Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 24 novembre 2020

A Brighter Summer Day - Gu ling jie shao nian sha ren shi jian, Edward Yang (1991)

Taïwan, début des années 1960. Le jeune Xiao Si'r entre au lycée aux cours du soir, au grand dam de son père qui espérait que son fils intègre un établissement plus prestigieux. Il se lie d'amitié avec Cat, Airplane et Tiger, avec qui il fait les quatre cents coups. Autour d'eux s'affrontent deux bandes, Mais Xiao Si'r se tient éloigné de leurs agissements, jusqu'au jour où il fait la connaissance de Ming, dont il tombe amoureux. Or celle-ci est la petite amie de Honey, leader d'un des deux gangs...

Après avoir observé les mues contemporaines de Taïwan dans Tapei Story (1985) et The Terrorizers (1986), Edward Yang recule dans le temps avec son quatrième film A Brighter Summer Day qui se déroule au début des années 60. C’est une période charnière à la fois de façon intime pour le réalisateur mais aussi dans l’histoire de Taïwan. En 1949, Tchang Kaï-chek, premier président de la « République de Chine » s’exile à Taïwan après la prise de pouvoir des communistes menés par Mao Zedong. Une diaspora de chinois prendra le même chemin dont la famille d’Edward Yang qui, né en 1947, est donc adolescent au moment où il situe ce récit en partie autobiographique. Le point d’ancrage du récit est un vrai fait divers survenu à cette époque qui vit un adolescent condamné à mort pour meurtre et qui était un camarade de classe d’Edward Yang. L’histoire dépeint ainsi le cheminement qui mène à ce drame tout en dressant une fresque romanesque scrutant le contexte socio-politique du Taïwan de l’époque. 

Nous suivons le jeune Xiao Sir (Chang Chen) venant d’entrer au lycée. Lui est sa famille sont le symbole des clivages qui agite alors Taïwan. Il est le fils de migrants chinois de deuxième génération, des fonctionnaires lettrés qui ont du mal à se faire à leurs nouvelles conditions de vie modeste. Les infrastructures limitées l’obligent à suivre des cours le soir, ce qui l’expose notamment aux mauvaises fréquentations que constituent les gangs. Les schismes sociaux règnent aussi dans cette guerre des gangs où le groupe des « 217 » représente les Chinois installés à Taïwan avant 1949 et les « Garçons du Petit Parc » ceux arrivés après la prise de pouvoir des communistes. L’histoire s’enclenche sur un évènement plus trivial, Xiao Sir lors d’une expédition punitive aperçoit une jeune fille des 217 flirtant avec un « Garçon du parc », ce qui qui réenclenche les hostilités. Par la suite il va faire connaissance avec Ming (Lisa Yang), petite amie de Honey, chef des « Garçon du parc » porté disparu.

Edward Yang met en parallèle la pression de cet environnement pour les adolescents et les adultes. Taïwan vit alors sous le régime totalitaire de la « terreur blanche », soumettant les lycéens à une discipline rigoureuse et les adultes à une pression constante. Le défilé quotidien de tanks ou la présence d’un militaire gradé au lycée sont les signes les plus visibles mais toutes les actions des personnages sont déterminées par ce cadre. Le père de Xiao Sir (Zhang Guozhu), encore drapé dans sa droiture et fierté de fonctionnaire chinois, peine à faire les concessions et renoncements qui pourraient le faire monter quand sa mère (Elaine Jin) semble plus pragmatique. La fratrie de Xiao Sir cherche une respiration dans les aspirations futures pour sa sœur aînée (Wang Juan) voulant poursuivre ses études aux Etats-Unis, l’apaisement de la religion pour sa sœur cadette (Jiang Xiuqiong) ou flirter dangereusement avec les jeux d’argent pour son frère aîné (Han Chang). 

Les espaces restreints dans lesquels évoluent les protagonistes (le lycée, le foyer, la salle de billard et les rues) témoignent de cet horizon limité mais l’attitude de chacun diffère pour l’étendre. Edward Yang fait cohabiter par la fluidité de sa mise en scène et de son montage une dizaine de personnage (qu’il sait rendre mémorable voir Honey débordant de charisme pour 10 minutes de présence) sans perdre le spectateur. Les situations se répondent (le père de Xiao Sir révolté contre l’administration par une punition injustifiée pour son fils, puis plus tard penaud quand celui-ci sera vraiment en faute) et tisse des lignes thématiques et narratives plus vaste et ambitieuses que ce que ce cadre modeste laissait supposer. Ainsi l’amitié/romance entre Xiao Sir et Ming sert à la fois cet arrière-plan de guerre des gangs, mais aussi la candeur de la romance adolescente avant qu’un final brutal en fasse le symbole de tout le mal-être latent de cette île de Taïwan.

 Le récit est si dense qu’il y a même des strates à ressortir pour certains personnages, comme la finalement énigmatique Ming. C’est la graine de discorde initiale, l’idéal romantique, mais aussi un symbole tragique et déjà cynique de l’instinct de survie nécessaire par ces temps troubles. Le dénuement matériel de Ming est donc plusieurs fois montré tandis que les moyens de s’en sortir discutables sont largement sous-entendus (se place sous la protection de Honey, la possible liaison avec le jeune médecin, l’hébergement par la famille de Ma) mais avec toujours cette zone d’ombre qui crée le mystère – et finalement la tragédie – autour de l’adolescente. 

Tout le film se déploie autour du souffle romanesque lumineux des espoirs juvéniles, et de la réalité ténébreuse de Taïwan qui va bientôt rattraper chacun. Tout se joue finalement dès le début du film où Xiao Sir et un camarade, caché dans l’obscurité d’un grenier d’un studio de cinéma, observent le clinquant d’un tournage. Les rencontres entre Xiao Sir et Ming oscillent de la même manière entre l’éclat des premiers amours dont le frisson se ressent au grand jour (l’échappée au champ de tir), et les doute et rancœurs qui ressurgissent la nuit venue (la sortie d’école où rivaux amoureux et gangs ennemis les scrutent, le final). 

Une scène de vendetta longue et sauvage travaille cette notion de ténèbres profonde pour faire surgir la violence brute, tout comme l’abstraction et l’onirisme de la séquence d’interrogatoire du père de Xiao Sir où le monde extérieur s’estompe pour ne plus faire ressentir que la torture psychologique. Taïwan dont la population est alors soumise quotidiennement à des coupures de courant intempestives est véritablement la métaphore de cela. Xiao Sir navigue constamment entre cette lumière et ces ténèbres, dans son rapport aux autres et à l’institution, aspirant à un idéal qu’il ne peut trouver ni réaliser. 

Rien n’est surligné et tout se déploie avec ampleur dans un rythme hypnotique dans ce film fleuve, un vrai film monde qui nous happe durant ses quatre heures. Edward Yang y fait cohabiter passé vif et douloureux des anciens (les reliques de l’occupation japonaise que sont les armes traînant dans les greniers) et le futur forcément idéalisé des jeunes avec l’invasion de la culture anglo-saxonne dont le rock’n’roll rythme les bals, et dont ce texte de la chanson Are you lonesome tonight d’Elvis Presley donne son titre international au film. Une œuvre magistrale, parmi les meilleures d’Edward Yang et qui marquera le début de sa reconnaissance internationale. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta

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