Dans la métropole de
Tokyo, l'employé de bureau Shoji Sugiyama se prépare à partir travailler avec
l'aide de sa femme, Masako. Leur seul enfant est mort quelques années
auparavant de maladie. Au cours d'une sortie avec ses amis et collègues, Shoji
passe du temps avec une secrétaire, Kaneko, surnommée "Poisson rouge"
pour ses grands yeux. Peu de temps après, ils ont une relation éphémère. Mais
Masako soupçonne cette liaison…
La montée en puissance du capitalisme, des grandes
corporations et forcément des métiers de col blanc auront grandement nourri la
fiction des années 50. Aux Etats-Unis c’est le cas dans des œuvres caustiques
et virulentes telles que La Blonde Explosive de Frank Tashlin (1957) ou LaTour des Ambitieux de Robert Wise (1956) qui posent un regard cinglant sur
les luttes d’égo et d’ambition ayant cours dans ces entités. Le redressement
économique spectaculaire du Japon à cette période voit ainsi l’essor des
emplois de salarymen et des maux qu’ils
entraînent. Le versant caustique évoqué plus haut trouvera son équivalent dans
le brillant Giants and Toys Yasuzo
Masumura (1958), brûlot dénonçant le cynisme mercantile des corporations.
Printemps précoce se penche plutôt sur les impacts intimes de cette condition
de salary man et pour rester dans la
comparaison avec le cinéma américain, serait à rapproche du mélodrame intimiste
L’Homme au complet gris de Nunnally
Johnson (1956) dans sa description du spleen du col blanc.
L’ouverture dépeint avec acuité la thématique du film, soit
la monotonie, répétitivité de ce quotidien d’employé et ses conséquences sur la
vie personnelle. Sugiyama (Ikebe Ryo) s’extrait laborieusement de son lit, un
jour de travail comme un autre, précédé par son épouse Masako (Awashima
Chikage) dans rituel silencieux de préparatifs matinaux. La suite est faite de
trajets en métro bondés, de tâches fastidieuses et de spécificités plus
typiquement japonaises comme les beuveries et autres parties de mah-jong après
le travail. Autant d’éléments qui éloignent Sugiyama de son foyer et l’amènent
à délaisser sa femme. La raison serait la structure familiale « incomplète »
puisque le couple a perdu un enfant sept ans plus tôt, rendant d’autant plus
vaine cette routine fastidieuse et les efforts fournis. Ozu joue de la répétitivité pour creuser le fossé entre
Sugiyama et Masako à travers les différents retours au domicile du premier.
Dans
chaque scène de ce type, le salon (servant aussi de chambre le soir venu) s’expose
en plan large où attend Masako tandis qu’en voix-off s’annonce le retour de
Sugiyama. Chacun de ces moments dans les différentes variations apportées
distend la relation des époux. L’élément récurrent est l’indifférence de
Sugiyama et l’attitude servile dans le geste mais de plus en plus chargée de rancœur
de Masako dans son expression. Les retours tardifs stimulent la suspicion comme
la colère de Masako (l’arrivée avec d’anciens camarades de guerre avinés), et
ceux à horaires normaux alimentent l’insatisfaction de Sugiyama. Les cadrages,
le découpage et la disposition du couple dans ce domicile conjugal vise
constamment à créer une scission entre eux et tous les prétextes sont bons pour
ne pas se trouver dans la même pièce pour affronter cette indifférence
mutuelle.
Ozu (qui n’avait plus évoqué ce monde du travail depuis sa
période muette) prend ainsi le pouls de cette société japonaise des années 50.
Les revenus modestes, la notion négligeable de l’individu et l’activité
ennuyeuse sont les prétextes à des répliques particulièrement désabusés de ces
salary men, notamment lors d’échanges avec des amis artisans qui au contraire
envient la stabilité de leurs situations. Le personnage de « Poisson Rouge »
(Keiko Kishi) sert de catalyseur à la fois pour l’impasse du couple et celle du
monde professionnel. La liaison qu’elle aura avec Sugiyama met à nu le mal-être
larvé du mariage tandis que sa franchise et son exubérance contraste avec la
résignation éteinte de ses collègues. Son énergie, sa franchise et frivolité
(ce sourire en coin qui dénote dans l’attitude éteinte des collègues au sein du
bureau) permet ainsi une des rares scènes explicitement amoureuse d’Ozu le
temps d’un baiser enlacé, mais révèle également l’hypocrisie de cette
communauté lorsque des collègues viendront (sous couvert de jalousie car rêvant
aussi d’une aventure avec elle) lui faire la morale.
L’arrière-plan sociétal sert donc avant tout la possibilité
d’un rapprochement intime qu’Ozu filme à un rythme méticuleux pour un film de
presque 2h30. Tout comme dans Le Goût du riz au thé vert (1951), la séparation
du couple s’enchevêtre à une mutation professionnelle qui forcera la remise en
question. L’exil rural est aussi l’occasion de retrouvailles loin du tumulte et
des tentations de la ville, l’équilibre intime se conjuguant à une forme de
retour à la tradition et à la pureté que représente cette campagne.
Ressort en salle depuis le 31 juillet
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire