Pages

samedi 30 novembre 2019

John and Mary - Peter Yates (1969)


Dans un appartement moderne de Riverside Drive, à New York. Mary se réveille dans le lit de John, un garçon qu'elle a rencontré la veille dans un bar. Alors qu'il est encore endormi, Mary fouille dans la maison pour en savoir plus sur son mode de vie. John est un jeune homme très méticuleux, alors que Mary est plutôt brouillonne. Elle a un amant occasionnel tandis que lui a mal vécu la séparation d'avec Ruth, un top model. Les deux jeunes gens se plaisent, mais chacun d'eux craint d'être prisonnier d'une nouvelle liaison. Mary quitte la maison et John est désemparé. Il part à sa recherche. En vain, car il ne sait rien d'elle...

Les années soixante amenèrent leur lot de bouleversements sociologiques, notamment dans les rapports homme/femme. Le cinéma, et plus précisément américain, mené par les jeunes loups du Nouvel Hollywood, devait intégrer cette nouvelle donne à leur film. L’exemple le plus parlant serait certainement le Bonnie and Clyde d’Arthur Penn avec son duo de gangsters fragile et glamour à la fois, faisant de Faye Dunaway l’égal de Warren Beatty (implicitement gratifié d’impuissance sexuelle) dans les scènes d’action. Le meilleur terrain de jeu pour témoigner de cette mutation (sexualité libérée, code Hays malmené…) était certainement la comédie romantique, genre audacieux mais timoré en raison de la censure, obligeant les cinéastes à aborder certains thèmes de manière détournée. John and Mary, belle réussite de l’inégal Peter Yates (Bullit, La Guerre de Murphy) en est un bel exemple, pris entre modernité et sentimentalité intemporelle.

Au petit matin, Dustin Hoffman et Mia Farrow se réveillent dans le même lit après une nuit passée ensemble. C’est le point de départ de cette comédie romantique qui inverse le propos en amenant tout le registre de la séduction après l’acte, dans une unité de temps et de lieu épatante (Greenwich Village se dévoilant en toile de fond). Un peu empruntés et méfiants l’un envers l’autre, les deux vont apprendre à se connaître durant la journée qui suit ce qui devait être une coucherie sans lendemain. Yates multiplie les astuces narratives géniales et ludiques : arrêt sur image, flashback dévoilant la rencontre finalement assez quelconque de la veille ou encore le passé des héros, faux flash forward où ils imaginent ce qu’ils feront du reste de leur journée après s’être débarrassés l’un de l’autre. 

Les pensées des héros dévoilées en voix off à des moments clés du film créent un décalage hilarant, que ce soient les tactiques de séduction, les mots mal interprétés qui déclenchent la suspicion des deux côtés (dont un passage tordant où Hoffman soupçonne Farrow de vouloir s’installer chez lui, lorsqu’elle réfléchit au dîner du soir en contemplant ses provisions). Sans vraiment s’en rendre compte, les deux sont tombés amoureux et sont incapables de se « décoller », sentiment renforcé par une intrigue qui ne quitte jamais l’appartement d’Hoffman. Cette contrainte spatiale crée progressivement une fausse nonchalance, un ennui factice tandis que le rapprochement inconscient est lui bien réel.

Le film adopte le mécanisme narratif des comédies romantiques de l’âge d’or hollywoodien, tout en usant des inventions formelles du Nouvel Hollywood, largement influencé par la Nouvelle Vague et notamment par À bout de souffle (la ressemblance physique de Mia Farrow avec Jean Seberg et son fameux look cheveux courts, ou les longs instants oisifs dans l’appartement). L’alchimie entre Hoffman (qui a gardé tout le charme juvénile du Lauréat) et une Mia Farrow absolument craquante (époque Rosemary’s Baby) font le reste. La dimension sexuelle est bien présente sans être appuyée outre mesure. C’est d’ailleurs là une des réussites du film : amener la rencontre par des voies nettement moins conventionnelles qu’auparavant, tout en illustrant la romance naissante par des attitudes et comportements universels. Le contexte a beau se faire plus moderne, au final, la maladresse est la même chez tous les amoureux, quelle que soit l’époque… 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Solaris découverte 

mardi 26 novembre 2019

Matador - Pedro Almodovar (1986)


Diego Montes, un célèbre torero, doit prendre une retraite prématurée après une blessure mal soignée. Maria Cardenal, avocate en criminologie, aime tuer ses amants lors de leurs ébats amoureux. Diego crée une école de tauromachie, car pour lui « arrêter de tuer, c’est arrêter de vivre ». Angel, l’un des élèves de Diego, est un garçon étrange qui souffre de vertiges et de l’autoritarisme d’une mère dévote.

Chez Pedro Almodovar, le désir s’orne souvent d’une dimension rituelle, fétichiste et morbide. Le réalisateur en donne un versant étonnamment lumineux et finalement romantique dans Attache-moi (1989), tandis que les rebondissements sordide de Parle avec elle (2002) ou La piel que habito (2011) reviennent à cette approche. Matador contient déjà tout cela dans une intrigue tortueuse où le polar se mêle à l’étude de caractères, à l’observation d’une passion effrénée.

Le désir est ici une pulsion de mort qui s’exprime de façon très différente selon les protagonistes. Il y a tout d’abord Diego Montes, ancien toréador pour lequel ce fétichisme de la mise à mort fut un métier et dont les réflexes le poursuivent alors qu’il a été forcé de se retirer. Angel (Antonio Banderas), jeune homme étouffé par l’éducation bigote de sa mère ne peut que fantasmer ces élans mortifères sans oser les accomplir. Il tourne autour en étant élève de Montes, en testant sa virilité dans une tentative de viol qu’il ne pourra « assouvir » jusqu’au bout, et enfin en cédant à une volonté autodestructrice en s’accusant des crimes sanglants qui agite la police. C’est ce dernier évènement qui introduit Maria (Assumpta Serna) avocate d’Angel et également tourmentée par un mélange d’obsession amoureuse et des mêmes pulsions de mort, celle que l’on donne et celle que l’on fantasme de vivre. 

Le scénario sème tout d’abord le doute entre réalisation et aspiration à cette mort. La dimension fétichiste est omniprésente et maladive pour chacun des protagonistes quant à cet attrait dérangeant. Dès la scène d’ouverture, Diego se masturbe sur des images de films gores et plus tard se repasse en boucle la vidéo de l’incident de tauromachie qui fut fatale à sa carrière. Le montage alterné met d’ailleurs en parallèle les préceptes d’un cours de tauromachie avec une scène érotique se terminant en assassinat brutal, où la jouissance se dispute à la stupéfaction d’un dernier souffle inattendu. 

Les personnages les plus établis et respectables sont aussi les plus retors, quand Angel en apparence le plus déséquilibré est le seul incapable de franchir le pas de la transgression. La « petite mort » de la jouissance sexuelle lui est impossible, et les velléités de meurtre ne se vivront que par procuration. Même le pourtant bienveillant inspecteur de police (Eusebio Poncela) semble trahir quelques désirs inavoués lorsqu’en vue subjective Almodovar fait traîner son regard sur l’entrejambe et les fessiers des apprentis toréador dans leurs tenues moulantes. Toute l’humanité est en fait construite de cette nature irrationnelle et passionnée (ce que prolonge le personnage d’amoureuse éperdue d’Eva (Eva Cobo)) mais toute la différence se fait dans la manière de l’exprimer.

Diego et Angela se reconnaissent, s’observent et s’apprivoisent tout au long du récit, retardant par le seul plaisir de l’excitation et la frustration le moment de passer à l’acte dans la dernière séquence. Les amorces de rapprochement sont esquivées, l’extase ne pouvant être atteinte symboliquement qu’au moment de l’intrigue où ils s’apprêtent également à être démasqués - mais également dans une forme de connexion avec l’univers, les astres puisqu’intervient une éclipse. Almodovar déploie alors pleinement toute cette imagerie fétichiste où chacun des partenaires se révèle sous son jour le plus solennel (le costume de toréador est de sortie) et suicidaire dans un abandon total. Le réalisateur a un regard à la fois captivé et distant, où l’on ne sait s’il choisit la lumière et la vie avec les personnages juvéniles/innocent qu’il choisit d’épargner, où s’il rêve aussi au plaisir ultime mais fatal qu’illustre un fascinant dernier plan. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Films sans frontières

lundi 25 novembre 2019

Les Félins - René Clément (1964)


Des tueurs, à la solde d’un mari américain trompé, sont à la poursuite de Marc (Alain Delon), l’amant. Celui-ci se réfugie sur la Côte d’Azur et est embauché comme chauffeur par Barbara, une riche Américaine. Il comprend bientôt qu’il n’a pas été choisi au hasard et se trouve plongé au cœur d’une sombre machination.

Les Félins est un thriller lorgnant sur Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot, mais qui anticipe par certains aspects Les Proies de Don Siegel. René Clément construit un thriller psychologique (adapté du roman Joy House de Day Keene) où il reprend de façon moins aboutie mais néanmoins fascinante des éléments de son Plein Soleil (1960). L'ouverture est assez sensationnelle avec un Alain Delon gigolo oisif qui se voit traquer de manière haletante par les hommes de mains d'un mari trompé, dans une course poursuite filmée au cordeau par Clément dont on se demande comment il va maintenir un tel rythme. 

 C’est pour mieux nous surprendre par une rupture de ton quand Delon est embauché chez une riche américaine (Lola Albright) et sa jeune cousine jouée par Jane Fonda. Le film oscille alors entre le quasi fantastique (cadrage déroutant, point de vue subjectif et regard omniscient créant le malaise) et le thriller avec une ambiance sensuelle et oppressante où les deux femmes, par frustration et/ou éveil aux sens se Fonda se disputent les faveurs de Delon. Du comportement de ce dernier envers ses hôtes dépendra son salut tandis qu’il se trouve toujours traqué et aux abois. On peut regretter que ces prémices prometteurs soient un peu gâchés par un scénario si mal structuré. La menace des gangsters se relâche totalement lorsque le film change de direction et enlevant une bonne part de tension. La révélation à mi-film est maladroitement amenée et en cassant l'amorce de fantastique tandis que les ruptures de ton entre légèreté et suspense, si elles constituent l’originalité du film, ne fonctionnent pas toujours. 

Cependant la mise en scène inspirée de Clément maintient constamment l'intérêt et le casting est brillant. Delon est méprisable en souhait en type égoïste manipulateur et Jane Fonda en femme-enfant déséquilibrée et manipulatrice excelle de candeur sournoise. La conclusion cinglante et bouclant la boucle nous laisse sur une note marquante pour une œuvre inégale mais qui aura su nous surprendre de bout en bout.

Sorti en dvd zone 2 français chez René Chateau