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mardi 23 janvier 2024

La Malle de Singapour - China Seas, Tay Garnett (1935)


 Un navire quitte le port de Hong Kong avec à son bord une cargaison d'or qui attire la convoitise des pirates de la mer de Chine. Alan Gaskell est le capitaine du bateau. Deux femmes sont également du voyage, l'une, anglaise distinguée a connu le capitaine autrefois, l'autre, China Doll, est sa dernière conquête, qui ne se résout pas à le quitter.

La Malle de Singapour est le troisième film produit par la MGM (Dans tes bras (1933) et Hollywood Party (1934) le précède, Saratoga (1937) le suivra)) pour capitaliser sur l'attrait et l'alchimie du couple Clark Gable/Jean Harlow inauguré avec le succès de La Belle de Saïgon (1932). Le film se veut d'ailleurs explicitement une variante de La Belle de Saïgon avec ce même mélange d'exotisme, d'aventures, sur fond de triangle amoureux où la caractérisation de Gable et Harlow est presque similaire. Le cœur de Gaskell (Clark Gable) est ainsi partagé entre une China Doll (Jean Harlow) folle d'amour mais dont le manque de distinction et le tempérament orageux le maintien dans la modestie de son environnement social, et la plus élégante Sybil (Rosalind Russell reprenant la fonction qu'occupait Mary Astor dans La Belle de Saïgon) dont la distinction anglaise pourrait au contraire l'élever. 

Sybil représente pour Gaskell à la fois le futur auquel il aspire et le passé qu'il regrette, tous deux ayant dut renoncer des années plus tôt à une relation amoureuse car Sybil était mariée. China Doll symbolise pour Gaskell la médiocrité de son présent mais aussi la conséquence de son passé, la déception amoureuse auprès de Sybil ayant entraîné pour lui une vie plus dissolue où il se rapprocha de China Doll. Il semble ainsi faire une différence sentimentale entre la bagatelle de China Doll et la pureté de son lien à Sybil. Un voyage en bateau les forçant à cohabiter tous les trois va mettre leurs émotions à l'épreuve.

Tay Garnett caractérise à la fois son trio amoureux et plusieurs personnages satellites avec brio, les petites ou grandes histoires de chacun constituant autant de fils rouges que l'on ne perd jamais de vue. Les péripéties du voyage offrent une dynamique efficace faisant naviguer (!) le film entre les genres. D'un côté la facette romantique et screwball met en valeur la gouaille d'une Jean Harlow aussi drôle que touchante dans ses échanges avec Gable ou ses tentatives d'attirer son attention (ou de se contenir en vain en public), et de l'autre l'impressionnante reconstitution met en valeur le dépaysement exotique. La scène d'embarquement est un tour de force de Garnett montrant le grouillement portuaire de Hong Kong, l'affection vacharde entretenue par Gaskell avec son équipage et les indices judicieusement semés sur les passagers plus louches comme Jamesy (Wallace Beery). 

Les soubresauts amoureux créent le liant avec toutes ces ruptures de ton, certains morceaux de bravoures relançant par le spectaculaire ou le suspense les enjeux. Une séquence de tempête où une machine glisse sur le bateau et sème un carnage parmi les ouvriers chinois fait preuve d'un sens du mouvement incroyable, tout comme une attaque de pirate ne lésinant pas sur les morts cruelles et les tortures sadiques.  Dans les moments plus intimistes, Tay Garnett fait ressentir par l'image le fossé des deux couple. Gaskell et Sybil partagent un souvenir, le fantasme de ce qui aurait pu être dans des scènes faisant office de capsules à l'écart du monde et de la vie du bateau quand la rudesse conflictuelle entre Gaskell et China Doll les rattachent au présent. Gaskell se présente à Sybil tel que dans leurs souvenirs, mais assument d'être négligé et faire preuve de son mauvais caractère avec China Doll. La délicatesse romantique de Gaskell/Sybil crée paradoxalement une distance alors que l'agitation Gaskell/China Doll exprime implictement une proximité, une complicité.

L'efficacité narrative est comme souvent magistrale dans ce récit resserré (l'ensemble dure moins de 1h30), ménageant tranches de vie, destinées individuelles (le capitaine déchu joué par Lewis Stone très touchant) et dilemmes moraux. On sent encore la marque Pré-Code dans la conclusion où l'évidence de la finalité sentimentale ne cède pas à un happy-end trop idéal, avec cette ombre judiciaire qui plane. Un divertissement rondement mené, la MGM à son meilleur.

Sorti en dvd all zone chez Warner et disponible en streaming sur Mycanal

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