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samedi 19 février 2022

Le Journal d'une femme de chambre - The Diary of a Chambermaid, Jean Renoir (1946)


 Célestine, une femme de chambre, est engagée dans le château des Lanlaire, en Normandie. Elle va découvrir progressivement une maison et une famille pleines de secrets et de zones d'ombre, dans une atmosphère qui mêle amours, drôlerie, et arrière-fond politique d'un monde encore divisé entre les défenseurs d'une république naissante et ceux qui regrettent le monde passé, d'avant 1789. Les Lanlaire ne vivent que pour leur fils, Georges, gravement malade. Georges s'éprend de Célestine, et sa mère tente de les rapprocher.

Journal d’une femme de chambre est le quatrième film de la période américaine de Jean Renoir, moment compliqué pour le réalisateur qui a du mal à s’intégrer au système studio où il plusieurs de ses œuvres seront remaniées malgré lui. Journal d’une femme de chambre est à l’origine un sulfureux roman d’Octave Mirbeau fustigeant les mœurs bourgeoises avec férocité, notamment tous les travers rattachés à une sexualité perverse. Le contexte historique, la thématique sociale et la tonalité de lutte des classes s’inscrit parfaitement dans les thématiques de Renoir explorées dans des films comme La Règle du jeu (1939), La Grande Illusion (1937) ou plus tard Le Caporal épinglé (1962). L’idée de transposer le roman de Mirabeau trotte très vite dans l’esprit de Renoir dont le premier film Catherine (1924) en reprend déjà officieusement des éléments. Etant entré en possession des droits du livre durant son séjour hollywoodien, Renoir signe le scénario de son adaptation et démarche les studios sans succès pour le financement. Soutenus par ses amis le couple Burgess Meredith et Paulette Goddard, il va monter le projet sous forme de production indépendante grâce à l’apport de : Benedict Bogeaus. Ce dernier est un riche propriétaire immobilier qui souhaite se lancer dans la production et Journal d’une femme de chambre sera son premier projet – il se fera connaître plus tard en produisant les grands westerns de série de la dernière période d’Allan Dwan. 

Dans une œuvre comme La Règle du jeu, les mauvais penchants des maîtres se prolongeaient souvent dans le cercle de leurs domestiques. C’est également un des thèmes centraux du film où lors de la scène d’ouverture, une notion de hiérarchie sociale se joue avant même l’apparition des dominants officiels. Célestine (Paulette Goddard) est toisée telle une bête de somme par Joseph (Francis Lederer), le valet de maison, avant de l’emmener chez les Lanlaire, ses nouveaux patrons. C’en est trop pour Célestine qui défie le valet lorsqu’il rejettera Louise (Irene Ryan) nouvelle cuisinière ne présentant pas assez bien. Il devra les prendre toutes les deux où personne. Il cède étonnamment et fait naître chez Célestine le désir de s’élever à son tour pour ne plus subir l’humiliation des puissants. Elle fait paradoxalement preuve du même mépris de classe en rabrouant plusieurs fois Joseph, le qualifiant de valet indigne de la rabaisser.

La dimension sexuelle du livre est largement atténuée en faisant des nantis, que ce soit le capitaine Lanlaire (Reginald Owen) ou son voisin et antagoniste républicain le capitaine Mauger (Burgess Meredith) avec un traitement plus gentiment grivois que pervers. Célestine y semble constamment hésitante dans ses attitudes, oscillant entre la séduction intéressée et un mouvement de recul face au dégoût que lui inspire ses prétendants. Le comportement le plus révoltant viendra pourtant bien d’un personnage féminin, lors Mme Lanlaire (Judith Anderson l’inoubliable Mrs Danvers de Rebecca) offre littéralement en pâture Célestine à son très torturé fils Georges (Hurd Hatfield) pour le maintenir auprès d’elle. L’analogie au proxénétisme et à la prostitution dans la haute société est explicite, notamment lors de la scène où Mme Lanlaire pare Célestine d’habits de soubrette plus affriolants et susceptibles d’attirer le regard de Georges. Cette idée de porosité entre la dépravation des maîtres et des domestiques fonctionne à plein tant Célestine y trouve son compte et va joyeusement jouer son rôle. 

Les vrais sentiments s’en mêlent et vont bousculer ce constat pessimiste, mais le développement un peu trop rapide de la romance et le manque de charisme de Hurd Hatflield empêchent de pleinement adhérer à la romance. C’est donc surtout la satire qui fonctionne grâce à la prestation enjouée et sensible de Paulette Goddard mais aussi de l’arrière-plan social. Le roman d’Octave Mirbeau fut publié en 1900, en pleine Belle Epoque où l’idée d’un retour à la monarchie semblait désormais inenvisageable.  Ce monde aristocrate vit donc désormais dans une nostalgie morbide de leur grandeur passée, symbolisée par leur argenterie ressortie comme une relique bénie lors des funestes jour de fête nationale du 14 juillet actant le jour de leur chute. La possession de cette argenterie est l’acte qui définit la position de dominant. Célestine en fera un objectif avant d’être rattrapée par l’amour pour un homme de ce milieu qu’elle rejette, et c’est l’impitoyable Joseph (si le personnage perd la caractérisation antisémite du livre, sa raideur et violence névrotique ne masque pas l’analogie au nazisme) qui cèdera définitivement à la monstruosité en voulant se l’approprier. 

Malgré quelques scories narratives, Jean Renoir mène plutôt bien ces jeux de pouvoir et parvient enfin en embrasser une vraie fibre romanesque lors d’un remarquable et spectaculaire climax final durant une scène de foule. A compter dans les réussites de sa période américaine. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sidonis

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