas faits
pour ça, mais peut-on interdire aux gens de suivre leur rêve ?
Le petit monde de Wes Anderson s'animait pour la première fois dans ce Bottle Rocket
contenant déjà sous une forme maladroite mais attachante les motifs de
ses grandes réussites à venir. Le film est à l'origine un court-métrage
en noir et blanc dont l'idée sera étendu à un long et qu'Anderson
coécrit avec Owen Wilson rencontré sur les bancs de l'Université
d'Austin (et coscénariste des futurs Rushmore et La Famille Tenenbaum).
Wes Anderson, autodidacte pris par le démon du cinéma (il suivait des
études de philosophie avant de se lier à Owen Wilson dans un cours de
scénario) ne maîtrise donc pas encore le style décalé et sophistiqué
affiché dès le suivant Rushmore et poussé à une forme de perfection dans
La Famille Tenenbaum 2001), Fantastic Mr. Fox
((2010) ou Moonrise Kingdom (2012). Ici malgré quelques envolées (la
poursuite finale) la forme tient vraiment plus de la production
indépendante fauchée mais toute la singularité du réalisateur pointe
déjà.
On retrouve ici la thématique d'Anderson sur les
hommes-enfants incapable de s'intégrer au monde des adultes avec les
trois héros pieds nickelés que nous allons suivre ici. Anthony (Luke
Wilson), Dignan (Owen Wilson) et plus tard Bob (Robert Musgrave) sont
trois paumés se rêvant cambrioleurs chevronnés malgré un talent que l'on
devine tout relatif pour le crime. Ils se construisent un petit monde
décalé fait de plans sophistiqués et ingénieux les éloignant d'une
réalité qu'ils ne souhaitent guère affronter.
La scène d'ouverture où
Anthony simule une évasion virtuose de la maison de repos dont il a
simplement été libéré pour stimuler Dignan donne le temps de cette
vision biaisée. Admettre la réalité, c'est aussi reconnaître le désordre
de leurs vies mais chaque personnage à une manière différente d'aborder
le monde. Owen Wilson excelle déjà en doux-rêveurs dont le monde n'est
qu'un immense terrain de jeu quand Luke Wilson plus lucide est néanmoins
prêt à le suivre partout tant le monde extérieur n'a rien à lui
proposer si ce n'est le jugement (l'entrevue amère avec la petite sœur).
La narration brinquebalante ne fonctionne ainsi que sur des
moments. D'un côté la loufoquerie des tentatives criminelles de nos
héros (le "vol" domestique au début, Owen Wilson se prenant une rouste
dans un bar, le rocambolesque casse final) et de l'autre une tendresse
et mélancolie suspendue qui fait déjà merveille. La romance entre
Anthony et Inez la femme de chambre paraguayenne est ainsi très
attachante, la barrière de la langue faisant naître le lien par les
gestes et regards.
Anderson parvient déjà à cet équilibre de dynamisme,
humour absurde et émotion avec une bande son recherchée où Love côtoie
les Rolling Stones et le fiasco final mariant toute cette gamme de
sentiment avec le comique de la course poursuite se mariant au beau
sacrifice d'Owen Wilson. La galerie de personnages secondaires est très
drôle aussi entre Andrew "Future Man" Wilson en grand frère tyrannique
et un James Caan roublard. Imparfait mais déjà très attachant premier
film pour Anderson.
Le film nous montre la vie dans un CHU
de Manhattan et s'attache au Dr Bock (George C. Scott), le directeur
médical, dont la vie est devenue un chaos : sa femme l'a quitté, ses
enfants ne lui parlent pas et le CHU qui lui était si cher est en train
de partir en morceaux. Avec tout cela le CHU voit un certain nombre de
morts étranges, aussi bien parmi les médecins que parmi le personnel de
l'hôpital, et tout cela finit par conduire le Dr Bock au bord de folie.
Arthur Hiller et le dramaturge Paddy Chayefsky se retrouvaient quelques années après leur géniale farce anti militariste Les Jeux de l'amour et de la guerre (1964) avec ce tout aussi caustique The Hospital.
Le film s'inscrit également dans un forme de trilogie satirique pour
Paddy Chayefsky (ici producteur en plus de signer le scénario) avec Les Jeux de l'amour et de la guerre donc et aussi le bien acide Network
(1976). Après l'armée et avant la télévision, c'est donc l'institution
hospitalière qui est passée là au vitriol avec cette description haute
en couleur du CHU de Manhattan.
La scène d'ouverture donne le ton
avec la voix off ironique de Chayefsky qui accompagne l'aussi risible
que tragique concours de circonstance qui va faire mourir un patient
fraîchement admis et démontrer d'emblée l'anarchie et l'incompétence
régnant au sein de l'hôpital. C'est dans ce cadre que se morfond le Dr
Bock (George C. Scott), séparé de sa femme, alcoolique et dépressif
tendance suicidaire. La seule branche à laquelle il semble encore
pouvoir se raccrocher est son métier mais là aussi on déchante
rapidement à travers les dysfonctionnements de l'établissement qui vont
finir par mener à la mort mystérieuse de certains médecin et chercheurs.
On est ici dans une sorte de Catch 22
médical où l'absurde, la comédie et le vrai malaise s'alterne et où
l'on rit jaune devant les situations rocambolesque.
Patients opérés par
erreur et sortant plus atteint qu'ils ne sont arrivés, chirurgiens
cyniques uniquement motivé par l'appât du gain, coucherie entre médecins
et infirmière au détriment des malades, frénésie administrative, la
charge est féroce et toujours dans un humour à froid qui laisse dans
l'expectative. Plus globalement, l'hôpital semble être une sorte
d'antichambre des maux de cette société puisque en réponse à
l'institution médicale déréglée les autres idéaux d'alors s'avèrent tout
aussi défaillants tels ces gauchistes fanatiques (aux revendications
légitimes mais au discours schématiques) manifestant à l'extérieur en
fil rouge et la conclusion mettra en boite aussi une forme d'idéalisme
hippie recelant de dangereux illuminés.
Tout comme dans Les Jeux de l'amour et de la guerre ,
l'espoir vient de l'éveil et la prise de conscience de l'individu.
Apathique face à l'enfer qui se déchaîne autour de lui, Bock assiste
impuissant aux dérives de son service se réfugiant dans la bouteille et
proche de céder à ses velléités suicidaires. Le salut viendra de la
rencontre avec la charmante Barbara (Diana Rigg),
jeune femme à l'esprit libre également revenue de tout et ouverte sur le
monde. George C. Scott confère son intensité et humanité coutumière
avec ce formidable personnage brisé et habite certaines séquences avec
une puissance rare comme ce moment cathartique où il s'ouvre à Diana
Rigg sur son mal être dans un incroyable monologue filmé au cordeau par
Hiller. Diana Rigg fausse insouciante et vraie lucide est parfaite
également, sa sérénité répondant idéalement au bouillonnement constant
de Scott.
La galerie de seconds rôles s'en donne à cœur joie également et
on retiendra un odieux Richard A. Dysart en chirurgien businessman et
Donald Harron hilarant en patient assistant médusé au délire ambiant.
L'anarchie va crescendo avec un sacré chaos final où le script ne cède
pourtant pas au fatalisme attendu pour de nouveau faire confiance aux
hommes de devoir capable de redresser la tête dans l'adversité.
L'individualisme et la liberté de pensée comme forme de salut pour la
collectivité, on retrouve là les partis pris de Chayefsky déjà présente
dans Les Jeux de l'amour et de la guerre . Si l'entité est viciée, il y demeurera toujours des hommes de valeur affrontant l'adversité.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez MGM et doté de sous-titres français
Un garçon âgé de vingt ans, Harold vit
un amour pur et réciproque avec une femme qui a cinquante-neuf ans de
plus que lui, Maude...
Un des films culte des 70's,
typique de la liberté de cette décennie par son thème audacieux dont la
recette teintée de mélancolie et d'insouciance reste unique. Le film
dépeint la drôle de rencontre entre le jeune Harold (Burt Cort) et la
bientôt octogénaire Maude (Ruth Gordon), aussi opposé par leur âge que
par leur caractère. Harold est un post-adolescent dépressif et détaché
de tout et fasciné par la mort, ses plus grands plaisirs étant
d'horrifier sa mère à coup de faux suicide sanglants, fréquenter les
enterrements et se balader dans le corbillard (forcément) qui lui sert
de voiture.
Burt Cort, masque de clown triste au teint blafard est
épatant d'ironie contenue et exprime une dimension burlesque sobre à
coup de gags ludique où il excelle dans l'humour morbide à froid (les
prétendantes présentées par sa mère gardant un souvenir houleux de la
rencontre). Cette attitude cache un mal être auxquelles les solutions
réactionnaires ne peuvent rien, le script fustigeant au passage les
conventions sociales, la psychanalyse abusive ou le militarisme à
travers le personnage de l'oncle va t en guerre voyant l'armée comme la
formation idéal du jeune homme égaré.
Pour aller mieux, Harold va
devoir croiser la route de son pendant excentrique plus énergique et
enjoué malgré son grand âge avec la pétillante Maude. Partageant son
gout pour les enterrements, Maude voit toujours ce qu'il y a de meilleur
dans le quotidien où elle promène sa doux-dinguerie par une géniale
extravagance : chiper la moindre voiture trainant sous ses yeux et la
conduire à tout berzingue, déraciner les arbres malade pour les planter
ailleurs ou encore ridiculiser un malheureux policier. Harold se déride
et dévoile ainsi progressivement ses fêlures grâce à la bienveillance de
Maude (magnifique moment où il explique son obsession pour le suicide
et qui lui valut son seul moment d'affection maternelle).
Hal Ashby
contrebalance constamment le ton plutôt léger avec l'atmosphère grisâtre
et dépressive de l'environnement du duo, le sinistre ambiant menaçant
constamment de les rattraper. La grande audace du film, c'est bien sûr
de faire de cette relation une histoire d'amour. Tout en délicatesse et
en tendresse, Ashby évite tout scabreux et provocations vaine pour
amener la chose comme une évidence : Maude a l'attitude délurée d'une
jeune fille en fleur quand Harold sous ses traits juvéniles semble
porter toute la tristesse du monde comme s'il avait déjà vécu trop
longtemps.
Les vignettes romantiques et moments complices offrent de
magnifiques scènes (ce feu d'artifice côte à côte) amenant la joie de
vivre pour l'un sous la sinistrose et l'acceptation de la fin pour
l'autre. Tout reste habilement suggéré et en surface (ce court insert
qui révèle un passé plus douloureux pour Maude quand on verra ce
tatouage sur son bras...) et passe par la bulle se créent Harold et
Maude. Un film ancré de son époque (la bande originale belle mais un peu
en envahissante de Cat Stevens) mais dont la leçon de vie demeure
intemporelle.