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dimanche 17 juillet 2022

Des filles pour l'armée - Le soldatesse, Valerio Zurlini (1965)

1942, dans la Grèce occupée par les troupes italiennes. Pressé de quitter Athènes en proie à la famine et à la désolation, le lieutenant d’infanterie Gaetano Martino (Tomas Milian) accepte la mission d’escorter des prostituées destinées à rejoindre des bordels militaires de diverses garnisons à travers le pays, jusqu’en Albanie.

Des filles pour l’armée est une des œuvres les plus méconnues de la courte mais précieuse filmographie de Valerio Zurlini. L’un des thèmes majeurs du réalisateur consiste en la confrontation entre les aspirations de ses personnages et un contexte socio-politique amener à les écraser. L’arrière-plan belliqueux rattrape l’atmosphère oisive et brise la romance passionnée de Eté violent (1959), le machisme et le clivage social empêche également les amours de La Fille à la valise (1960) de s’épanouir, et les obstacles se feront de plus en plus métaphysiques et existentiels dans des œuvres comme Le Professeur (1972) et Le Désert des Tartares (1976).

Des filles pour l’armée renoue avec la dimension historique de Eté violent mais en nous plongeant au cœur du conflit plutôt qu’en observant un microcosme de nanti. De même il convoque la dimension féministe de La Fille à la valise mais avec une dureté inhérente à ce contexte. Adaptée d’un roman de Ugo Pirro, l’histoire nous plonge dans les cendres d’une Grèce dévastée après sa défaite face à l’Italie fasciste de Mussolini. L’occupant transalpin profite ainsi de la misère ambiante et exploite les « ressources » locale en enrôlant des jeunes femmes grecques comme prostituées destinées à alimenter les bordels militaires à travers le pays. Le jeune lieutenant Martino (Tomás Milián) est affecté malgré lui à l’escorte d’un de ces groupes de jeunes femmes. L’ouverture montrant le dénuement total de la population grecque après le conflit fait office cause tandis la scène de « sélection » des jeunes femmes est la conséquence. 

La caractérisation des différentes filles opère de façon muette dès cet instant à travers leur réaction face à l’appel de leur nom. Il y a les résignées qui acceptent douloureusement leur destin à la manière de Toula (Lea Massari), les faussement détachées comme Elenitza (Anna Karina) y voyant un moyen de survie comme un autre, et les désespérées telle Eftikia (Marie Laforêt) qui ne peuvent se résoudre à être tombées si bas. Dans cette sorte de road-movie atypique dans l’aridité des montagnes grecques, le groupe traverse ainsi les épreuves physiques comme psychologiques de la guerre en apprenant à se découvrir. 

Martino se montre au départ assez détaché de son convoi, s’éclipsant même durant les haltes où les garnisons font leur choix parmi les femmes destinées à rester. Chaque étape est cependant essentielle quant à sa prise de conscience lorsqu’il entrevoit l’avilissement qui attend les femmes après son départ. Jusque-là leur condition toute horrible soit-elle n’en reste qu’aux mots qui deviennent des maux quand Martino voit une prostituée gavée comme une oie durant un repas afin d’être plus charnue et appétissante pour ces messieurs. Il en va de même dans une autre garnison où la malheureuse élue semble totalement détachée des divers soldats qui s’affairent sur son corps et la maquillent. 

Sa blondeur et son attitude hébétée la rend presque éthérée, un spectre subissant les évènements tandis que les militaires, soldats comme officiers, jeunes comme vieux, semblent avoir perdus toutes empathie pour ne chercher qu’à consommer cette chair et assouvir leurs pulsions. Zurlini fait cependant une différence entre Martino et les autres membres de l’armée croisés. Martino se rapproche finalement des prostituées qu’il escorte dans le fait qu’il porte désormais un regard distant pour se protéger face à toutes les horreurs qu’il a vu. Mais comme le lui rappellera Elenitza, cette misère il n’a fait que la voir quand elles l’on vécues et cette distanciation ne se fait pas en détournant le regard mais en subissant. 

L’attirance qu’il ressent pour Eftikia, le moment où il cède à Elenitza, ne correspondent pas à une exploitation de ces femmes mais plutôt à une fenêtre possible sur l’ailleurs, à un instant d’affection sincère et éphémère dans un monde en ruine. C’est toute la différence avec la chemise noire Alessi (Aleksandar Gavric) voyageant avec eux. Libidineux et profitant de sa position dans les moments apaisés du voyage, il représente toute l’hypocrisie et la couardise fasciste sous la virilité matamore lorsque les évènements tourneront mal. Entre la pureté vouée à l’échec de Martino/Eftikia et le cynisme d’Alessi, il y a un bel entre-deux dans la relation amour-vache du toscan débonnaire Castagnoli (Mario Adorf) et la plantureuse et gouailleuse Ebe (Valeria Moriconi) qui se taquinent, s’invectivent et s’apprivoisent tout au long du film. 

Imparfaits et lucides face à la réalité qui les entoure, ils trouveront dans des éléments pratiques et intimes (les économies que chacun a de côté, le fait qu’ils aient tout deux un enfant) des raisons de se raccrocher et s’aimer qui les poussent à survivre. L’idéalisme de Martino et Eftikia ne leur autorisent pas cet instinct de survie et nous guide vers un grand final poétique et résigné typique du cinéma de Valerio Zurlini. Ce regard cru sur cette période ainsi que le portrait sans fard du fascisme causeront l’échec du film (les années 70 étant plus virulentes quant à l’observation de cette période), restée depuis dans l’ombre des grands Zurlini. 

Ressortie en salle le 20 juillet

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