Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 30 avril 2019

Shin Godzilla - Shin Gojira, Hideaki Anno et Shinji Higuchi (2016)


Un jour, une étrange queue se manifeste dans la baie de Tokyo. Quelques heures plus tard, une créature surgit de la mer et terrorise des quartiers. Une attaque avec hélicoptères contre l'organisme en pleine mutation est organisée, puis annulée ; le monstre en profite pour fuir vers la mer. Lorsque l'animal titanesque refait son apparition sous une toute nouvelle apparence, sa volonté est de détruire le Japon. Le gouvernement japonais va devoir tout tenter pour éliminer la bête géante, surnommée Godzilla.

Devenu avec le temps un emblème de la pop culture japonaise, Godzilla est à l’origine une illustration du traumatisme nucléaire japonais avec cette créature toute puissante et destructrice. Le Godzilla de Ishiro Honda (1955) sorti quelques années à peine après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki était ainsi un film oppressant ravivant sous un angle spectaculaire et mythologique des blessures encore vivaces. Au fil des multiples suites et de la popularité du genre kaiju-eiga, le bestiaire s’est enrichi (le ptérodactyle Rodan, le papillon Mothra, la tortue Gamera) et le passif inquiétant initial s’est parfois dilué dans le divertissement bariolé. Lorsque Shin Godzilla sort en 2016, près de douze ans se sont écoulé depuis le précédent opus de la franchise (si l’on fait exception du remake américain de 2014 signé Gareth Edwards), le plutôt déjanté Godzilla: Final Wars de Ryuhei Kitamura. Un monde en somme puisqu’entre temps la catastrophe nucléaire de Fukushima de 2011 a ravivée toutes les peurs désormais lointaines pour la jeune génération. Shin Godzilla en tient bien évidemment compte et revient de manière passionnante à l’essence sombre de mythe.

Au commande on trouve le très cérébral Hideaki Anno qui malgré quelques excursion live (l’adaptation kitsch du manga Cutey Honey de Go Nagai, l'adaptation de Ryu Murakami Love and Pop (1998)) est surtout connu pour son travail dans l’animation, étant le fondateur du mythique Studio Gainax et le créateur de séries cultes telles que  Neon Genesis Evangelion ou Nadia, le secret de l’eau bleue. On peut donc largement lui attribuer à dimension réflexive du film tandis qu’à la coréalisation il est accompagné de Shinji Higuchi (ayant également débuté dans l’animation) habitué des effets spéciaux et de ce types de logistiques après avoir adapté en live le manga et la série d’animation L’Attaque des titans (2015). L’une des premières surprises de Shin Godzilla est d’être l’anti-film catastrophe dans sa narration et construction. Les apparitions furtives puis spectaculairement concrètes de Godzilla alternent ainsi avec des scènes de bureau où les membres du gouvernement japonais débattent sur la marche  suivre. Il est impossible de ne pas voir dans cette vision une critique des atermoiements réels des dirigeants japonais après le tsunami et l’incident nucléaire de Fukushima. 

En effet le système pyramidal japonais joue à plein ici dans le montage où différents cabinets et ministères se renvoient la balle sans réellement savoir quoi faire. Ces dirigeants hésitants sont cependant omnipotents du fait de leur seule ancienneté quand le jeune assistant (Hiroki Hasegawa) évoquant le premier la possibilité d’une créature est moqué jusqu’à l’apparition effective de Godzilla aux yeux de tous. On sent qu’Anno (qui a dû surmonter cette organisation figée en fondant son propre studio) fustige un Japon sclérosé, où chacun se décharge et renvoie la décision plus haut où trône pourtant un Premier Ministre tout aussi indécis. Certaines scènes s’avèrent explicites à ce titre lorsque des experts biologistes installés seront sans réponses quand une jeune femme moins « gradée » saura donner des éléments plus concrets.

Les cadres fixes, les discours convenus, les postures statiques et les couleurs monochromes de ces séquences de bureau constituent un contrepoint à la menace de Godzilla. Les humains et plus spécifiquement les japonais engoncés dans leurs traditions ne peuvent lutter farce à la forme mouvante de la créature. La première manifestation de Godzilla nous en montre un design assez éloigné de ce que l’on en connaît, rampante, perdue et avançant sans but. L’évolution est cependant au cœur de sa nature, l’être aquatique parvenant à marcher, se redresser et devenir peu à peu le croisement de mammifère et reptile menaçant inscrit dans l’inconscient collectif. Quand les humains n’ont qu’une violence basique à lui opposer, les aptitudes de Godzilla se révèlent à travers son métabolisme mutagène lors de séquences spectaculaires. Une stupéfiante scène d’apocalypse nocturne déploie toute l’emphase cauchemardesque dont est capable Anno et fait également office de catharsis qui « efface » l’ancienne génération. La fascination pour la destruction qui court dans l’œuvre d’Anno trouve toujours son écho dans le tourment intérieur de ses personnages devant y répondre (particulièrement dans Evangelion), et ici symbolisé plus globalement par le Japon moderne.

Le scénario pousse le vice jusqu’à solutionner une nouvelle fois ce problème japonais par une frappe nucléaire sur Tokyo destinée à annihiler Godzilla. La dernière partie du film tend ainsi à une union, à un réveil des forces vives ainsi qu’à l’avènement de jeunes gens qui sauront faire différemment pour répondre au danger. C’est le mimétisme d’un Japon passé ayant plus d’une fois affronté le chaos et la destruction (le séisme du Kanto en 1923, ceux de Kobé en 1995) et qui par son union, son ingéniosité technologique, a toujours sut s’en relever. Après avoir montré les travers qui l’ont parfois perdu, Anno orchestre donc un climax à la fois tendu et ludique pour affirmer le renouveau possible du Japon. Godzilla déchaînait sa furie dans les ténèbres de l’ancien monde, il stoppera sa marche dans la lumière du nouveau. 

Ce renouveau passe d’ailleurs par une ouverture, une hybridation contenue dans les passages où l’on voit le reste du monde aider le Japon, mais aussi par le personnage métissé joué par Satomi Ishihara (représentant tour à tour l’arrogance étrangère et le respect de sa terre natale). Cette hybridation a d’ailleurs cours dans les techniques du film, mélangeant habilement la tradition du cascadeur en costume et des effets numériques très réussis (pas une gageure dans des productions japonaises pas toujours loties à ce niveau). Shin Godzilla est une œuvre passionnante et habile entre imagerie feutrée et spectaculaire pour affirmer son propos. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais doté de sous-titres anglais chez Manga 

dimanche 28 avril 2019

Douce - Claude-Autant-Lara (1943)


À la fin du XIXe siècle, Irène est la gouvernante de la jeune Douce de Bonafé et a pour amant le régisseur Fabien, dont Douce est amoureuse. Fabien voudrait emmener Irène au Canada, mais celle-ci est tentée par l'idée d'épouser le maître de la maison, veuf, le père de Douce. Celle-ci se jette dans les bras de Fabien qui part avec elle et se venge ainsi d'Irène et de ses maîtres, mais il est peu à peu séduit par la jeune fille.

Douce est le second du cycle de quatre films que Claude Autant-Lara tournera avec Odette Joyeux, précédé de Le Mariage de Chiffon et Lettres d’amour (1942), suivi de Sylvie et le fantôme (1946). Cette série de film avait permis à Autant-Lara d’enfin forger une œuvre personnelle et de trouver sa place au sein du cinéma français. C’est néanmoins dans Douce que s’exprime pour la première fois la noirceur propre aux œuvres phares à venir du réalisateur, quand les trois autres films déploient un piquant que l’on ne retrouvera que par intermittences par la suite (notamment dans Occupe-toi d’Amélie (1949)).  Douce réunit (outre Autant-Lara et Odette Joyeux) la fine équipe à l’œuvre précédemment avec le producteur Pierre Guerlais mais aussi le scénariste Jean Aurenche auquel vient s’ajouter Pierre Bost aux dialogues pour ce qui sera le premier jalon de leur fructueuse association. Tous les films du cycle se situe dans un passé aux alentours de la fin du XIXe siècle, une astuce habile dissimulant une critique bien contemporaine de la société d’alors. 

Si Le Mariage de Chiffon venait bousculer un monde figé par les élans modernes et progressistes de ses personnages, Douce scrute un environnement sclérosé où les clivages sociaux sont insurmontables. Le postulat (adapté d’un roman de Michel Davet) pourtant prétexte à un joli vaudeville va ainsi dresser un portrait des plus cinglants. La fatalité est de mise dès la scène d’ouverture où la jeune Douce (Odette Joyeux) confesse à son prêtre sa passion irraisonnée pour Fabien (Roger Pigaut), le régisseur de sa famille. Le religieux n’a qu’une prévention alarmiste à faire qui se confirmera malheureusement dans le récit. 

Le film exprime ainsi par la romance la volonté de rapprochement des gens « d’en haut » vers ceux « d’en bas », soit par une jeunesse pas encore phagocytée par cette séparation des classes pour Douce, soit par des adultes solitaires prêt à la surmonter par amour avec le comte (Jean Debucourt) épris de l’institutrice Irène (Madeleine Robinson). L’oisiveté, le confort matériel et les épreuves de la vie leur ont permis de concevoir cette ouverture quand le dénuement façonne des êtres ivres de ressentiments et/ou guidé par le seul instinct de survie à travers Fabien et Irène. La subsistance à tout prix rend ainsi le bouillonnant Fabien antipathique sous ses traits avantageux, et fait douter d’Irène entre sentiments sincères et un confort matériel qi assurerait son avenir.

Autant-Lara développe ce questionnement en illustrant de diverses manières ce rapport dominant/dominé. L’émancipation/évolution des pauvres ne passent ainsi que par ce rapport aux riches, soit en les volant comme Fabien en début de film, soit en les épousant. Le jeu subtil de Madeleine Robinson exprime ainsi une émotion ambigüe lors que le comte lui déclare sa flamme, où l’on décèle à la fois la soumission (comment refuser les avances d’un personnage aussi important dans sa condition ?), un amour sincère ou alors le calcul. C’est un rapport au monde inéluctable pour Autant-Lara, fonctionnant tout autant entre Irène et Fabien avec ce dernier une fois éconduit qui rappellera à son amante combien elle lui est « redevable » de sa place. Le décor de la maison revêt une grande importance avec un environnement intime des dominés pouvant être épié ou investi à tout moment par les dominants : Irène subit l’intrusion forcée de Fabien dans sa chambre, celle indiscrète de Douce quand elle n’est pas espionnée par la femme de chambre Estelle (Gabrielle Fontan).

Le réalisateur fait ainsi ressentir le sentiment d’insécurité et d’humiliation qui expliquerait un rapprochement social et amoureux factice tout en déployant une candeur et une vulnérabilité à fleur de peau (chez Douce et son père) pour démontrer l’inverse. Les personnages sont moins les fautifs que la société qui les entoure et à ce titre le personnage de la vieille comtesse (Marguerite Moreno) s’avère le plus lucide, la condescendance initialement perçue illustrant un triste ordre des choses. Autant-Lara lui attribue d’ailleurs une réplique controversée avec ce « Je vous souhaite la patience et la résignation » lors de sa tournée de charité, reprenant des termes de la propagande Vichyste envers le peuple français. 

Le désespoir d’une période se reflète donc dans le contexte historique lointain du film et tous les personnages se perdront en voulant transcender ce clivage. Autant-Lara équilibre le drame final entre ces enjeux romanesque et sociaux, le triangle amoureux Douce/Fabien/Irène se perdant par des sentiments tout comme des aspirations matérielles contrariées. En ne choisissant pas entre leur cœur et leur ambition, les personnages se perdront dans un monde resté manichéen. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont

samedi 27 avril 2019

Talons aiguilles - Tacones lejanos, Pedro Almodóvar (1991)


Quand, après des années d'absence, Becky Del Paramo, célèbre chanteuse pop des années 1960, rentre à Madrid, c'est pour trouver sa fille, Rebecca, mariée à un de ses anciens amants, Manuel. Becky comprend vite que le mariage de Rebecca est un naufrage surtout quand Manuel lui propose de reprendre leur ancienne relation. Une nuit, Manuel est assassiné.

Après le film charnière qu’était Attache-moi (1990), Pedro Almodovar amorce sa mue vers un cinéma moins explicitement tapageur et excentrique pour s’orienter vers le mélodrame pur. Cela se vérifie dans le traitement et le ton plus sobre qu’auparavant, c’est moins vrai pour ce qui est de l’intrigue extrêmement dense qui entoure cette relation mère/fille conflictuelle. Un magistral flashback introductif anticipe le drame à venir en observant l’incompatibilité affective entre Rebecca (Victoria Abril) en quête d’attention d’une mère (Marisa Paredes)  artiste star et donc porté par un égoïsme et narcissisme qui sied mal à une vie de famille. Rebecca dès sa tendre enfance est littéralement prête à tout pour s’attacher l’attention de Becky plus préoccupée par sa vie professionnelle et amoureuse  trépidante.

Les retrouvailles avec une Rebecca désormais adulte rejoue cette partition de façon différentes. On retrouve ce décalage dans les attitudes et les regards chargés d’attente de Rebecca tandis que Becky ne semble pas s’être délestée de sa superficialité. L’enjouement presque forcé, les environnements bariolés tant dans les décors que les tenues et situations (le spectacle travesti) témoignent d’un monde factice où cette relation dysfonctionnelle ne s’est pas résolue. Les amants/époux de sa mère étaient pour Rebecca enfant des obstacles à éliminer pour s’accaparer son attention, et à l’âge adulte un « trophée » palliatif face à l’absence/indifférence de celle-ci. Ce n’est plus l’enfant et l’homme de passage qui sont désormais rivaux, mais la mère et la fille pour un crime insoluble dont on s’interroge de la nature sacrificielle et/ou vengeresse. 

Du coup tant que l’on reste au cœur de la complexité de ce lien mère/fille, le film passionne et Victoria Abril/Marisa Paredes sous l’excès font preuve de suffisamment de finesse pour questionner quant aux motivations profonde de leurs actes - notamment quant elles passent par un média "scénique" ou télévisuel, voire des chansons pour s'adresser l'une à l'autre indirectement. Almodovar dans un traitement jouant sur l’émotion plus que sur un vague suspense policier capture ainsi l’idée d’une figure affective fantôme et insaisissable (notamment via le personnage de l’assistante sociale, ou des deux lesbiennes en prison) que représente symboliquement le travesti Letal (Miguel Bosé) et ses avatars dont l’identité se devine assez facilement. 

L’idée est belle mais a tout de même du mal à se greffer (ou met trop de temps à faire sens avec) à la trame principale et semble constituer un film parallèle, bien mené certes mais qui nous éloigne u cœur du récit. C’est dans les dernière minutes une fois les mystères cruciaux comme plus anodins résolus que l’émotion peut enfin pleinement se déployer, Rebecca et Becky réussissant à exprimer un amour réciproque et sans fard. La rancœur, les égos et la rivalité n’ont plus cours dans le superbe plan final où se confond l’étreinte des premières et des dernières fois. 

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo