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samedi 30 novembre 2013

L'Esprit de 45 - The Spirit of '45, Ken Loach (2013)


L'année 1945 a marqué un tournant dans l'histoire de la Grande-Bretagne. L'unité de son peuple pendant les combats de 1939-1945, et le souvenir douloureux de l'entre-deux-guerres ont conduit à l'émergence d'un nouvel idéal social. La fraternité est ainsi devenue le mot d'ordre de cette époque. L'esprit de 45 entend mettre en lumière et rendre hommage à un moment-clé de l'histoire du Royaume-Uni, marqué par un sentiment de solidarité sans précédent dont l'impact a été significatif pendant de nombreuses années, et qui risque pourtant d'être redécouvert aujourd'hui. 

La Part des anges, son excellent dernier film récompensé à Cannes (et son plus positif depuis longtemps) l’an dernier est encore frais dans les esprits que Ken Loach revient déjà avec le documentaire L’Esprit de 45. Ce documentaire évoque la période charnière de l’immédiat après-guerre en Angleterre où un pays vainqueur mais dévasté avait tout à reconstruire. La population  sortait de d’années difficiles entre les bombardements allemands et les privations diverses mais à force de d’abnégation et de solidarité avait su tenir le choc et contribuer à l’effort de guerre (les femmes contribuant à la fabrication d’armes en usines tandis que les hommes étaient au front) pour maintenir le pays hors de l’eau. C’est ce même élan de solidarité qui allait permettre de le pays à partir de cette année 1945 où le cauchemar prenait fin et la vie pouvait reprendre. Loach mélange donc image d’archives nationale et régionale, témoignage d’époque et contemporain pour dépeindre cette période tout en y apposant son point de vue puisque malgré les difficultés L’Esprit de 45 représente une forme de paradis perdu pour lui. On pourrait facilement faire des reproches assez évident au film :  idéalisation d'une époque révolue, raccourcis dans la manière de fustiger le capitalisme moderne. Ce serait une erreur tant à traverses vision d'une réalité sociale crue, le point de vue Loach est constamment guidé par une volonté d'acte militant. Cette vérité et ces injustices doivent être dépeintes avec un esprit coup de poing où la subtilité n'a pas toujours sa place (mais son esprit frondeur est infiniment plus sincère et bien moins narcissique et ambigu qu'un Michael Moore par exemple) l'idéal de ce malgré tout optimise repose donc dans cette période qui le ramène à des images de son enfance (il avait 9 ans en 1945) et forme la source inconsciente de son engagement.

Ken Loach avait récemment ironisé sur la mort de Margaret Thatcher dont il proposa de privatiser les funérailles.  Le réalisateur n’eut de cesse tout au long de sa carrière de fustiger la politique de la Dame de Fer (comme par exemple The Navigators et les conséquences de la privatisation des chemins de fers plaçant les cheminots dans une situation critique) car c’est avec elle que disparait définitivement cet idéal d’une Angleterre unie, se retroussant les manches et avançant collectivement pour faire évoluer sa socio-économique. Avec ses réformes radicales et sans états d’âmes faisant voler en éclats certaines industries emblématiques comme les mineurs, Margaret Thatcher intronisa le libéralisme économique froid et pragmatique ne se préoccupant plus de l’humain. 

L’œuvre de Ken Loach court ainsi constamment après cet idéal de fraternité passée. Dans ses premiers films (et ses productions pour la télévision britannique), Loach marcha tout d’abord sur les traces des chantres du Free Cinema du début des années 60. Ce fut une génération de jeunes réalisateurs (comme Karel Reisz, Lindsay Anderson, Tony Richardson ou John Schlesinger) qui ruèrent dans les brancards pour évoquer le mal être de la jeunesse d’alors bloquée vers une existence conformiste par cette même génération usée qui vécut la guerre et s’accommodait d’une vie médiocre après les privations d’antan. Cela donna quelques classiques du cinéma anglais comme La Solitude du Coureur de Fond (1962), Billy le menteur (1963) ou Samedi soir, dimanche matin (1960).

Suivant ce modèle, les premiers films de Loach s’attèlent alors ainsi souvent à des destins individuels comme la jeune femme paumée de Pas de larmes pour Joy (1967), le petit garçon de Kes (1969) ou l’héroïne brisée par son séjour en hôpital psychiatrique dans Family Life (1971). La faillite vient alors autant du mode de pensée dépassé des adultes que de la société mais avec l’intronisation de Thatcher Loach ira en fustigeant les le système et ses institution de manière de plus en plus virulente.  Ce sont les services sociaux inhumains du bouleversant Ladybird (1994), le travail précaire dans Raining Stones (1993) ou Riff Raff (1990), les conditions de travail intenables des cheminots dans The Navigators (2001). 

Le désespoir total est pourtant souvent évité grâce à cet esprit de 1945 que Loach instaure dans sa descriptions chaleureuse des communautés pauvres où cette solidarité et esprit d’entraide s’est maintenu, à défaut de l’être en plus haut lieu. On retrouve également cette lueur dans les poignantes histoires d’amour capable de naître dans cette adversité comme Carla’s Song (1995) ou plus récemment Just a kiss (2004). Une volonté de s’élever et réussir difficile mais pas forcément inaccessible comme on pouvait le voir dans La Part des anges (2012) justement qui débutait dans la pure violence pour devenir une comédie pleine d’espoir. Pour Loach l’esprit de 1945 doit revenir au centre des préoccupations sans que l’on ait besoin d’une nouvelle guerre pour se soucier du sort de son voisin. Le combat continue.

Sorti en dvd zone 2 français chez  Why Not Productions



jeudi 28 novembre 2013

The Immigrant - James Gray (2013)


1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine. Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution. L’arrivée d’Orlando, illusionniste et cousin de Bruno, lui redonne confiance et l'espoir de jours meilleurs. Mais c'est sans compter sur la jalousie de Bruno...

James Gray se sera avéré tout au long d’une courte mais précieuse filmographie un des cinéastes américain les plus passionnant des 20 dernières années. Au fil des films et en particulier sa trilogie inaugurale de polars (Little Odessa (1994), The Yards (2000) et La Nuit nous appartient (2007)) le réalisme urbain se confrontait à la grande tragédie dans des récits plaçant la famille au centre des enjeux.  Cette famille s’avérait tout à la fois un refuge et une prison pour le héros destiné à constamment renoncer à son individualité. C’est la touchante relation fraternelle de Little Odessa mise à mal par l’activité de tueur de l’aîné (Tim Roth), le repris de justice Mark Wahlberg confrontés aux activités douteuses de sa propre famille dans The Yards et Joachin Phoenix forcé par les circonstances de poursuivre la dynastie policière des siens dans La Nuit nous appartient (2007). 

Ce dernier film avait montré les limites qui se posaient désormais entre la rigueur exigée par le polar et les écarts que pouvait se permettre le grand mélodrame (Joachin Phoenix s’engageant comme flic et sur le terrain pour venger son père en un laps de temps irréaliste…), il était temps de changer de registre. Ce serait le cas avec le flamboyant Two Lovers (2008), porté par un ton plus feutré et intimiste redonnant force à ses thèmes de prédilections.  Dans cette transposition moderne des Nuits Blanches de Dostoïevski, James Gray narrait les amours contrariés d’un Joachin Phoenix à nouveau confronté au choix à cruel entre son aimée (Gwyneth Paltrow) et l’élue de sa famille. Ce contexte réaliste rendait le drame plus sobre, moins forcé et d’autant poignant dans ses envolées (la scène d’amour sur le toit demeure un sommet) dont un final résigné marquant durablement.

Comme souvent avec Gray, un long hiatus devait suivre ce tour de force pour ne revenir que cinq ans plus tard avec The Immigrant. Le mélodrame se mêle à la fresque historique pour accompagner le destin d’Ewa (Marion Cotillard), jeune émigrante polonaise devant subsister dans le New York (même en plongeant dans le passé Gray ne quitte pas sa ville fétiche) des années 20. A peine descendue du bateau après un voyage pénible, Ewa est séparée de sa sœur atteinte de tuberculose et placée en quarantaine. Sans ressources elle doit pourtant gagner sa vie pour soudoyer l’immigration. Le « salut » viendra de Bruno (Joachin Phoenix), bienfaiteur ambigu qui va la contraindre à se prostituer. Comme souvent chez Gray, la famille devient source de sacrifice mais le réalisateur donne à cet adage un tour plus inédit. La sœur à sauver devient un objectif plus abstrait du fait de sa présence limitée au début et à la fin du film et la représentation de la famille se fera étonnement par le personnage de souteneur incarné par Joachin Phoenix. 

Tout le sentiment oppressant représentée par les liens du sang se trouve incarné à travers ce Bruno : il aura beau la livrer à la fange et l’exploiter, il n’en reste pas moins son sauveur/père dans ce pays étranger puisqu’il la sauve de l’expulsion, lui apprend à marcher/donne un travail et l’aide à grandir/gagner sa vie. Tout le cycle de l’éducation et apprentissage parental y passe dans une veine sordide et comme tout enfant, Ewa se sent redevable et reconnaissante envers son « père ». Le message se fait d’autant plus trouble que Bruno (fabuleux Joachin Phoenix sincère dans son ignominie) aime réellement Ewa et paraitrait presque contraint à la plonger à chaque fois plus profondément dans cette situation sordide. 

La dépendance des autres prostituées exprime bien cette dimension paternelle et même si elle s’y refuse et hait Bruno, Ewa a pour Bruno la même soumission et respect innés que les autres héros de Gray pour leurs familles castratrice et étouffante. Les occasions seront ainsi nombreuses d’échapper à sa condition mais entre trahison de sa vraie famille et fuite de l’amour plus sincère d’Orlando (Jeremy Renner) Ewa reviendra toujours dans le giron de Bruno. Là encore la frontière se fait plus trouble lorsque l’héroïne accepte finalement son sort (sans violence ni être forcée) par nécessité et que comme un père, Bruno l’aime sans condition malgré son métier avilissant (où il l’a plongé bien sûr) puisque bien évidemment dans l’idéal l’amour d’un parent est sans condition envers ses enfants.

Formellement c’est peut-être le plus beau film de James Gray avec cette reconstitution somptueuse où plane l’ombre du Parrain II (saga portée sur la famille s’il en est) et Il était une fois en Amérique (1984), portée par la magnifique photo automnale de Darius Khondji et des compositions de plans (celui qui concluant le film est une merveille) grandement inspirées de l’impressionnisme américain et des peintures de New York du début du siècle (George Bellows et Everett Shinn notamment).  L’interprétation est parfaite (une fois de plus très grande Marion Cotillard fragile et déterminée à la fois) et la façon de revisiter ses thèmes par Gray est passionnante. Malgré toutes ces qualités, on ne peut toutefois s’empêcher d’être déçu par ce nouvel opus. Même s’il y pêchait par excès d’emphase, La Nuit nous appartient était un film ardent et vivant, Two Lovers reproduisant cette dimension vibrante dans un contexte plus réaliste mais cédant toujours à de vrai envolées d’émotionnelles. 

Rien de tout cela dans The Immigrant qui malgré d’indéniables moment forts (l’aveu final de Bruno) est  un peu trop mécanique dans son déroulement, artificiel dans ses situations (le triangle amoureux maladroitement exploité) et dont la corde sensible repose plus sur les acteurs que la construction dramatique pourtant le vrai point fort de James Gray. On ne s’ennuie mais l’on n’est jamais transporté non plus comme dans ses œuvres antérieures. Par volonté de sobriété, Gray a finalement pêché par excès de retenue (le défaut inverse de La Nuit nous appartient tout feu tout flamme) avec un film trop austère, pour ne pas dire froid. C’est d’ailleurs assez paradoxal au vu d’une de ses rares conclusions qu’on pourrait qualifier de « positive » pour les protagonistes même si au fond le schéma est le même. L’Amérique est une mère à laquelle l’appartenance et l’amour est tout autant source d’oubli de soi et de sacrifice. 

En salle en ce moment


mercredi 27 novembre 2013

Mister Dynamite - Longxiong hudi ou Armour of God, Jackie Chan (1986)


Jackie Chan, boucanier des temps modernes, découvre une arme médiévale qu'il met en vente avec de nombreux autres trésors. Lors de la mise aux enchères, l'arme suscite l’intérêt d'une mystérieuse jeune femme qui semble déterminée à l’acquérir à  n'importe quel prix.

Mister Dynamite achève la mue entamée par Jackie Chan avec Le Marin des mers de Chine (1982) et Police Story (1985). Exportant son talent d’équilibriste casse-cou hors des sentiers du seul kung fu pian, Jackie Chan devient définitivement un héros universel en investissant le film d’aventures dans Mister Dynamite. Le classique Marin des mers de Chine avait déjà tracé la voie dans ce même genre, mais ce trouvait encore fortement ancré à Hong Kong par le cadre du récit –Hong Kong sous colonisation anglaise au début du XXe siècle et le nationalisme qui en découle dans l’intrigue-, la présence des joyeux drilles des lucky stars (Sammo Hung, Yuen Biao…) qui amenait un humour cantonais bien gras pas forcément exportable. 

Jackie Chan aura appris entretemps à assumer seul le haut de l’affiche mais surtout de se distinguer dans des productions s’occidentalisant de plus en plus. Police Story était ainsi un vrai polar d’action mais laissant encore une large part aux joutes martiales dont l’inoubliable et furieux final dans le centre commercial. Mister Dynamite emprunte une voie plus internationale, que ce soit l’aventure se déroulant en Europe (et un tournage se partageant entre l'Autriche (Graz et Vienne), la Croatie, la France et l’Espagne) et une inspiration lorgnant sur Indiana Jones. 

La scène d’ouverture est d’ailleurs un habile décalque de celle des Aventuriers de l’Arche perdue (1981) avec un Jackie dérobant une relique en plein rituel sacrificiel d’une tribu qui va le traquer dans une scène d’action de haute volée se concluant par le dévalement d’une colline sinueuse  en glissant (imaginez l’ouverture de Police Story avec des humains à la place des voitures..). Ce moment vaudra aussi sa blessure la plus grave à Jackie Chan qui fera une chute de dix mètre tête la première en sautant d'un mur pour s'accrocher à une branche se brisant sous son poids. Six mois d’immobilisation pour la star et des impressionnantes images pour le traditionnel making-of final, la seule trace de l’incident dans le film étant la coupe de cheveux différente de Jackie signifiant le temps écoulé après l’interruption du tournage.

Un des aspects les plus plaisants du film est l’évolution du jeu de Jackie Chan. Ayant fait le tour du rôle de jeune chien fou immature et incontrôlable, l’acteur s’avère particulièrement à l’aise en baroudeur arrogant et séducteur. Il se la jouera même James Bond le temps d’une scène d’escamotage de voiture truffée de gadget mais l’intrigue habile le rend intelligemment plus vulnérable. Jackie affronte une secte ayant enlevée son amour de jeunesse (la belle Rosamund Kwan) en échange d’une armure ancestrale, et l’acteur offre des nuances inédites pour dissimuler la blessure de cet amour perdu le temps de quelques séquences (le sauvetage final ou il la joue rustre). 

Le film néanmoins souffre de quelques menus défauts : Alan Tam constitue un acolyte comique bien moins tordant que les lucky stars, le semblant de romance plaisant avec  Lola Forner est trop survolé et l’intrigue finalement pas si pourvue que cela en action (l’ouverture, la poursuite automobile et le grand final) piétine un peu par moment. Cependant la mise en scène élégante de Jackie Chan mettant bien en valeur les paysages ruraux (magnifique panorama suisses) et le ton change pas mal des stéréotypes habituels (même si on aura le traditionnel quiproquo/cache-cache typique de la comédie cantonaise) des intrigues de Jackie Chan.

On aura tout de même notre grand feu d’artifice final d’action sacrément impressionnant se partageant entre joutes martiale face à une armée d’amazones impitoyable (et des chorégraphies virtuoses) un déluge d’explosion et surtout un incroyable saut dans le vide où Jackie plane pour s’agripper à une montgolfière. 

Un plan large montre l’absence d’artifice visuel pour une cascade absolument stupéfiante qui conclut brillamment le film. Avec ce nouveau succès, Jackie Chan se crée sa troisième franchise après Le Marin des mers de Chine et Police Story puisqu’une suite verra le jour quelques années plus tard avec Opération Condor (1991) et plus récemment l'encore inédit chez nous Chinese Zodiac (2012) où il reprend le rôle du Faucon.

Sorti en dvd zone 2 français et en bluray (dans un combo avec la suite Opération Condor) chez HK Vidéo

mardi 26 novembre 2013

Passeport pour Pimlico - Passport to Pimlico, Henry Cornelius (1949)

A Pimlico, un quartier de Londres, l'explosion d'une bombe, dernier vestige de la guerre, met à jour un trésor du XVe siècle ainsi qu'un édit royal certifiant que Pimlico est la propriété des ducs de Bourgogne. Aucun décret n'ayant annulé depuis cet héritage, les habitants décident de proclamer leur indépendance à l'égard du Royaume-Uni.

Passeport pour Pimlico est une des plus audacieuses productions Ealing de l'époque et témoigne magnifiquement de la capacité du studio se faire un prolongement de la réalité anglaise d'alors dans une tonalité où s'entremêlent la célébration et la critique de cette anglicité. Le pitch audacieux voit Pimlico, un petit quartier de Londres bouleversé par la découverte d'un décret d'Edward IV enterré depuis le XVe siècle en faisant une propriété du Duc de Bourgogne et donc une terre indépendante en pleine Angleterre. Par jeu les habitants vont rapidement défier l'autorité mais seront rapidement dépassé par les enjeux socio-politiques de ce nouveau statut.

Le film arbore un postulat commun à plusieurs productions Ealing, à savoir une petite communauté ligué contre une entité puissante le plus souvent symbolisé par la Grande-Bretagne elle-même. Ce sont les villageois écossais alcoolisés du génial Whisky à gogo (1949), les chansonniers tout aussi avinés de Champagne Charlie (1944) ou encore le village défendant son train à vapeur dans Titfield Thunderbolt (1953), les protagonistes luttant dans ces trois films sur une forme d'autoritarisme de l'état britannique qu'il soit politique ou moral.

Des thèmes cher au scénariste T. E. B. Clarke qui dans Il pleut toujours le dimanche (1947) aura également fait le portrait d'une Angleterre d'après-guerre assez sinistre pour une des productions Ealing les plus sombre. Le film surprend ainsi par ce ton vindicatif faisant sous l'humour du pays une nation sclérosée et autoritaire via l'attitude du gouvernement, mais se moquant aussi dans un sens du côté insulaire et autarcique typiquement anglais par l'attitude fermée des héros quand ils se découvrent malgré eux citoyens bourguignons. Une approche osée qui se rééquilibrera et évitera la froide démonstration par la truculence et l'empathie typique d’Ealing envers ses héros modestes.

Quelques années après la fin de la guerre l'Angleterre est encore un pays sinistré et criblés de dette, les quartiers en ruine (dont celui de Pimlico) venant rappeler le souvenir des difficiles années du Blitz. Une période de privation encore vivace qui explique le sentiment de défi des habitants qui voient là une occasion de s'en sortir mais mettra à jour les dérives du moment avec une foules d'individus louches profitant de cet espace hors la loi pour faire fructifier le marché noir et trafic de bons de rationnement. Derrière la légèreté de l'ensemble vient donc pointer une réalité pas si éloignée encore mais c'est à nouveau la communauté qui sera ici mise en avant pour célébrer l'Angleterre.

Si effectivement le gouvernement est fustigé par son attitude ambiguë (qui les verra affamer et assoiffer Pimlico pour soumettre les dissidents), le peuple ayant survécu par l'entraide et la solidarité est représentée ici par le microcosme des habitants de Pimlico dont l'astuce est louée lors des séquences où il se joue de l'autorité pour assurer leur survie.

Ironiquement, des situations de film de guerre (exactement comme dans Whisky à gogo) sont reprises avec évasion, guet-apens et camouflage pour permettre à nos héros passant sous les barbelés et sortant de nuit de se rationner. Cette solidarité sera même étendue lorsque les denrées arriveront de tout le pays pour aider nos héros. Une habile pirouette scénaristique verra tout de même les rebelles rentrer dans le rang tout en gardant la main, rétablissant intelligemment l'ordre moral cher à Michael Balcon, tatillon patron d’Ealing.

Tout cela ne fonctionnerait par sans un merveilleux casting de monsieur et madame tout le monde attachants à la tête desquels trône le génial Stanley Holloway (ou une tordante Margaret Rutherthord en historienne farfelue). Henry Cornelius qui triomphera plus tard avec la géniale comédie automobile Genevieve (1953) mène l'ensemble à la perfection, autant pour pousser le postulat de départ jusqu'à l'absurde que pour conférer une chaleur et émotion de tous les instants.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa

lundi 25 novembre 2013

Vacances sur ordonnance - Last Holiday, Henry Cass (1950)


Petit ouvrier d'une entreprise de matériel agricole, George Bird apprend de la bouche de son médecin qu'il est atteint d'un mal incurable, la maladie de Lampington. N'ayant pas de famille ou d'amis à qui transmettre ses biens, il réunit ses maigres économies, et décide de passer ses derniers jours dans un hôtel luxueux d'une cité balnéaire. Sur place, un certain nombre de rencontres vont changer sa vie...

Vacances sur ordonnance témoigne de l'ascension d'Alec Guinness dans le cinéma anglais puisqu'après avoir été révélé par David Lean (Les Grandes Espérances (1946) et surtout Oliver Twist (1948) où il campe un extraordinaire Fagin) puis affirmé ses talents de transformiste dans le génial Noblesse Oblige (1949), l'acteur accédait enfin à un premier rôle dans ce beau Last Holiday. Il se plonge ici dans la peau de George Bird, modeste ouvrier dont l'existence s'apprête à être bouleversée.

Un banal examen médical va lui révéler qu'il est atteint d'un mal incurable, la maladie de Lampington, et qu'il ne lui reste que quelques semaines à vivre. Tout le vide de son existence se révèle alors à notre héros célibataire, sans amis ni famille proche et végétant depuis de longues années dans son médiocre emploi de vendeur agricole. Après avoir survécu en automate depuis tant de temps, il décide de vivre enfin pour ses dernières semaines en retirant ses économies et tout quitter s'installer dans le luxueux hôtel d'une station balnéaire.

L'art de la transformation d'Alec Guinness s'exprime magnifiquement ici, habilement guidé par l'intrigue qui le voit passer d'ouvrier insignifiant à résident richissime et mystérieux. Cela passera par l'attitude lorsque George Bird rabrouera un patron le méprisant depuis si longtemps et par la tenue vestimentaire où vestes frustres, pantalons ternes et remontés et chapeau informe son remplacé par une garde-robe plus clinquante tandis que le rasage de sa moustache adoucit ses traits et renforce une prestance insoupçonnée.

Cette mue physique se prolonge ainsi dans le caractère de notre héros naguère effacé mais qui n'ayant plus rien à perdre dit désormais de but en blanc à chacun ce qu'il pense de lui, Lady comme ministre. Sa nature de parvenu allié à ce nouveau caractère désinvolte intriguera forcément les autres clients nantis de l'hôtel qui vont rapidement chercher à percer le secret de ce mystérieux hôte.

Si longtemps endormi dans une situation médiocre, Bird sert au fil des rencontres de révélateur à différents protagonistes engoncés à des degrés divers dans des situations insolubles : une jeune femme (Beatrice Campbell) mariée à un homme endetté et aux activités douteuses (Brian Worth), un inventeur oisif dans l'attente de sa prochaine création (Wilfrid Hyde-White) ou encore une gouvernante (Kay Walsh très touchante) blasée et fermée à toute émotion.

Tous seront bouleversés par leur rencontre avec Bird et lui offriront les opportunités qui ne sont jamais offertes à lui jusqu'ici : l'amour, l'amitié, les emplois prestigieux. Tout cela, Bird ne peut le savourer car n'oubliant jamais que ses jours sont comptés et Alec Guinness distille une mélancolie dans son regard et ses attitudes contenues atténuant constamment la relative légèreté d'un film qui n'a de comédie que le nom.

Le film amène aussi une dimension sociale passionnante par les questionnements qu'il soulève. Les qualités de Bird seront restées invisibles aux autres quand cela avait encore de l'importance pour lui. Le rapprochement et la reconnaissance entre les classes ne semble pouvoir se faire que dans des circonstances exceptionnelles et dans le cas de notre héros être sans lendemain. Le message est ambigu dans sa possibilité à la seconde chance, palpable pour certain (le jeune couple) et inaccessible pour d'autres le plus souvent issue de la classe ouvrière (la servante refusant l'aide de Guinness pour retourner à sa position subalterne).

L'entraide et l'amitié est entraperçue le temps de quelques chaleureuses séquences (les hôtes s'occupant du service lors de la grève) mais largement remise en cause par l'attitude changeante des nantis lors d'un surprenant rebondissement final. C'est cependant la douceur et la bienveillance d'Alec Guinness, au-dessus de tous ces clivages que l'on préférera retenir dans une bouleversante conclusion.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa 

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