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dimanche 30 septembre 2012

Lame de fond - Undercurrent, Vincente Minnelli (1946)


Ann Hamilton rencontre un célèbre inventeur, Alan Garroway. Séduite, elle l'épouse et le couple part à Washington. La jeune femme découvre la haute société où elle se trouve mal à l'aise. Puis, les époux déménagent en Virginie. Là, Ann apprend l'existence de Michael, le frère d'Alan. Un mystère plane sur les relations entre ces deux derniers...

Si son nom évoque plus immédiatement le souvenir de ses merveilleuses comédies musicales, Vincente Minnelli aura tout au long de sa carrière alterné son genre de prédilection et la comédie pure avec des incursions plus variées dans le mélodrame dont le plus célèbres reste la satire hollywoodienne Les Ensorcelés. C'est avec ce Undercurrent réalisé en début de carrière que Minnelli élargi pour la première fois sa palette avec ce curieux mélange de thriller et de mélodrame.

Ann Hamilton (Katharine Hepburn) est une jeune femme vivant encore paisiblement auprès de son père scientifique qu'elle assiste, aucun homme n'étant parvenu à la sortir de ce cocon malgré les nombreuses demandes en mariage. La rencontre avec le magnat de l'industrie Alan Garroway (Robert Taylor) va venir bousculer cette quiétude, ce dernier réunissant toute les qualités dont peut rêver une femme : beauté, charisme et intelligence. Mariés au bout de quelques semaines à peine le couple voit pourtant une ombre se dresser progressivement entre eux avec Michael, le frère disparu d'Alan qui révèle des pans plus sombres de la personnalité de celui-ci.

Minnelli fait preuve de son brio narratif habituel pour semer le trouble dans son intrigue et ce dès le début de film faussement idyllique. La rencontre en forme de coup de foudre puis le mariage se font ainsi de manière très (trop) rapide et même si le réalisateur y distille un pur charme de comédie romantique (l'ellipse où le père de Ann compare l'alchimie amoureuse avec celle des composants d'une formule scientifique passant dans un merveilleux enchaînement directement au mariage de Ann et Alan) l'essentiel est que l'on a pas réellement assisté au déroulement de cette relation et que l'on ne sait finalement pas grand-chose du beau et avenant Alan.

Tout le film fonctionne sur ce principe, nous laissant chercher entre ce qui est dit ou ne l'est pas, ce qui est montré ou pas, les personnages auxquels il est fait allusion ou pas. Tous ces mystères concernent bien sûr le grand absent dont la personnalité hante tout le film, Michael le frère mystérieusement volatilisé. Le script fonctionne comme une sorte de Laura où à la place du le seul portrait ce serait divers éléments disséminés de la personnalité de l'absent qui créerait la fascination et le sentiment amoureux à distance. Ainsi alors que son époux lui semble de plus en plus un étranger par son milieu, ses sautes d'humeurs et son cadre (la visite du bureau) impersonnel, Ann est de plus en plus captivée par ce qu'elle découvre de la personnalité Michael bien loin de l'affreuse description qu'on lui en a faite.

 Amateur de poésie, de musique et s'étant constitué un havre de paix chaleureux dans son ranch désormais abandonné, c'est l'homme qu'il lui faut. Ce motif de l'explicite et de l'implicite fonctionne aussi dans la quête du personnage de Katharine Hepburn qui pense chercher le disparu pour résoudre la névrose et le complexe de son époux alors qu'elle est déjà amoureuse sans se l'avouer de l'absent.

Minnelli exprime cette idée visuellement également par la façon dont il dépeint la personnalité de Robert Taylor. Doux et aimant au départ, on ressent progressivement son emprise et sentiment de possession sur Ann au détour d'un dialogue (une scène d'amour anodine où il lui dit passionné qu'elle est à lui et qu'elle ne doit pas l'oublier) ou de situations dont le sens ne se révèleront que plus tard tel cette présentation d'une Hepburn mal fagotée à la haute société de Washington puis une séquence de shopping où elle se réduit à un mannequin de cire façonné par Taylor, "sa" chose.

Michael se dévoilera à nous avec le même sens du mystère, un simple nom au départ, une personnalité avec la découverte de son univers, une ombre fugace puis enfin sous les traits séduisant d'un Robert Mitchum débutant dont le visage nous est jusqu'à la dernière limite en le faisant passer pour un vulgaire figurant secondaire lors de la première entrevue avec Katharine Hepburn qui ignore qui il est.

Minnelli aura progressivement préparé ses jeux de dissimulations/révélations par sa mise en scène qui révèle brutalement l'obsession de Taylor (le mouvement de caméra où Ann se retrouve face à lui au ranch, sa silhouette menaçante apparaissant à la fin lorsqu'elle cherche à s'enfuir) et la photo de Karl Freund qui s'assombrit soudainement quand les questions deviennent trop insistantes, dissimulant la nervosité de l'époux dans la pénombre.

Fort de cette finesse, c'est paradoxalement lorsque le film adopte un suspense plus frontal et classique qu'il convainc le moins malgré un final rondement mené et palpitant au bord d'une falaise. L'interprétation est parfaite avec un Robert Taylor dont l'aisance s'effrite peu à peu pour révéler un dangereux manipulateur, Katharine Hepburn vibrante et passionnée apporte sa finesse coutumière à la progression de son personnage et Robert Mitchum en une poignée de scène démontre déjà tout le magnétisme qui fera de lui la grande star que l'on sait dans les années à venir.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side 

Extrait

samedi 29 septembre 2012

Seize bougies pour Sam - Sixteen Candles, John Hughes (1984)

Samantha, âgée de quinze ans, est amoureuse du garçon le plus populaire de l'école mais c'est le garçon le moins populaire de l'école qui est amoureux d'elle. Sa sœur se marie et, sous le coup de l'excitation, sa famille oublie son anniversaire. Des grands-parents particuliers et un étudiant étranger nommé Long Duc Dong achèveront de faire de cette journée la plus embarrassante qu'ait vécue Samantha.

Si le genre du teen movie naît avec La Fureur de Vivre de Nicholas Ray et trouve ses codes les plus identifiables dans American Graffiti de Georges Lucas, c’est véritablement John Hughes qui lui donnera ses lettres de noblesses avec ses quatre premiers films Sixteen Candles, Breakfast Club, Une créature de rêve et La Folle journée de Ferris Bueller. Jusque-là scénariste très doué pour certaines des meilleures comédies américaine du début des 80’s (dont le génial Bonjour les vacances/National Lampoon’s Vacation) Hughes emprunte au film de Ray cette capacité à donner une vraie tonalité dramatique et empathie aux tourments adolescents et à celui de George Lucas le principe narratif d’unité de temps (qui aura cours dans tous ses films) ainsi que le mélange harmonieux entre comédie insouciante et vraie gravité. Sixteen Candles, premier film de la série offre ainsi un brouillon charmant et attachant de ses préceptes qui seront de plus en plus affinés dans les films suivants (hormis le plus quelconque Une créature de rêve).

Samantha (Molly Grindwald) se réveille pleine d’incertitudes en cette journée d’anniversaire où elle fête ses seize ans. Alors qu’elle s’était imaginée depuis toujours que c’est l’âge où elle atteindrait le sommet de sa beauté et séduction, il ne semble pas y avoir eu de grand changement en elle depuis la veille, elle reste cette fille qui traverse le lycée invisible aux autres et surtout du beau Jake Ryan (Michael Schoeffling) garçon populaire dont elle est amoureuse. Pire, sa propre famille prise par les préparatifs du mariage de sa sœur oublie de lui souhaiter son anniversaire accentuant la déprime de notre héroïne. 

Hughes développe ici ce qui sera un des moteurs du futur Breakfast Club, le rapprochement entre les communautés lycéennes antagonistes. L’approche sera plus audacieuse avec l’installation presque théâtrale de Breakfast Club alors qu’ici cela se fait par une classique comédie romantique. Ainsi malgré leur environnement bien différent, la « normale » Samantha a finalement les mêmes aspirations que le beau gosse lycéen Jake Ryan. Celui-ci sort avec la plus belle fille du lycéen Caroline mais cette dernière fêtarde et délurée ne lui apporte pas la tendresse simple espérée et se met à rêver de Sam lorsqu’il découvre par inadvertance ses sentiments pour lui. L’ensemble du film est donc une suite de rendez-vous manqués et de malentendu entre eux dû à l’entrave de l’image qu’il véhicule et qui les empêche de franchir le pas : Jake est trop beau, trop sûr de lui et charismatique pour Sam tandis que celle-ci paru plus mesurée, intelligente et spirituelle que les filles idiotes qu’il fréquente d’habitude. Ainsi intimidé, ils n’échangeront leurs premiers mots qu’en toute fin de film dans une belle scène de conclusion.  

 Parallèlement nous avons également une figure de « geek » incarnée par Anthony Michael Hall (acteur fétiche de Hughes avec Molly Grindwald) mais Hughes évite les clichés auxquels ce type de personnage est désormais associé (si ce n’est avec ses acolytes en arrière-plan dont un tout jeune et boutonneux John Cusack). L’acteur y est donc certes maladroit avec les filles et un peu risible mais cela est plus dû à sa jeunesse et son inexpérience que d’un réel complexe ou mal être, ses défauts finissant même par séduire la belle Caroline au terme d’une nuit de beuverie. Au contraire Anthony Michael Hall amuse grandement par son assurance et fanfaronnerie déplacée au vu de son allure de gringalet et montre déjà tout ce qui en fera la figure la plus attachante des films de Hughes notamment lors d’un échange plus intimiste avec Molly Grindwald qui anticipe les ambiances feutrées de Breakfast Club.

Tout cela se fait dans un grand tourbillon loufoque où Hughes à coup de personnages (l’étudiant chinois  Long Duc Dong,  les grands-parents) et de situations extravagantes (une boum qui vire à la destruction massive) déploie une énergie et un humour communicatif.  Un joli galop d’essai qui allait se confirmer l’année suivante avec le classique Breakfast Club.

Sorti en dvd zone 2 français chez Universal

vendredi 28 septembre 2012

Victim - Basil Dearden (1961)

Melville Farr (Dirk Bogarde), un avocat londonien réputé et père de famille, mène une vie de couple apparemment heureuse et sans histoire : il va obtenir une promotion et pourrait prétendre à une carrière de juge.Tout change lorsque Jack "Boy" Barrett (Peter McEnery) fait appel à son nom en plein travail. Le passé lui attrape alors. C'est un des anciens amants qui avait volé deux mille trois cent livres à l'entreprise où il travaillait et est désormais recherché par la police. De peur qu'il soit découvert et privé de sa carrière promise, Melville Farr refuse de l'aider.Ne trouvant aucun soutien, Jack est arrêté et refuse de révéler ce qu'il a fait de l'argent avant de se suicider par pendaison dans une cellule au commissariat.Ayant appris cette nouvelle, il est bouleversé et décide de poursuivre la trace des maîtres-chanteurs.

Victim est un film important pour le cinéma anglais puisqu’il est le premier à traiter ouvertement (notamment en prononçant le mot tabou) d’homosexualité. La Grande-Bretagne resta longtemps une des nations occidentale démocratiques les plus répressives envers les homosexuels  avec un passif plutôt violent puisque le penchant était passible de peine de mort (jusqu’en 1836) puis de prison au XIXe siècle avec comme victime emblématique Oscar Wilde. Au moment de la production de Victim, ces lois ont encore cours (bien que pas réellement appliquées par la police) et le message du film tend à les dénoncer en évoquant les dérapages et drames qu’elles peuvent susciter. Pour ce faire, le script intègre son propos à une authentique ambiance de thriller et de film noir les « coupables » d'homosexualité  sont victimes de truands sans scrupules ayant monté un business de chantage particulièrement bien organisé. 

Tous ne sont pas logés à la même enseigne, les plus riches payent les sommes demandés et finissent par avoir la paix tandis que les plus démunis subissent une épuisante pression les obligeant à dénoncer leur semblables s’ils ne peuvent payer. C'est ce qui arrive à un ancien amant du héros incarné par Dirk Bogarde qui pour le protéger se suicide. Ce dernier se sentant coupable de ne pas avoir répondu à ses appels au secours pour préserver sa réputation va alors remonter la piste des maîtres chanteur. Dans un Londres cossu mais néanmoins inquiétant, Dearden instaure une ambiance de paranoïa et de délation palpable, sentiment d'autant plus appuyé lorsqu'on découvrira l'aspect en apparence inoffensif des auteurs du chantage. 

Le film surprend par sa façon frontale d'aborder l'homosexualité, pas de scènes explicites évidemment mais les dialogues sont clairs sont clair sur la chose dont il est question. Cette audace est néanmoins atténué par le fait d’inscrire cette facette du héros comme une faute, une tare issu d’un passé qu’il renie car désormais marié mais qu’il va devoir assumer au fil de l’avancée de son enquête. Dearden use donc aussi de l’angle culpabilisant déjà employé par William Wyler dans La Rumeur (sorti cette même année et abordant aussi le sujet) à travers la tragédie du personnage de Shirley MacLaine. Si l’on peut en parler et dénoncer les abus, l’homosexualité demeure donc encore une tare, une malédiction. 

Cette facette se vérifie avec plus de force encore par l’interprétation puissante de Dirk Bogarde. L’acteur fut la seule star de premier plan à accepter sans hésitation parmi toutes celles auxquelles fut proposées Victim. Homosexuel mais aussi superstars et sex symbol national, l’acteur devait ainsi cloisonner sa vie privée et s’afficher avec de magnifiques créatures féminines pour donner le change de cette image de séducteur. La dimension autobiographique aura donc forcément joué dans sa prestation. La prise de risque paiera puisque ce rôle (pour lequel il recevra le BAFTA du meilleur acteur) l’ouvrira à des prestations plus complexes par la suite notamment par sa collaboration avec Joseph Losey (The Servant, Pour l’exemple).

 Déterminé dans sa quête de vengeance mais tiraillé par ses pulsions contradictoires (et les conséquences que pourraient avoir l'affaire sur son couple et sa carrière), il éclabousse le film de son charisme. Hormis quelques moments parfois trop appuyés (les tirades homophobes assez lourdement amenées pour appuyer le message), l’ensemble offre un récit puissant, lucide et désespéré sur un travers qui se verra corrigé en 1967 par le Sexual Offences Act autorisant lune relation consentante entre hommes de plus de 21 ans. Nul doute que l’accueil positif du film témoin de l’ouverture de de l’opinion sur la question aura aidé à contribuer à cette avancée.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez Carlton et doté de sous-titres anglais.


jeudi 27 septembre 2012

Cérémonie secrète - Secret Ceremony, Joseph Losey (1968)

Leonora, prostituée à Londres, est abordée, lors d'une visite dans un cimetière, par Cenci, jeune et riche héritière qui semble la prendre pour sa mère. Invitée par Cenci dans sa superbe demeure où elle vit seule, Leonora, accepte d'endosser le rôle de Margaret, la mère de Cenci. Les deux femmes, dont l'une a perdu sa fille et l'autre n'accepte pas la mort de sa mère, vont alors jouer à un jeu dangereux aux confins de la folie.

Losey réalise une de ses œuvres les plus déroutantes avec ce Cérémonie Secrète dont la sophistication et la veine psychanalytique l'éloigne quelque peu (au premier abord) des films engagés qui l'établirent enfin aux yeux de la critique au début des années 60 avec The Servant (1963) ou Pour l'exemple (1964). Le projet est amené à Losey par Ingrid Bergman qui rêve de travailler avec lui et qui lui faire lire la courte nouvelle éponyme de l'auteur sud-américain Marco Denevi. Le script qu'en tirera George Tabori sera tellement scabreux qu'Ingrid Bergman renoncera au projet, Losey retrouvant Elizabeth Taylor avec laquelle il vient de tourner Boom dans une veine très proche de ce Cérémonie Secrète et qu'on peut voir comme son film jumeau.

Tout comme dans The Servant ou Accident Losey filme ici un récit d'enfermement et d'aliénation entre deux personnages dans un lieu clos, deux être dont la proximité s'avère aussi addictive que destructrice. Leonora prostituée londonienne (Elizabeth Taylor) va ainsi croiser la route de Cenci (Mia Farrow) jeune héritière aux troubles psychologiques. C'est une perte commune qui va les rapprocher, Leonora a perdu quelques années plus tôt sa fille et ne s'en est jamais vraiment remise tandis que l'esprit perturbé de Cenci résulte de la disparation récente de sa mère à laquelle elle était profondément attachée.

L'ambiguïté du rapport se pose d'emblée par les motifs de cette cohabitation. Leonora va ainsi céder autant par un deuil jamais fait en reconnaissant les traits de sa fille dans ceux de Cenci tandis qu'on découvrira également une ressemblance troublante avec Leonora sur les photos de sa mère et expliquant sa fixette. Pourtant aucune des deux n'est totalement dupe et s'accommode de la situation pour soigner ses blessures.

L'appât du gain n'est ainsi pas absent des motivations de Leonora et son langage populaire dévoilant sa basse extraction éveille plus d'une fois l'attention d'un Cenci sachant bien au fond d'elle que cette femme n'est pas sa mère, de courts moments où son regard se fait moins absent dévoilant une conscience encore vivace. Les rapports de forces et de soumission vont ainsi s'alterner de l'un à l'autre des personnages, Losey retrouvant de manière différente une opposition proche de The Servant où le rapport de classe finira forcément par avoir son importance.

Elizabeth Taylor magnifiquement torturée offre une prestation où son personnage dominateur est progressivement soumis au besoin d'affection de "sa fille". Mia Farrow de nouveau en sorte de femme-enfant assaillie par son environnement est des plus troublantes, maniérée et habillée comme une fillette mais dont la séduction bien adulte jette un voile bien ambigu. Cette facette est introduite par la figure malfaisante de Robert Mitchum dont on devinera qu'il a autrefois séduit une Mia Farrow mineure et consentante, cette dimension pédophile se prolongeant à l'âge adulte lors de scènes provocantes entre eux avec un Mitchum prédateur libidineux (La Nuit du chasseur n'est pas loin) et une Cenci laissant faire, Mia Farrow anticipant sans le savoir son propre drame personnel quelques années plus tard. C'est cette intrusion qui fait surgir le factice de la situation : Cenci n'est plus une fillette mais une jeune femme de 22 ans et cette femme vivant avec elle une étrangère. Leonora, comprenant qu'elle enferme Cenci dans l'enfance pour combler son propre manque va ainsi sacrifier ce rapport malsain.

Losey multiplie les symboles plus ou moins marqués pour appuyer son propos. La dimension religieuse est ainsi omniprésente, entre l'ouverture sur un baptême, la rencontre des deux femmes dans un cimetière, les multiples inserts sur les symboles catholiques telles ces statues d'anges et surtout la figure du christ crucifié lors des derniers instants de Cenci. Ce sont les reflets de cette culpabilité qui au-delà du rapport mère/fille va même dans une direction plus aventureuse d'attirance lesbienne le temps d'une scène.

La maison constitue pratiquement un personnage à part entière illustrant tour à tour une fascination pour une opulence destiné à être détruite (leitmotiv récurrent de Losey), appuyant cette imagerie de l'enfance factice (on croirait par moment être dans une maison de poupée avec ces pièces vides fantômes débordant de luxe) et se faisant l'espace mental de deux esprits à la dérive avec un Losey multipliant les plan-séquences arpentant du sol au plafond le mémorable décor conçu par Richard MacDonald.

La musique de Richard Rodney Bennett joue aussi énormément sur cette atmosphère étrange avec une ritournelle entêtante de boite à musique. Très lent, abstrait torturé et assez hermétique, le film sera un échec qu’Universal mutilera au montage pour sa sortie aux Etats-Unis. Losey saura heureusement sortir de cette mauvaise passe un peu plus tard avec son magnifique Le Messager et pour l'heure signait là un de ses films les plus singuliers et marquants.

Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Films

mercredi 26 septembre 2012

César et Rosalie - Claude Sautet (1972)


Dans le beau cadre de la plage de Noirmoutier un « ménage à trois », avec César, un parvenu hâbleur mais généreux, David, un artiste effacé assez intellectuel qui se régale de la vulnérabilité de son confident, et une Rosalie bovarienne, partagée entre l'homme avec qui elle vit et son amour de jeunesse faisant irruption dans sa vie, qui prend cette thérapie pour une connivence.

Claude Sautet prolongeait dans César et Rosalie son exploration du couple amorcée dans le magnifique film de sa réinvention artistique, Les Choses de la vie. On retrouve ici un triangle amoureux inversé par rapport aux Choses de la vie où ce sont cette fois les hésitations d'une femme au milieu de deux hommes qui la vénèrent qui sera le moteur de l'intrigue. César et Rosalie se démarque également par son ton moins ouvertement dramatique mais tout aussi touchant. Rosalie (Romy Schneider reprenant un rôle initialement écrit pour Catherine Deneuve) est la compagne heureuse de César (Yves Montand) mais l'équilibre du couple est brisé par le retour de David (Sami Frey), amour de jeunesse qu'elle n'a pas revu depuis cinq ans et qui ne l'a pas oublié.

Tout oppose les deux hommes et c'est bien leur qualités et défauts complémentaires qui vont amener les va et vient sentimentaux de Rosalie. César est un "homme du peuple", riche entrepreneur qui s'est fait tout seul au tempérament sanguin et possessif. David est un artiste, dessinateur de bd effacé et ténébreux. La chaleur de César est un bienfait et une malédiction, protectrice et étouffante à la fois. A l'inverse David est doux, attentionné mais finalement trop distant. César poursuivrait Rosalie jusqu'au bout du monde si elle disparaissait avec un autre, David au contraire s'effacerait résigné sans moins l'en aimer pour autant.

 Sautet filme le quotidien lentement se déliter au fil des élans de Romy Schneider de l'un à l'autre de ses prétendants. On admire ainsi les remarquables interprétations d'Yves Montand et Sami Frey qui font de ses archétypes (autant dans le caractère que l'origine sociale) des êtres de chair et de sang. Montand, boule de nerfs incontrôlable et amant généreux alterne ainsi numéros de charme et dérapages violents dévoilant l'angoisse qui ronge cet homme sous son aisance. Sami Frey plus sobre dissimule lui sous son masque froid une tout aussi grande agitation du cœur et c'est par des regards tendres et discrets, des gestes simples que s'exprimera sa passion.

Dans le même ordre d'idée les scènes tendres ou de conflits des deux couples sont captés de manière différente par Sautet. L'amour est sautillant et enlevé entre César et Rosalie (l'ouverture sur les préparatifs du mariage) et les disputes un véritable chaos de violence verbale et physique. Au contraire pas de conflit entre Rosalie et David, les non-dits et ellipses amorçant la séparation avant qu’ils surgissent par une fuite en avant de Sami Frey et la relation amoureuse y est paisible radieuse et laissent les amants s'oublier.

Le script de Sautet et Jean-Loup Dabadie prend des détours étonnants qui vont justement bouleverser cette forme d'équilibre du ménage à trois. D'abord rivaux, les deux amoureux vont comprendre que l'objet de leur attention s'éteint à leur contact en l'absence de l'autre. Si David abandonne bien vite la partie, César prendra les choses en main pour le forcer à partager le quotidien de Rosalie. L'opposition devient complémentarité voire complicité pour les deux hommes où ces amours partagés révèlent le meilleur d'eux même. César perdra de ses élans machos (la partie de poker en début de film) pour être plus attentionné et sacrifier sa fierté en s'effaçant pour son rival quand David se verra forcé à prendre enfin l'initiative.

C'est finalement celle qui se nourrissait de cet interdit et de cette tension qui sera la plus décontenancée, Rosalie. Romy Schneider humanise ainsi enfin cette figure féminine séductrice et mystérieuse en lui instaurant à son tour le doute auquel elle a soumis "ses" hommes. L'actrice fait preuve d'un naturel, d'une sensualité et magnétisme fascinant qui ne rendent jamais antipathique ce personnage libre et s'abandonnant à ses penchants du moment. C'est finalement d'elle que devra venir l'ultime chemin à parcourir, le temps d'une sobre et touchante scène de retrouvailles finale.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal


mardi 25 septembre 2012

Une créature de rêve - Weird Science, John Hughes (1985)


Gary et Wyatt sont deux adolescents sujets de moquerie au lycée et sans succès auprès des filles. En regardant le film Frankenstein Gary a l'idée de créer une femme artificielle à l'aide de l'ordinateur de Wyatt. Le résultat est Lisa, une superbe jeune femme, qui s'avère très délurée et dotée de super-pouvoirs. Afin de les amener à se prendre en main et à retrouver confiance en eux-mêmes, Lisa entraine les deux amis dans une suite d'aventures fantastiques et loufoques.


Une créature de rêve est certainement le plus faible du quatuor gagnant de John Hughes qui donna ses lettres de noblesse au teen movie avec les poignants drôle et toujours juste Sixteen Candles (1984), son chef d’œuvre Breakfast Club (1985) et La Folle Journée de Ferris Bueller (1986) avant de se tourner vers des films plus adultes. Une créature de rêve semble marquer une volonté d’adopter une tonalité plus légère après la veine plus mélodramatique de Sixteen Candles et surtout Breakfast Club. Si les thèmes récurrents de Hughes sur le mal être adolescent sont bien là à travers son duo de héros complexé, l’ambiance est nettement plus loufoque et délirante que les films précédentes.

Le titre original Weird Science s’inspire de la revue du même nom édité au début des années 50 par  EC Comics et qui constituait une sorte d’anthologie de science-fiction peuplée d’histoires délirantes. Le scénario de Hughes est d’ailleurs une modernisation de  Made of the Future un des récits paru dans la revue et signé Al Feldstein et dont le réalisateur approfondi l’argument tout en l’inscrivant dans un contexte lycéen. Wyatt (Ilan Mitchell-Smith) et Gary (Anthony Michael Hall acteur fétiche de Hughes) sont deux lycéens malingres et timides raillés par garçons les plus populaire (dont un tout jeune Robert Downey jr) et ignorés par les jolies filles du lycée qu’ils ne peuvent admirer qu’en secret. C’est le temps d’une soirée ennuyeuse où il regarde Frankenstein que l’idée leur vient : eux aussi vont se fabriquer la fille idéale qui saura les apprécier. 

La couture de monceaux de cadavres est ici remplacée par la réunion de tous les éléments qui peuplent l’imaginaire et le fantasme de ces adolescents afin de créer la fille de leurs rêves, les éléments allant de la revue porno à la photo d’Einstein en passant par l’émission musicale à la mode. Suite à des manipulations informatiques et un coup de pouce de la foudre (l’informatique rudimentaire prête largement à sourire mais l’argument est de toute façon tellement farfelu que cela passe dans le délire de l’ensemble) surgit alors la sculpturale et espiègle Lisa (Kelly LeBrock) qui grâce à ses pouvoirs va prendre en main nos deux larrons.

Lisa fait figure de génie de la lampe des temps modernes qui va peu à peu donner confiance à son duo en les poussant dans leurs derniers retranchements par des situations extravagantes où ils pourront enfin se montrer à leurs avantages. Il y a une jubilation de sale gosse qui s’expriment à certains moment comme lorsque Lisa malmènent les parents coincés de Gary où lorsqu’elle dote le duo de bolides vrombissant ou ils emmèneront leur petites amies. Ce que l’on retient surtout c’est l’avalanche de catastrophe causés par les pouvoir de Lisa où l’on verra surgir une ogive nucléaire dans la chambre de Wyatt, le mobilier de son salon aspiré par la cheminée… L’outrance des situations est des plus amusantes et déploie des effets spéciaux efficaces et surprenants (la créature immonde en laquelle est transformé Bill Paxton), la bande-son 80’s est savoureuse (Oingo Boingo pour le morceau titre, Killing Joke, Wall of Voodoo, Kim Wilde) et le rythme effréné. 

Néanmoins on peut se trouver déçu par le manque de rigueur et d’ambition de l’ensemble où on ne retrouve jamais l’émotion d’un Breakfast Club. Ce n’était sans doute pas le but premier mais Hughes mêlera pourtant brillamment ton cartoonesque et drame dans le suivant La Folle journée de Ferris Bueller dont Weird Science constitue une sorte de brouillon. Ici tout sonne un peu faux, Kelly LeBrock et Anthony Michael Hall s’en sortent bien (elle en sorte de grande soeur rêvée prenant les choses en main, lui toujours aussi attachant) mais Ilan Mitchell-Smith est assez transparent tout comme les personnages des petites amies un peu trop nunuches et laissant froid quant aux couples formés lors de la conclusion.

 On s’amusera de la dimension référentielle disséminée un peu partout comme l’intrusion de ses motards à la Mad Max ou de la présence du physique hors normes de Michael Berryman qui semble reprendre son rôle de La Colline a des yeux. Amusant donc mais c’est clairement le film de Hughes le moins convaincant de sa période dorée et celui qui accuse le plus son âge. La série qui en sera tiré dans les années 90, Code Lisa est finalement bien plus inventive.

Sorti en dvd zone 2 français chez Universal