Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 29 décembre 2018

La Fièvre du samedi soir - Saturday Night Fever, John Badham (1977)


Tony Manero, un jeune New-Yorkais italo-américain de 19 ans, tente d'agrémenter sa morne existence dans son quartier de Brooklyn grâce à ses talents de danseur en se rendant chaque samedi soir dans une boîte disco où il est le roi de la fête.

En ce milieu des années 70, le disco est un phénomène partagé entre un succès commercial croissant et une dimension encore underground à travers la faune hétéroclite venant se déhancher en club. Le journaliste et critique musical Nik Cohn va signer en 1975 dans le New York Magazine l’article Tribal Rites of the New Saturday Night, véritable manifeste anthropologique du mouvement. Le producteur Robert Stigwood, en quête d’un projet apte à lancer son poulain John Travolta (déjà populaire à la télévision pour la série Welcome Back, Kotter) tombe sur l’article et décide de produire un film sur cette base. Cette source s’avérera pourtant fausse puisque Nik Cohn avouera quelques années plus tard avoir tout inventé, retranscrivant dans le milieu disco de vraies anecdotes issues du phénomène Mod anglais des 60’s. Le scénariste Norman Wexler s’attèle ainsi à un script qui sorti des atours culturels du disco, se trouve être assez universel dans ces questionnements et plus proche d’un Rocky (1976) que de la superficialité kitsch dans laquelle on range parfois le film – du moins ceux qui ne l’ont pas vu.

Le film s’ouvre sur une vue aérienne de New York qui s’approche bientôt du quartier de Brooklyn. C’est là que déambule sur le rythme de Stayin’ Alive le jeune Tony Manero (John Travolta), fier comme un coq et lorgnant les jeunes femmes passant sous ses yeux. Ce bel élan est atténué lorsqu’il arrive à destination et que l’on découvre son modeste emploi de vendeur de peinture. Cette entrée en matière constitue une métaphore du film où l’éclat du héros est ramené sur terre par cet environnement modeste de Brooklyn. Tony se sent médiocre par rapport à son milieu social, son quartier, dans sa famille face à son frère aîné entré dans les ordres. Le seul lieu où il devient soudainement un dieu regardé avec admiration par les hommes et adulé par les filles, c’est la piste de danse du club 2001 Odyssey. Le jeune homme pataud et complexé glisse soudain avec grâce et assurance sur les martèlements de caisse claire, chevalier de la piste vêtu d’une armure moulante savamment choisie lors d’une scène mémorable. John Badham capture toute la grandiloquence bariolée de ces instants, notamment par le superbe plan-séquence qui accompagne l’entrée de Tony et ses amis dans la discothèque. Le film offre donc un contraste constant entre la démesure des pistes de danses et la nature terne du réel - cette transition saisissante où l'on passe de de la grandiloquence dionysiaque du club à l'exiguïté de la chambre de Tony.

Cette médiocrité s’avère touchante tant dans le complexe d’infériorité de Tony que celui de supériorité de la snob Stéphanie (Karen Lynn Gorney), mythomane s’inventant une vie de strass dans son job de Manhattan. La force du récit tient en son authenticité et si la famille traditionnelle italienne n’est pas dénuée de clichés, l’opposition père/fils illustrant l’aigreur du parent et la vision d’un avenir peu reluisant pour sa progéniture fonctionne en une poignée de scènes. Sans le refuge de la danse, le besoin de reconnaissance de Tony passe par une attitude machiste discutable. La différence avec ses camarades, c’est qu’il en est conscient et ce tiraillement tient dans l’interprétation de John Travolta. 

Tour à tour réticent puis en demande d’une admiration/soumission féminines (la relation amour/haine avec Annette, les coucheries sur la banquette arrière), Tony est un être en quête d’ailleurs et d‘attention (magnifique moment de Travolta au bord des larmes quand Stéphanie lui témoigne enfin de l’affection). Chaque démonstration de vulnérabilité succède à une autre de virilité mal placée et inversement, expression de l’incertitude du héros entre les codes de la rue et ses aspirations. Si certains aspects ont vieillis (la partie guerre des gangs), l’étude de caractères fonctionne réellement, dans la visions des codes machistes donc, mais aussi le racisme sous-jacent de cette communauté italo-américaine (envers les noirs et les hispaniques) et la relation contradictoire à la religion – la culpabilité d’un personnage d’envisager l’avortement pour sa petite amie enceinte.

John Badham livre son lot de visions iconiques, à la fois dans l’émotion contemplative (cette observation chargée d’espoir du pont de Brooklyn) et surtout l’ivresse de la danse. La photo diaphane de Ralf D. Bode baigne d’un halo féérique les pas de danse chaloupés où Badham capture l’hédonisme collectif et la célébration de l’égo de Tony. Contre-plongées sur dandinement de postérieur, travelling virtuose accompagnant les mouvements les plus audacieux et plans d’ensemble majestueux, Badham fond les codes de la comédie musicale dans le disco et décuplera ainsi sa popularité mondiale. 

L’extraordinaire bande-son des Bee Gees (qui avait amorcé ce virage disco avec leur deux albums précédents) parvient à exprimer la furie dansante avec You should be dancing comme le romantisme dans More than a woman ou How deep is your love, tout en distillant une mélancolie palpable dans Stayin’ alive (au texte plus sombre et profond qu’il n’y parait). Cet ensemble forme un tout qui contribuera à l’immense succès du film où l’on capture les questionnements d’une jeunesse bien au-delà de l’argument disco initial, notamment dans la conclusion douce-amère.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Paramount 

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