Pages

mercredi 19 juin 2024

Hot Saturday - William A. Seiter (1932)


 Marysville est une petite ville et pour les jeunes gens la seule sortie est d'aller au bal à Willow Springs, près du lac. Romer Sheffield, qui y a une résidence secondaire, s'éprend de Ruth Brock, une employée de la banque locale. Pour se rapprocher de Ruth, Romer organise une fête un samedi soir. Par hasard Ruth va se retrouver seule quelques heures avec Romer, ce qui va rendre jalouse Eva Randolph, et va la pousser à lancer la rumeur selon laquelle Ruth et Romer auraient passé la nuit ensemble.

Hot Saturday est une production Pré-Code certes moins sulfureuse et vindicative au premier abord que d’autres sorties chez la concurrence (notamment la Warner), mais dont l’intrigue est assez emblématique d’un certain climat régnant à Hollywood. En effet la petite ville du film est un reflet assez passionnant de l’ambiguïté entre permissivité et répression de l’industrie hollywoodienne, que ce soit dans la vitrine ou les coulisses. La recrudescence d’un certain ordre moral, poussé par les scandales de mœurs et les audaces du cinéma muet, façonne les circonstances de la fondation du Code Hays en 1930. Il ne sera strictement appliqué qu’à partir de 1934, créant en ces premières heures du parlant une ère de provocation dénommé Pré-Code à postériori. Dans Hot Saturday, la ville de Marysville est une sorte de métaphore de ce contexte, avec sa jeunesse propre sur elle dans ce cadre provincial étriqué géographiquement comme psychologiquement.

C’est le triomphe des apparences où la jeunesse oscille entre la respectabilité exigée par les adultes et un hédonisme qui s’affirme dans les alcôves de la salle de bal locale. La jeune Ruth (Nancy Carroll) paie son tempérament plus frivole et sa condition sociale modeste pour être plus facilement victime de la désinvolture des hommes et de la calomnie des femmes. Eva (Lilian Bond), fille du directeur de la banque où est employée Ruth, nettement plus libérée mais sachant donner le change a ainsi pour elle son statut quand il s’agira de salir sa rivale. 

William A. Seiter met habilement en parallèle des situations communes aux deux jeunes femmes pour illustrer la différence de pression morale s’exerçant sur elles, conditionnée à leur rang lors des interactions avec leurs parents. Ruth est trop sincère et donc suspectée par sa mère voyant un possible déclassement à travers le déshonneur de sa fille, tandis que son père la soutient. Eva peut masquer son inconvenance pour une simple question de moyens puisqu’elle conduit sa propre voiture (où elle peut flirter en douce avec sa conquête du soir) quand Ruth sera traînée dans la boue en étant simplement ramenée tard chez elle par la voiture d’un homme – l’imagination des témoins suffisant à briser l’intéressée. 

William A. Seiter alterne les environnements où s’exprime cet hédonisme contenu comme la salle de bal, avec les espaces publics inquisiteurs tels ces rues entourées de maison d’où les curieux vous observent et jugent de leur fenêtre. Le personnage de Romer Sheffield (Cary Grant), jeune homme séduisant ne vivant à Marsyville que par intermittences dans sa résidence secondaire, représente une ouverture sur l’extérieur. Sa maison est le cadre de fêtes attirant la jeunesse « pique-assiette » de la ville, mais aussi un refuge pour Ruth après une agression sexuelle. Sous ses airs guillerets, il pose un regard tendre, respectueux et amoureux sur Ruth en élément étranger ouvert, quand les hommes locaux s’avèrent bassement libidineux.

Ce parallèle est donc assez passionnant, et ce d’autant plus quand vient s’ajouter le fait que le film fut celui de la rencontre entre Cary Grant et Randolph Scott. Ici aux prémices de leur statut de star, les deux hommes se rapprochèrent et au point d’habiter ensemble (y compris quelques temps après le premier mariage de Cary Grant) et d’entretenir une relation homosexuelle. Cet envers et endroit de la réalité hollywoodienne traverse forcément l’esprit à la vision du film même si les deux acteurs ne font que s’y croiser. Le personnage de Randolph Scott représente en tout cas ici le visage propret et rassurant du gendre idéal, celui avec lequel le mariage laverait la « souillure » publique. 

Au contraire Cary Grant est l’étranger (au contraire de Scott originaire de la ville) que l’on soupçonne et dont on se méfie tout en l’exploitant, mais qui apporte modernité et ouverture qui sortirait Ruth de sa prison dorée. Sous ses airs inoffensifs, Hot Saturday charrie donc des questionnement passionnants, et quelques situations audacieuses (Ruth « déshabillée » par Randolph Scott). Cary Grant dans son premier leading rôle est épatant (et préfigure sa prestation de On murmure dans la ville (1950)), tandis que Nancy Caroll fait montre d’un charme et d’une fraîcheur de tous les instants. 

Sorti en dvd zone 1 et en bluray anglais et une édition française à venir

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire