Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 27 mars 2023

C'était un rêve - Kung Mangarap Ka't Magising, Mike de Leon (1977)

Joey a quitté Manille pour faire ses études à Baguio. Ses cours de biologie ne le passionnent guère, il préfère répéter avec son groupe de musique. Un jour, il fait la rencontre d’Ana, une jeune femme également originaire de la capitale, qui va le bouleverser. Mais Ana est mariée et a un enfant…

A l’instar de son ami Lino Brocka, Mike de Leon a dans ses films la volonté profonde d’équilibrer vraies velléités commerciales avec des œuvres personnelles et sociales. Si chez Lino Brocka cette dimension de film de genre s’exprime par les codes d’un certain cinéma fantastique et la tonalité nerveuse du film d’action ou du thriller, le registre de Mike de Leon est plus varié et imprévisible. Sur le papier, C’était un rêve est une bluette romantique et juvénile à l’écrin chatoyant, illuminé par la photogénie de son couple star Christopher de Leon/Hilda Koronel.

Il s’agit de la première strate destinée à attirer effectivement le grand public mais le film a bien plus de chose à dire que cela. La scène d’ouverture montrant le difficile réveil de Joey (Christopher de Leon) montre à quel point aucune des perspectives de sa journée ne l’incite à se lever. On sent malgré son jeune âge une existence contrainte par les obligations scolaires, sociales… Le début du film et ses interactions joyeuses avec ses camarades nous baignent dans le teen movie insouciant, mais l’on sent qu’il y a comme une épée de Damoclès qui plane sur cette indolence. La suite du récit nous montrera que cette menace est double. Tout d’abord existentielle par l’incertitude de Joey quant à son avenir, lui que le carcan des études empêche d’épanouir son âme plus bohème. Il y a aussi la pression sociale de son milieu bourgeois, simplement représenté ici par une conversation téléphonique avec son père, où tout juste âgé de 23 ans il est sommé de savoir quoi faire de sa vie sous peine de se faire couper les vivres.

Cette castration de la jeunesse s’incarne pour les hommes par une voie forcément tracée, tandis que chez les femmes cela se manifestera par un horizon bouché. Ana (Hilda Koronel) est une jeune femme de 22 ans, marié depuis ses dix-sept ans à un homme riche. Le « contrat » de ce cadre de vie aisé est de se plier aux désirs de son époux Freddie et de n’exprimer aucune aspirations dépassant le cadre domestique du couple. Une notion allant de la contrainte géographique, sociale et morale où les tenues vestimentaires, les sorties et fréquentations d’Ana sont soumises au bon vouloir de son conjoint. Il est intéressant de montrer ces entraves sociales par le prisme d’un milieu bourgeois, et la manière différente et complémentaire dont il se traduit pour l’homme et la femme.

Mike de Leon laisse progressivement cette facette se révéler lorsque la confusion entre l’amitié et le flirt chaste de Joey et Ana se révèle peu à peu. Avec la confiance mutuelle et les sentiments refoulés allant plus loin que la sympathie, se dessine à la fois un espace privilégié et la conscience plus marquée de la prison dorée dans laquelle ils dépérissent. L’esthétique de roman-photo confère un romantisme innocent à l’ensemble. Le travail sur les gros plans et les jeux de regard dans les discussions en intérieur alterne avec l’épanouissement et le sentiment de liberté en extérieur (la scène de pique-nique) sans jamais oser franchir le pas du rapprochement physique. La musique comble le fossé de ce qui n’est pas dit, de façon intra-diégétique (les paroles improvisées lors de la scène de pique-nique) et extradiégétique lorsqu’il s’agit d’élever la sentimentalité feutrée et pudique du récit. Le fait de situer l’intrigue en dehors de Manille tout en laissant constamment planer les contraintes qui se rattacher à cette urbanité bourgeoise donne tout son sens au titre C’était un rêve en faisant de cette « brève rencontre » une parenthèse enchantée mais sans lendemain.

Le film est un vrai bel objet plastique assumant bien sa nature surannée, le côté publicitaire et roman-photo passant par la photo de Mike De Leon (et Francis Escaler) qui donne un tour plus doux à ses expérimentations visuelles habituelles. Moins immédiatement captivant que le tourmenté Les Rites de mai, C’était un rêve souffre aussi d’un rythme un peu lent où la pudibonderie de l’ensemble (soumise à la censure locale évidemment) finit par se faire sentir. C’est malgré tout dès ce second film une belle preuve de la versatilité mêlée de cohérence de son réalisateur. 

Sorti en bluray chez Carlotta

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