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mercredi 7 juillet 2010
Les Désemparés - The Reckless Moment, Max Ophüls (1949)
Dernier film américain de Ophüls, qui opérait là une remarquable synthèse entre entre mélodrame et film noir. Cette rencontre de ces deux grands genre du cinéma hollywoodien se fait par le drame d'une mère de famille campée par Joan Bennett contrainte de couvrir le meurtre accidentel commis par sa fille sur son petit amis peu fréquentable. L'univers du crime vient ensuite se greffer dans le cadre provincial et la cellule familiale par l'intermédiaire du personnage de James Mason, intermédiaire d'un odieux chantage sur Joan Bennett.
Ces frontières bien établies vacillent par le traitement étonnant de Ophuls. L'aspect sophistiqué du film noir intervient le plus souvent dans la maison familiale où les éclairages clair/obscurs et la mise en scène alambiquée à coup de long plans séquences donne un aspect pesant et menaçant. Au contraire les entrevues avec James Mason supposée dangereuse revêtent un aspect lumineux et aérés, avec l'ambiguité qui se prolonge sur les personnages puisque Mason malgré sa fonction s'avère finalement bienveillant alors que Joan Bennett dans sa détermination jusqu'au boutiste à sauver sa famille (scène glaciale à souhait lorsqu'elle se débarrasse du cadavre sur la plage) en parait presque froide et distante.
Tout ces détours sont là pour nous amener vers l'étonnante conclusion, "le méchant" va effectuer le grand sacrifice que la mère s'apprêtait à faire et suite à une déchirante scène de séparation, le final où tout rentre dans l'ordre laisse contre toute attente un goût amer. Le doux foyer nous sera apparu comme une belle cage dorée tant ses limites se seront révélées pour Joan Bennett dans cette situation critique, lui révélant son statut de femme dépendante même cela vient aussi en grande partie de l'état mental du personnage.
Quelques petits défauts quand même, la scène du crime initial est particulièrement mal amenée et il faut la prestation fabuleuse de James Mason pour vraiment faire le lien entre monde du crime (entraperçu à peine) et imagerie banlieusarde americana le faible budget étant sans doute la cause de ce manque de profondeur. Et les très bons bonus m'ont confirmé que c'était une influence majeure de "Loin du Paradis" de Todd Haynes avec une scène identique dans les deux films (celle où Joan Bennett pleure dans son lit reprise par Haynes au même moment dans son film avec Julianne Moore) et en plus anecdotique le servantes noires qui s'appellent Sybill.
Longtemps invisible, le film est sorti dernièrement dans une très belle édition chez Carlotta.
Extrait
Je n'avais jamais entendu parler de ce film auparavant ; de Max Ophüls, je n'ai vu que "La Ronde".
RépondreSupprimerJe me laisserai peut-être tenter par "The Reckless Moment" (pour James Mason, principalement), qui m'a l'air assez différent - plus noir, à vrai dire.
Polar dramatique et une Joan Bennett méconnaissable. James Mason est grand.
RépondreSupprimerPopila si vous êtes sur Paris le film repasse à l'Action Christine vendredi prochain bonne occasion de découvrir. Sinon "Lettre d'une inconnue" en autre film américain de Ophüls devrait beaucoup vous plaire je pense. Sinon oui James Mason est une nouvelle fois immense dans ce film on ne le diras jamais assez ! Et Joan Bennett plus habitué au rôle de femmes "légères" est effectivement étonnante.
RépondreSupprimerPeut-être ajouter que c'est d'après un beau roman paru en France en Série noire "Au pied du mur" de Elizabeth Sanxay Holding.
RépondreSupprimerJ'adore ce film, mais je crois que j'adore tout Ophüls. Ses plans séquences sont de purs envoûtements... Et , dans ce film, c'est véritablement étouffant de voir marcher (glisser?) Joan Bennett derrière des barreaux, des piques de palissades, des haies, des barrières, etc, constamment... Oui, James Mason est grand. Et la dame dans la poignante séquence finale n'est pas mal non plus.
Lisa Fremont
justin, je viens de voir ce film mais je dois me lever très tôt demain. Donc à plus tard le suite. C'est un Max Ophüls inattendu : un beau film noir américain, ça me change du
RépondreSupprimerréalisateur viennois sentimental que je connais. Il faut aussi que je vous parle de Pygmalion.
Bonne soirée
Solange
Merci, concernant Pygmalion j'avais évoqué l'excellente version d'Anthony Asquith et Leslie Howard ici http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/05/pygmalion-bernard-shaws-pygmalion.html
RépondreSupprimermais ne pas oublier - avant Anthony Asquith - la mythologie Grecque :qui inspire Bernard Shaw. Pygmalion est un sculpteur qui tombe amoureux de l'une de ses créatures de marbre et par l'intercession d'un dieu (Zeus, peut-être) ce marbre prend vie et Pygmalion épouse l'objet de sa création. L'amour a ici la double vertu
RépondreSupprimerde redonner vie aux deux protagonistes, comme si Mason avait lui-même été de marbre.
Psychanalyse :
En 1945 les théories de Freud (L'interprétation des rêves date de 1912) ont déjà imprégné l'Amérique et chacun a son "shrink". Mais Freud fuyant le nazisme en 1938 pour se réfugier en Angleterre, je crois que l'Europe — comme ce fut le cas pour internet — aura du retard le voisin d'outre-Atlantique et ce qui paraît
"lourdingue" aujourd'hui, 70 ans plus tard, ne l'était pas en 1945. Je suis persuadée que le public anglais de l'époque n'a pas souri, c'est donc une audace-trouvaille qu'il faut porter au crédit du réalisateur ou du scriptwriter.