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dimanche 11 septembre 2022

Temptress Moon - Feng yue, Chen Kaige (1996)

Dans la Chine des années 1920, le clan Pang règne sur le trafic de drogue. À cause de la subite incapacité de son frère, Ruyi prend en main les affaires du clan avec l'aide de son cousin Duanwu. Un chef de triade a Shanghai envoie Zhongliang séduire Ruyi.

Temptress Moon est pour Chen Kaige le film "d'après", celui qui doit suivre le succès et la reconnaissance internationale ainsi que la Palme d'or de son Adieu ma concubine (1993). Le réalisateur semble vraiment dans une démarche de continuité en offrant un spectacle confirmant le faste et l'aura romanesque de Adieu ma concubine. Le budget est doublé par rapport à ce dernier, le travail sur la reconstitution est minutieux (même si le cadre est plus restreint et modeste que celui du film précédent) et l'on réunit les deux stars d'Adieu ma concubine avec Leslie Cheung et Gong Li (même si cette dernière remplaça l'actrice taïwanaise Wang Ching-ying ce qui nécessita de retourner la moitié du film). Très clairement le film est le plus souvent écrasé par cette volonté d'en mettre plein la vue, de faire plus beau et plus grand que son prédécesseur, ce qui ne laisse pas un scénario pourtant passionnant se déployer aisément.

Dans la Chine des années 20, nous allons suivre une romance contrariée entre Ruyi (Gong Li), Zhonglian (Leslie Cheung) et Pang Duanwu (Kevin Lin). Tous trois ont grandi ensemble au sein de du clan Pang, enrichi par le trafic d'opium. Habituée à fumer l'opium dès son plus jeune âge, Ruyi en devient une paria aux yeux des autres ce qui amènera l'annulation d'un mariage arrangé avec une autre famille. Désormais adulte, elle est la seule apte après la mort de son père à prendre en main les affaires de la famille mais ce rejet initial en fait un être en quête d'amour plutôt que de pouvoir. C'est le contraire de Zhonglian malmené par sa sœur et l'époux opiomane (frère de Ruyi) de celle-ci dans son enfance, forcé de s'enfuir à Shanghai où il est désormais un gigolo séduisant et soumettant les femmes mariées au chantage pour la pègre. Quant à Pang Duanwu, il est le cousin éloigné et rabaissé durant l'enfance qui adulte est "assigné" à accompagner et servir Ruyi. Cette approche de triangle amoureux rappelle de nouveau Adieu ma concubine mais Chen Kaige parvient malgré tout à en donner une dynamique nouvelle. Le drame du film naît dans le conflit entre ce qu'ils aspirent, ce qu'on attend d'eux et ce qu'ils sont devenus pour les trois protagonistes. Ruyi est une femme vulnérable qui n'aura jamais la poigne d'un chef de clan, l'enfance meurtrie de Zhonglian en a fait un être cynique et glacial tandis que Pang Duanwu par sa position d'inférieur a appris à étouffer ses sentiments.

Toutes ces contradictions vont éclater quand ils se retrouveront à l'âge adulte, alors que Zhonglian est missionné par un chef de triade pour séduire Ruyi. Noyé sous le faste de ses costumes, le luxe de ses décors et le glamour de son casting, Kaige s'égare malheureusement souvent dans des intrigues et personnages secondaires qui alourdissent l'ensemble sans être suffisamment développé (la sœur de Zhonglian, le chef de triade). On a donc beau en prendre plein les mirettes (la somptueuse photo de Christopher Doyle), le réalisateur tout à son tour de force s'éloigne parfois du cœur émotionnel du film. Quand il y reste cela fonctionne brillamment, notamment la longue séduction entre Zhonglian et Ruyi. La fourberie et l'expérience de séducteur de Zhonglian sont amenés avec brio pour faire tomber la malheureuse Ruyi sous son charme. Mais contrairement aux femmes nanties qui voit autant en lui un objet sexuel (Kaige filmant la confusion de ses femmes se jetant et s'abandonnant avec furie aux bras de Leslie Cheung) que lui un gain financier en elles, Ruyi est d'une totale naïveté et dévotion dans l'expression de ses sentiments.

Kaige crée un constant mimétisme entre les approches maladroites et soumises de Ruyi envers Zhonglian, et celles plus assurées et hypocrite que l'on a vu plus tôt entre lui et ses "victimes". Pourtant Ruyi par sa sincérité ne semble jamais dans cette position, dans ce désespoir (les amantes de Zhonglian lui demandent constamment et fébrilement s'il les aime tout en connaissant la triste réponse) et s'orne toujours d'une aura de femme amoureuse et en attente du même sentiment chez l'autre. Zhonglian entre ces retrouvailles et le souvenir de leur enfance commune vacille et Kaige filme magnifiquement ce moment où le calcul cesse pour laisser la fougue et le désir sincère se révéler. Malheureusement le péché mignon chichiteux n'est jamais loin avec une scène de sexe filmée comme une publicité pour parfum, le maniérisme si équilibré de ses films précédents cédant parfois à une préciosité forcée.

L'autre problème est l'interprétation caricaturale de Kevin Lin en troisième larron du triangle amoureux. Les scènes troubles ne manquent pas (Ruyi qui se dépucèle et s'exerce avec lui avant sa "vraie" nuit auprès de Zhonglian) mais l'acteur n'a que deux expression, l'hébétude niaise quand il est en retrait dans la première partie du film et le rictus mauvais quand il bascule durant la seconde. Le passage de la coupe au bol naïve au petit brushing maléfique est supposé nous faire comprendre le changement. Le rythme languissant et les nombreuses longueurs sont entrecoupés de saisissant moments de noirceur, telle cette scène où Ruyi découvre la "profession" de Zhonglian à Shanghai ou encore une conclusion aussi morbide que celle de Epouses et concubines de Zhang Yimou. Tant que le couple est au centre du récit, c'est captivant, romantique et tragique, porté par les magnifiques prestations de Gong Li et Leslie Cheung. Malheureusement il faut en passer par trop de circonvolutions d'un réalisateur écrasé par sa propre grandeur. Les dix dernières minutes sont bouleversantes et nous laisse néanmoins avec un Chen Kaige à son meilleur.
 

Sorti en dvd zone 1 américain et doté de sous-titres anglais

 

Un making-of d'époque

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