Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 30 septembre 2015

Une nuit inoubliable - A Night to Remember, Richard Wallace (1942)

A New York. Un auteur de romans policiers et sa femme enquêtent sur les agissements de leurs curieux voisins .....

A Night to remember est une délicieuse comédie policière qui nous embarque dans un suspense astucieux où la vraie tension s'équilibre idéalement aux éclats de rire. Adapté du roman The Frightened Stiff de Kelley Roos, le film voit les époux Nancy (Loretta Young) et Jeff Troy (Brian Aherne) confronté à un mystère alors qu'il s'installe dans leur nouvel appartement. Dès l'ouverture la légèreté et le babillement du couple est un contrepoint à l'environnement oppressant. L'immeuble inquiétant et les allures sinistres d'un voisinage digne de Rosemary's Baby vient jeter un voile d'inquiétude sur nos joyeux époux.

La photo de Joseph Walker jette tout en jeu d'ombres menaçants fait lorgner l'ensemble vers l'épouvante, la vraie terreur ne s'installant pas complètement car les amorce de séquences terrifiantes se voient désamorcées par l'humour (l'apparition de la tortue) in extremis à chaque fois. Néanmoins le scénario habile pose un intrigant mystère, que ce soit par les réactions terrifiées des voisins dès qu'ils découvrent l'appartement occupé par nos héros ou le noir secret qui semble les forcer à cohabiter contre leur gré dans ce bâtiment depuis des années.

La force du film est de ne jamais diluer ce suspense tout en y allant franchement dans la grosse comédie loufoque. Le couple vedette y est pour beaucoup avec une Loretta Young piquante et toujours prêt à taquiner son époux, un Brian Aherne qui a plus expérimenté le crime dans ses romans que dans la réalité. L'acteur est épatant pour délester son personnage de toute virilité ou vertus héroïque. Les situations l'émasculant sont multiples, de par sa propre couardise (ses tergiversations à aller titiller un molosse dans un bar, ses airs tremblants dès qu'il s'agit d'explorer les entrailles ténébreuses de l'immeuble) ou par des situations tordantes comme le running gag de cette porte qu'il est le seul à ne pas réussir à ouvrir ou sa fâcheuse tendance à l'évanouissement (là aussi source d'un moment savoureux quand il croira son épouse morte).

Ce mâle fragile et son épouse frêle ajoute donc au suspense tant ils semblent peu armés face au danger mais le scénario fait d'eux des fins limiers qui vont habilement remonter la piste de l'énigme. Sans trop en dire, la suite prendra la forme d'un haletant et imprévisible whodunit conjuguant donc toujours cette drôlerie à une efficace trame policière. Le film est tout de même parfois un peu trop bavard mais on prend un tel plaisir en compagnie de ces personnages (en second rôle Sidney Toler compose un inspecteur sarcastique du meilleur gout) que la pilule passe aisément, d'autant que le final est assez virtuose. Sans l'intrusion de l'humour, ce climax aurait pu être sacrément glaçant grâce à la mise en scène inspirée de Richard Wallace. Cet équilibre ténu évite de faire basculer le récit dans la parodie tout en le rendant constamment palpitant. Une jolie réussite.

Sorti en dvd zone 1 chez Sony et doté de sous-titres anglais

mardi 29 septembre 2015

Le Sauvage - Jean-Paul Rappeneau (1975)

Martin est venu à Caracas pour y vendre les légumes qu'il cultive sur une île déserte où il s'est retiré en solitaire, préférant la vie sauvage au stress urbain. Dans sa chambre d'hôtel, surgit en trombe Nelly qui vient de rompre ses fiançailles avec Vittorio. Elle s'incruste au point que Martin l'héberge sur son île contre son gré...

Troisième film de Jean-Paul Rappeneau, Le Sauvage constitue un vrai virage dans la carrière du réalisateur. C’est en effet la première fois que Rappeneau développe une intrigue dans un cadre contemporain, chose qui n’arrivera par la suite que dans le mal-aimé mais excellent Tout feu tout flamme (1981). Cet environnement moderne change du coup la dynamique des films précédents où le rythme échevelé typique du réalisateur se mettait progressivement en place le temps de poser le contexte (l’Occupation dans La Vie de château (1966) et la France post- révolutionnaire sur Les Mariés de l’An II (1971)) et une élégante reconstitution. Les 40 premières minutes éreintantes du Sauvage contredisent ces habitudes, la vitesse et l’hystérie guidant la fuite en avant d’une Catherine Deneuve échappée d’un mariage avec un italien trop possessif et qui pour se faire dévaste tout sur son passage. Bagarre, poursuite et destruction massive seront provoqués par ce séduisant agent du chaos partout avant de se voir sauver la mise par Yves Montand. 

Ce dernier après l’avoir secourue croit s'en être débarrassé et va avoir l'immense surprise de la trouver qui l'attend sur l'île déserte où il s'est retiré. Le meilleur du film arrive alors avec une Deneuve plus enquiquineuse que jamais qui va encore provoquer moult disputes et catastrophes avant que les deux personnages se rapproche progressivement. Le virage de l'hystérie à une veine plus romantique est magnifiquement géré par Rappeneau (les deux personnages couchent ensemble après que Montand ait lancé un ananas sur la tête de Deneuve) avec un scénario qui réserve son lot de surprise notamment sur le passé de Montand et les raisons de son exil. 

Deneuve est définitivement la plus belle incarnation de « l’emmerdeuse » chère à Rappeneau, campant un personnage voisin de celui qu'elle jouait déjà dans La vie de Château. C’est une miss catastrophe insouciante qu'on a envie d'embrasser et de gifler à la fois, exaspérante et totalement craquante le réalisateur ayant su le mieux la rendre naturelle, hors du registre froid et éthéré où on l’enferme injustement.

Montand en vieux bougon retiré de tout est très bon également, faisant preuve d’un timing comique et arborant un superbe look de baroudeur. Avec le rythme se ralentissant il orne son personnage d'un spleen touchant sur la dernière partie plus mélancolique. La réalisation précise et alerte de Rappeneau fait des miracles notamment au montage puisque l'île sur laquelle se déroule l'histoire à en fait été tourné sur trois décors différents, de la banlieue de Saint Cloud en passant par les Bahamas et les Antilles et l'illusion est parfaite. 

Le film constitue encore aujourd’hui un modèle de comédie d’aventures (rappellons que Rappeneau a coécrit L’Homme de Rio (1964)) pour lequel les américains ont longtemps envisagèrent un temps un remake. Si ce dernier ne vit jamais le jour, le film circula longtemps à Hollywood, rendant suspectes les similitudes avec des productions ultérieures comme À la poursuite du diamant vert (1984) de Robert Zemeckis ou 6 Jours 7 Nuits (1998) d’Ivan Reitman.

Sorti en dvd zone 2 français che Studiocanal 

 

lundi 28 septembre 2015

Les Rues de feu - Streets of Fire, Walter Hill (1984)

La chanteuse Ellen Aim (Diane Lane) est enlevée par un gang de motards, les Bombers, mené par l'impitoyable Raven Shaddocks (Willem Dafoe). Le sort d'Ellen repose alors sur des héros improbables : un soldat de fortune Tom Cody (Michael Paré) et son acolyte, la bagarreuse McCoy (Amy Madigan). Ils sont rejoints par Billy Fish (Rick Moranis), le manager d'Ellen, et le trio ainsi formé s'engouffre dans un univers de courses poursuites et de tueurs sans merci.

De l’inaugural Le Bagarreur (1973) à un Extrême Préjudice (1987) sous haute influence Peckinpah, la carrière de Walter Hill - qui ne sera par la suite qu’un solide faiseur hollywoodien - constitue un ensemble captivant. Le réalisateur se pose en digne héritier des réalisateurs américain « dur à cuire » à la Don Siegel ou Sam Peckinpah justement et en reprendra le flambeau dans une approche singulière. Durant ces premières années, Le Gang des frères James (1980) - et plus tard Geronimo (1993) et Wild Bill (1995) - sera un des rares films où Walter Hill s’attaquera ouvertement à un mythe/genre typiquement américain avec le western. Toutes les autres œuvres de Hill s’essaieront au genre dans une logique post-moderne, à des degrés plus ou moins prononcés. Cette approche jouera, selon les films sur un principe d’épure ou de surenchère. Pour l’épure, Le Bagarreur pousse dans ses derniers retranchements la figure du héros taciturne avec un Charles Bronson plus minéral que jamais, laissant ses poings s’exprimer pour lui. Driver (1978) en reste au squelette de polar melvillien façon Le Samouraï (1967 et déjà sacrément minimaliste) où les personnages ne sont même plus nommés et réduit à leur fonction (le flic, la fille et le pilote). 

Cette retenue est contrebalancée par des œuvres à l’inverse plus outrancières comme 48 heures (1982) où les curseurs de l’humour, l’action et la violence sont exacerbés pour façonner le sous-genre du polar qu’est le buddy movie. Ce gout pour la surenchère explosera dans les velléités pop de Walter Hill qui s’exprimeront pour la première fois dans Les Guerriers de la nuit (1979) qui transpose un postulat classique de western dans un environnement contemporain pourtant dénué de tout réalisme de par l’allure folklorique de ses protagonistes, des gangs multiethniques caractérisés par leurs costumes. Hill n’aura cependant pas pu pousser l’expérimentation aussi loin qu’il le souhaitait dans son esthétique comics – ce qu’il fera dans un remontage dvd récent et assez raté – et ressortira frustré de l’expérience en dépit de l’aura culte du film. L’immense succès de 48 heures va pourtant lui donner l’opportunité de renouer avec cette veine too much et de creuser avec plus de folie ce sillon.

Streets of Fire possède une trame qui une nouvelle fois reprend un argument de western  dans un cadre urbain, tout en y conjuguant d’autres influences comme L’Iliade (l’enlèvement d’une jeune femme provoquant une opposition entre deux factions) et L’Odyssée (Ulysse/Tom Cody de retour de guerre découvrant son aimée au prise avec d’autres prétendant). Contrairement aux Guerriers de la nuit dont les aventures et protagonistes extraordinaires évoluaient dans un environnement réaliste, Streets of Fire façonne un pur univers de cinéma. Le croisement entre le film d’action et la comédie musicale aura déterminé cette approche, Hill étant admiratif de l’univers alternatif façonné par Jacques Demy dans Les Parapluies de Cherbourg (1964). Le scénario qu’il coécrit avec Larry Gross, fort de cette approche de fable romantique amené par la comédie musicale se délestera d’ailleurs grandement de sa violence initiale. L’esthétique du film est typique de son époque et s’inscrit dans un tourbillon d’influence aisément identifiable. Le visuel tout en néons bariolés conçu par John Vallone reprend grandement les idées du Coup de Cœur (1982) de Coppola, tout posant baignant l’ensemble dans un espace urbain industriel et dévasté qui lorgne sur le New York 1997 (1981) de John Carpenter. 

Le rétro côtoie le moderne également dans les tenues vestimentaires et la bande son du film. Grease (1978) et la série Happy Days auront remis les années 50 au gout du jour, ce que l’on retrouve ici avec ces méchants blousons noirs à moto façon L'Équipée sauvage (1953) et les meilleures passages musicaux tel que le rock’n’roll enfiévré des Blasters le temps d’un One Bad Stud dans la taverne mal famée Torchie's. Walter Hill pensait au départ utiliser des standards des 50’s mais Universal lui imposera d’intégrer des compositions originales et plus orientées FM, Flashdance (1983) et sa lucrative bande-originale étant encore dans tous les esprits. Ce compromis transformera encore grandement le film, accentuant les expérimentations clippesques de Walter Hill et l’imagerie 80’s en dépit de la volonté de rendre l’ensemble intemporel. 

Diane Lane arbore ainsi un look au croisement de Joan Jett et Pat Benatar, la grandiloquence FM de ses séquences musicales (toutes doublées) évoquant plutôt la seconde. Ry Cooder (déjà partenaire de Hill sur le formidable score de Sans Retour) signe une bande son immersive entre sonorités traditionnelles et synthétiques, le producteur Jimmy Iovine chapeautant les chansons. Si tout cela est affaire de goût (les allergiques à la musique des années 80 en saigneront des oreilles quoi qu’il advienne), les compositions sont redoutablement efficace - Iovine ayant fait jouer son carnet d’adresse avec Tom Petty and The Heartbreakers ou Stevie Nicks à l’écriture - et s'intégre bien à l’ensemble. On regrettera néanmoins que Bruce Springsteen faute de temps n’ai pu participer alors que le titre du film vient d’un des morceaux phares de son album Darkness of the edge of town.

L’aspect plastique du film parvient à lui forger une réelle identité, que l’on y adhère ou pas et c’est plutôt au niveau du script que le bât blesse. Walter Hill en misant tout sur la facette sensorielle en a oublié de caractériser sérieusement ses personnages qui ne dépassent pas le stade d’archétype malgré la beauté et le charisme de ses interprètes. Le couple Tom/Ellen a trop peu d’interaction pour que leur antagonisme puis leur réconciliation émeuve car tout à sa vitesse, le film ne laisse jamais les moments introspectifs s’installer. Willem Dafoe retrouve la présence SM androgyne de The Loveless (1982) de Kathryn Bigelow (et reprise en partie dans Police Fédérale Los Angeles (1985) mais de même est finalement trop peu présent pour exister au-delà de la caricature de méchant de bd. 

La prestation de baroudeur désinvolte de Michael Paré fut décriée mais c’est finalement lui qui s’en sort le mieux, taiseux et charismatique tout en dégageant une certaine mélancolie. Les rares moments romantiques réussis sont ceux où Hill joue habilement de la photogénie de son couple, l’imagerie réussissant à véhiculer l’émotion que les acteurs n’ont pas eu l’espace d’exprimer. Le récit se trouve malheureusement sans liant consistant, réduisant Streets of Fire à un bel objet pop, ce qui aura néanmoins suffit à en faire un film culte avec le temps.

Sorti récemment en bluray chez Wild Side

 

mardi 22 septembre 2015

Le Dingo - Lo Svitato, Carlo Lizzani (1956)

Achille, employé, très polyvalent, au siège d'un grand journal, rêve de devenir journaliste à part entière. Un matin, parce qu'il a raté son tramway, il fait une rencontre fortuite et écrit un article bidon sur un « boxeur au cœur tendre ». Il aspire parallèlement à séduire Elena, une très jolie gymnaste. Afin d'atteindre définitivement son Graal, il monte une « grande arnaque » millimétrée, avec l'aide d'un ami affairiste, Gigi, pour avoir l'absolue exclusivité d'un scoop : kidnapper des chiens de concours et les remplacer par des bâtards. L'affaire prend vite une tournure loufoque, à l'image de son protagoniste...

Le Dingo est une œuvre singulière du cinéma italien des années 50. La sinistrose du néoréalisme a à ce moment cédée au « néoréalisme rose » où l’on retrouve des thèmes sociaux et environnements réalistes dans une veine plus légère et amusée dans des classiques comme Pain, amour et fantaisie (1953) de Luigi Comencini. Ce mouvement précède quant à lui la « comédia all’italiana », versant moderne et féroce initié avec Le Pigeon (1958) qui lancera l’âge d’or de la comédie italienne. Le Dingo se situe totalement à contre-courant de ces deux tendances, exploitant une veine burlesque rarement vue dans la comédie italienne.

On doit cette singularité aux initiateurs atypiques du projet. Carlo Lizzani est plutôt associé à un cinéma sérieux et engagé, ayant été notamment co-scénariste de Riz Amer (1949), et avoir été l'assistant de Roberto Rossellini sur le tournage de Allemagne année zéro (1948). Ses premières réalisations s’inscrivent dans cette veine politique, notamment La Chronique des pauvres amants (1954), chronique sur la montée du fascisme du point de vue d’une petite rue de Florence. Le film obtient le Grand Prix du Jury à Cannes, la Palme d’or lui étant promise s’échappant à cause des pressions du gouvernement italien. Un peu à la manière de Vittorio De Sica (qui connaîtra la même déconvenue cannoise avec son Umberto D (1952)), Lizzani doit donc se réinventer par la comédie, le gouvernement italien se crispant face à l’imagerie misérabiliste donnée du pays dans les œuvres néoréalistes.

On propose donc à Lizzani de travailler avec des comiques montants dont Dario Fo, vedette du cabaret italien dont les sketches se caractérisent par le sens de l’absurde. On retrouve donc cela dans Le Dingo où Dario Fo façonne un personnage comique loufoque à la Charlot/ Monsieur Hulot, lunaire et physiquement immédiatement identifiable. Le film amuse le temps d’épisodes isolés mettant en valeur le côté gaffeur de son héros apprenti journaliste sportif allant couvrir une course d’athlétisme en s’incrustant dans la course. 

La trame est par contre terriblement laborieuse avec une pseudo critique du journalisme où Dario Fo monte une combine autour d’un concours de chien qu’il va parasiter pour un de ses articles. Le côté social cher au réalisateur fonctionne relativement à travers les deux personnages féminins qui contredisent astucieusement les attentes, la blonde glamour pimpante et superficielle (Franca Rame) dissimulant une figure plus chaleureuse qu’il n’y parait tandis que la brune modeste et introvertie (Giorgia Moll) cèdera à l’attrait matériel. 

L’intérêt se noie malheureusement dans une construction trop décousue, la vraie personnalité comique qu’incarne Dario Fo ne parvenant pas à s’épanouir et à vraiment provoquer le rire malgré les bonnes intentions et l’approche réellement originale. L’échec du film signera d’ailleurs le glas de sa carrière au cinéma (même s’il aura quelques rôles épars par la suite), le voyant privilégier les planches et même l’écriture puisqu’il sera récompensé du Prix Nobel de la littérature en 1997.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa

lundi 21 septembre 2015

Bonjour Miss Dove - Good Morning Miss Dove, Henry Koster (1955)

Miss Dove est une institutrice sévère et respectée qui a su inspirer ses élèves. Un jour, durant ses cours, elle ressent une vive douleur dans le dos. Thomas, un de ses anciens élèves aujourd'hui médecin la fait admettre à l'hôpital. Les visites ininterrompues de ses anciens étudiants la forcent à se replonger dans son passé...

Good Morning, Miss Dove témoigne du virage de la carrière de Jennifer Jones au milieu des années 50 qui bascule progressivement des rôles fiévreux/excentriques qui ont fait sa gloire (Duel au soleil, La Renarde, Ruby Gentry...) pour un registre plus sobre et tout aussi brillant initié à travers des réussites comme Un amour désespéré (1952), Station Terminus (1953) ou La Colline de l'adieu (1955). Cela restait néanmoins des rôles de jeunes premières romantique quand Good Morning, Miss Dove la voit incarner une plus mûre et bienveillante institutrice provinciale. Le film adapte le roman éponyme de Frances Gray Patton, initialement paru sous forme de trois nouvelles (The Terrible Miss Dove, Miss Dove and Judgment Day et Miss Dove and the Maternal Instinct) dans The Ladies Home Journal. Ces origines se devinent dans la construction en épisodes du film où la vieille et emblématique institutrice de la petite ville de Liberty Hill tombée malade voit ressurgir le souvenir de ses différentes expériences passées avec ses élèves.

La scène d'ouverture dessine la véritable figure qu'est Miss Dove au sein de cette communauté lors de son trajet matinal vers l'école et où les environnements traversés, les personnalités rencontrées, se plient à l'autorité que symbolise sa seule présence. Les policiers immobilisent les rues, les parents pressent leurs enfants en apercevant sa frêle et stricte silhouette passer devant leur maison. En montrant une Miss Dove rendu vulnérable par la maladie, le récit fait passer ce respect mêlé de crainte à une vraie affection de la population pour elle. La scène où portée elle est conduite à l'hôpital reprend le procédé de l'ouverture mais en y exprimant cette fois une forme d'angoisse collective liée au sort de Miss Dove et on devinera que le moindre figurant ou personnage secondaire croisé a forcément été l'un de ses anciens élèves.

Les souvenirs affluent donc pour notre héroïne sur sa longue carrière et dépeignent par le prisme de ses élèves un panorama historique et social de l'Amérique : le melting-pot avec cet élève étranger qu'elle aide à s'intégrer, la Grande Dépression, la Seconde Guerre Mondiale, les filles-mères. A l'image de son personnage principal, tous ces épisodes sont abordés avec sobriété et bienveillance, loin du côté mélodramatique appuyé que l'on pourrait trouver dans les grands mélos des 50's.

Jennifer Jones est excellente, faussement rigide et toujours attentive, menant un véritable sacerdoce auquel elle a sacrifié sa vie intime. Le maquillage la vieillissant n'est pas trop grossier et on retrouve la détermination qui caractérise ses interprétation dans un registre tout en sobriété. Les seconds rôles sont à l'avenant notamment un très bon Robert Stack en ex élève devenue médecin.

Un gros problème néanmoins, la grande platitude de la mise en scène d'Henry Koster qui ne dépasse jamais le stade de l'illustration mollassonne notamment la manière basique au possible d'introduire les flashbacks. La dernière partie perd même quasiment tout intérêt par son débordement de bons sentiments, surlignant à gros trait ce que la narration avait sur amener subtilement : l'affection de la ville pour Miss Dove. Sympathique mais un peu trop suranné donc.

Sorti en dvd zone 1 chez Fox et sans sous-titres

samedi 19 septembre 2015

La Menace - Alain Corneau (1977)


Jalouse de l'amour qu'Henri porte à Julie, Dominique se venge en la frappant avant de se jeter d'une falaise. Julie devient alors la suspecte principale. Pour la faire sortir de prison, Henri commence alors à semer de fausses preuves pour pousser la police à le suspecter.

La Menace est le deuxième film de la grande série de polar qui marqua le début de carrière d’Alain Corneau, venant après l’inaugural et salué Police Python 357 (1976) et avant Série Noire (1979) et Le Choix des armes (1981). Corneau dans chacune e ses œuvres redéfinissait avec déférence mais de manière personnelle la dimension de fatalité du polar, la tirant vers le piège implacable dans Police Python 357, la tragédie pour Le Choix des armes ou le pur sordide dans Série Noire. La Menace prolonge donc une première fois le sillon de Police Python 357 tout en s’en démarquant. 

Le poids d’un destin s’avère à la fois concret et flottant à travers la mise en scène de Corneau filmant le couple Yves Montand/Carole Laure en amorce, sous un regard extérieur, qu’il soit celui haineux de l’amante rejetée Dominique (Marie Dubois) où celui plus indistinct de la fatalité qui pèse sur eux. Ces deux regards peuvent être clairement identifiables ou incertains, Corneau jouant tour à tour sur le thriller le plus concret et une dimension plus métaphysique avec des mouvements de caméras circulaires qui emprisonnent les personnages dans d’impressionnants décors naturels. Le scénario piège nos héros dans une suite de hasards improbables jouant une sorte d’effet miroir déformant avec Police Python 357

Le Yves Montand réellement coupable dans le film précédent adopte ainsi une attitude de de secret et dissimulation identique dans La Menace où il est innocent mais où tous les éléments se liguent contre lui. Son attitude sera un défi au destin avec un stratagème alambiqué dont le côté réfléchi rend le personnage plus froid et moins romanesque que dans Police Python. L’émotion fonctionne donc par l’alchimie entre Montand et Carole Laure, sobre et passionnée dans les premiers instants du film puis douloureusement contenue lorsqu’ils mystifieront leurs accusateurs. La première partie pose ainsi la situation (formidable Marie Dubois en amante rejetée et désespérée) et le piège dans une veine sobre, glaciale et étouffante.

La seconde partie prolonge la tragédie en marche mais cette fois la laisse exploser par la seule image, dans les grands espaces canadiens et par l’adrénaline d’une scène d’action impressionnante. Corneau fait ainsi cohabiter un imaginaire policier français blafard et intimiste avant de laisser exploser une inspiration américaine fonctionnant par ces grands espaces convoquant le western et le road movie. Les cascades de Remy Julienne sont époustouflantes (Montand se rappelant au bon souvenir du Salaire de la peur en donnant de sa personne au volant de son semi-remorque), les morceaux de bravoure ne constituant pas un simple aparté spectaculaire mais un vrai prolongement du drame par sa conclusion tragique. Le final noir et mélancolique dresse donc une concrétisation du polar selon Alain Corneau, à la fois dans la tradition et un vrai renouveau qui allait s’exprimer pleinement avec le classique Série Noire

Sorti en dvd zone 2 français chez Studiocanal 

 

Et une vidéo de tournage d'époque

jeudi 17 septembre 2015

Prima della rivoluzione - Bernardo Bertolucci (1964)

Fabrizio, digne représentant de la haute bourgeoisie de Parme, vient de rompre avec Clelia. Influencé par l’un de ses amis, l’instituteur Cesare, il se laisse tenter par les idées marxistes. Agostino, un jeune homme qui s’est enfui de chez ses parents, recherche l’amitié de Fabrizio. Mais ce dernier ne peut l’héberger, car sa tante, Gina, vient lui rendre visite. Créature névrosée entourée d’amants, Gina parvient à le séduire...

Second film de Bernardo Bertolucci après l’inaugural La commare secca (1962), Prima della rivoluzione est pourtant souvent considéré comme sa vraie première œuvre car réellement imprégnée de ses thèmes personnels. En ce début des années 60, Bernardo Bertolucci comme nombre de jeunes gens d’alors est imprégné d’une conscience politique forte se manifestant par son appartenance au Parti Communiste. Les clivages d’alors n’appellent pas à la demi-mesure et provoquent forcément des tiraillements chez certains militants moins « légitime » par leurs origines. Bertolucci, fils du poète Attilio Bertolucci, est ainsi issu de la bourgeoisie intellectuelle italienne et en dépit de ses convictions sincères semble se trouver en porte à faux face au rigorisme du Parti. Il exprimera donc ses doutes et son rapport complexe au communisme dans le très autobiographique Prima della rivoluzione, œuvre à la fois romanesque et intellectuelle librement inspirée de La Chartreuse de Parme de Stendhal.

Fabrizio (Francesco Barilli) est un jeune de la haute bourgeoisie de Parme et qui semble se rebeller contre cet héritage par une adhérence exaltée au marxisme. Dès les premiers instants, le fond et la forme adopté par Bertolucci semble pourtant interroger cet engagement ne fonctionnant que par le discours. Il pilonne ainsi de slogans stérile le jeune fugueur Agostino (Allen Midgette) plutôt que de réellement l’aider matériellement et causant ainsi sa perte. La voix-off maniérée et les attitudes outrées de Fabrizio dans la scène d’ouverture témoignent ainsi de son penchant à l’introspection jamais très loin du narcissisme comme il se séparera de sa fiancée Clelia (Cristina Pariset). Sa seule vraie transgression ne sera donc pas politique mais morale lorsqu’il entamera une liaison scandaleuse avec sa tante Gina (Adriana Asti)  en visite – les futures thématiques incestueuses de La Luna (1979) s’amorçant ici. 

Le film est d’une dualité constante, voulue mais parfois aussi maladroitement involontaire, entre dimension charnelle et intellectuelle. Lorsque ce parti pris est réussi, le frisson du romantisme flamboyant et des scènes charnelles audacieuses fonctionne pleinement. La mise en scène de Bertolucci épouse l’abandon au sens de ses personnages avec brio tout en la ramenant vite à travers le regard de Fabrizio à une facette « réfléchie » (Fabrizio observant Gina se rhabiller après l’amour). La sophistication visuelle amènera toujours une certaine distance témoignant de cette superficialité de Fabrizio dont les penchants narcissiques se complètent parfaitement au caractère torturé de Gina pour constituer un vrai couple autodestructeur. Même dans les moments les plus charmants (Gina séduisant Fabrizio en portant de multiples paires de lunettes, les retrouvailles sur la grande place sur fond de variété italienne), ce sentiment subsiste et ne semble faire de la romance qu’une expérience, un rite de passage.

Dans Le Conformiste (1970), le héros adhérait au fascisme pour se fondre dans le moule et fuir un traumatisme initial. Fabrizio cherche lui à se démarquer par ses thèses marxistes son engagement repose tout autant sur un édifice fragile. Pire, sa jeunesse ne nourrit même pas cette vocation politique d’une vraie expérience personnelle et notre héros se contente ainsi de débiter les grandes citations, mais sans l’assurance de son mentor Cesare (Morando Morandini). Le propos est donc passionnant mais Bertolucci se perd par moment, l’esthétique alternant entre somptueux (la photo magnifique d’Aldo Scavarda notamment lors de la séquence en campagne à l’imagerie impressionniste) et un côté chichiteux qui amène finalement par l’image ce même côté réfléchi et superficiel reproché au personnage principal. 

La forte influence de la Nouvelle Vague (et plus précisément À bout de souffle auquel on pense souvent) et les dialogues lourdement référencés reprenant certains débats issus des pages des Cahiers du Cinéma démarquaient certes le film de la production italienne d’alors mais témoigne ainsi d’un certain manque de personnalité. Bertolucci avoue d’ailleurs dans l’entretien issus du livret du dvd cherchait à affirmer à quel point il se sentait plus un cinéaste français qu’italien à l’époque. La réflexion prime donc peu à peu sur le romanesque en dépit de la prestation magnifique d’Adriana Asti, provoquant un certain ennui dans la seconde partie quand la première tenait d’un équilibre idéal. L’émotion du pourtant terrible renoncement final n’est ainsi pas totalement satisfaisante car diluée par les effets trop appuyé du réalisateur. En dépit de ses maladresses, un essai passionnant qui saura parler à la jeunesse française de Mai 68 se reconnaissant dans les déchirements de Fabrizio. 

Sort en dvd zone 2 français chez Tamasa

mardi 15 septembre 2015

Girl with green eyes - Desmond Davis (1964)

La première douloureuse expérience amoureuse d'une jeune fille qui jette son dévolu sur un écrivain quadragénaire et marie. Sortant d'une école tenue par des religieuses, Kate vit à Dublin avec une amie, et devient la maitresse d’Eugène Gaillard. Mais celui-ci se lasse de Kate qui n'est pour lui qu'une gamine...

Le mouvement du Free Cinema ne s'intéressa pas qu'aux états d'âmes des "angry Young men" mais aussi à l'émancipation des jeunes filles avec ce beau Girl with green eyes. Le film est l'adaptation du roman The Lonely Girl de Edna O'Brien (qui en signe également le scénario), deuxième volet de sa trilogie consacrée aux Filles de la campagne. Edna O'Brien bousculait les mœurs archaïques de la société irlandaise avec cette série d'ouvrage qui dépeignait l'émancipation de Baba et Kate, deux jeunes filles quittant leur campagne irlandaise pour vivre s'installer à Dublin. La modernité du sujet et la liberté de ton des romans provoquèrent un scandale en Irlande notamment par les descriptions sans fard des aventures sexuelles de ses héroïnes. Le film de Desmond Davis est produit deux ans après la parution du roman sous le patronage d'un des maître du Free Cinema, Tony Richardson (Un goût de miel (1961) et La Solitude du coureur de fond (1962) sur lesquels Desmond Davis fut directeur photo).

Kate (Rita Tushingham) et Baba (Lynn Redgrave) sont donc deux jeunes filles ayant à la fois échappé à une existence austère de la vie rurale irlandaise mais aussi de leur éducation en couvent pour venir s'installer à Londres. La délurée Baba suit une formation de dactylo tandis que la plus rêveuse Kate travaille dans une épicerie, le tout au rythme des bals populaire et des sorties insouciantes avec des jeunes hommes tout aussi insouciant. Tout bascule pour Kate avec la rencontre d’Eugene Gaillard (Peter Finch), un homme plus âgé et fascinant qui réveille tous les fantasmes romanesques de la jeune fille. Edna O'Brien qui s'éveilla au monde extérieur par la lecture et se rebella contre ses parents s'identifie donc clairement à Kate, notamment par la description de son attrait pour la lecture puisque l'on voit le personnage lire Tendre est la nuit de F. Scott Fitzgerald et citer James Joyce.

Après une première rencontre en campagne, c'est d'ailleurs en recroisant Eugene dans une librairie qu'elle tombera définitivement sous le charme et le poursuivra de ses assiduités. La fougue et l'innocence de Kate vont pourtant se confronter au caractère taciturne d’Eugene, sous le charme mais après un divorce ne préférant pas s'impliquer dans une romance. Leur apprivoisement mutuel offre certains des plus beaux moments du film, Desmond Davis multipliant les belles idées formelles comme l'invitation écrite de Kate s'incrustant à l'image, le montage faisant rebondir la continuité d'un dialogue d'un lieu à l'autre (effet typique du cinéma moderniste des 60's) ou cette magnifique entrevue au crépuscule face à la mer. Les hésitations de Kate avant sa "première fois" offre de jolis moments aussi, l'expérience ironique et bienveillante de Eugene se complétant à merveille de la maladresse juvénile de Kate.

Le plus grand obstacle à cette romance sera pourtant les entraves de cette société irlandaise où Edna O'Brien renvoie dos à dos les milieux populaires comme nantis. Pour les premiers, la médisance causera les premiers troubles à travers les regards inquisiteurs (une lettre anonyme dénonçant la liaison scandaleuse) et une brutalité archaïque pouvant se réveiller à tout moment, le père de Kate venant avec virulence arracher sa fille à la dépravation de la ville. Kate se confrontera ensuite au snobisme ordinaire et au dédain des amis bourgeois d'Eugene, sa jeunesse et son manque de conversation la renvoyant avec un naturel cruel aux tâches subalternes lors d'une scène anodine.

Tout cela avait été subtilement amorcé en amont tut au long du récit, la fougue de Kate ayant été progressivement éteinte par Eugene plus mentor paternaliste que complice voyant en elle une amante soumise. Kate devra donc apprendre à faire son chemin seule, s'aguerrir par le savoir et l'expérience, par un ailleurs symbolisé par le départ final à Londres lieu de tous les possibles à l'aube du Swinging London. Une belle réussite qui en appellera une plus grande encore deux ans plus tard lors de la seconde collaboration entre Desmond Davis et Edna O'Brien (cette fois sur un scénario original) avec le magnifique I was happy here (1966). Desmond Davis réunira par ailleurs de nouveau le duo Lynn Redgrave/ Rita Tushingham dans Smashing Time (1967) pure comédie pop 60's.

 Sorti en dvd zone 1 chez MGM et doté de sus-titres français