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lundi 1 novembre 2010

La Renarde - Gone To Earth, Michael Powell et Emeric Pressburger (1950)

A la fin du XIXe siècle, en Angleterre. Hazel Woodus vit avec son père dans la campagne. Passionnée par les animaux, elle a apprivoisé un petit renard. Au cours d'une balade en forêt, elle fait la connaissance de Jack Reddin, le châtelain du pays.

Paradoxalement, le duo Powell/Pressburger eut beaucoup plus de mal à financer ses projets audacieux durant la période de paix des années 50 qu’au temps où ils oeuvraient pour l’État (trop occupé pour mettre concrètement son nez dans le contenu des films) en temps de guerre. Leur collaboration s’étiola lentement et les films se firent moins grandioses (mais toujours aussi soignés, tel le film de guerre stratégique La Bataille du Rio de la Plata déjà évoqué sur le blog) au point de voir Powell réaliser seul Le Voyeur. La violence du film (pourtant véritable réussite artistique) scandalisa l’opinion et mit Powell au ban de l’industrie britannique. La Renarde (ainsi que le somptueux Les Contes d’Hoffmann l’année suivante) peut donc être considéré comme un des derniers très grands films des Archers (du nom de leur société de production). Powell se montra peu satisfait par la suite du film, du fait de la collaboration difficile avec David O’ Selznick, mais c’est pourtant le mélange de sa sensibilité et de celle du nabab hollywoodien qui offre au film tout son pouvoir magnétique. 

En proie à des difficultés financières, le producteur Alexander Korda se vit contraint de s’associer au légendaire David O’ Selznick lorsqu’il envisagea de lancer la production de son nouveau projet, La Renarde. Celui-ci possède, à juste titre, une aura aussi prestigieuse et mythique que les plus grandes stars et réalisateurs hollywoodiens. Découvreur de talents au flair de génie, on lui doit l’arrivée à Hollywood d'Alfred Hitchcock, l’émergence des Katherine Hepburn, Ingrid Bergman ou encore Vivian Leigh. Il est surtout à l’œuvre derrière certains des plus grands films de l’Âge d’or du cinéma hollywoodien comme Une étoile et née ou encore Autant en emporte le vent. Ce dernier, immense succès au tournage chaotique (qui épuisa pas moins de trois réalisateurs) est en quelque sorte l’aboutissement artistique de la carrière d'O’Selznick, celui auquel tous ses futurs projets devront se mesurer.

Il ne cessera donc par la suite de chercher à égaler ce film mythique, notamment avec Duel au soleil (réalisé par King Vidor en 1946), flamboyant western, aussi sulfureux que visuellement époustouflant, ou encore l’adaptation de L’Adieu aux armes d'Hemingway en 1957. Il ne sera finalement pas étonnant de le voir s’intéresser à une adaptation de La Renarde, tant le roman de Mary Webb recèle tous les éléments de la formule O’Selznick : le triangle amoureux, le cadre rural ainsi que la teneur sulfureuse et érotique véhiculée par le personnage de Jennifer Jones.

Épouse d'O’ Selznick à la ville, elle vit sa carrière lancée par son mari en endossant un type de rôle récurrent qu’on retrouve dans La Renarde (elle fut imposée à Powell et Pressburger). Sa sensualité brûlante et son allure provocante l’ont souvent destinée au rôle de jeune fille innocente et sauvage à la fois, en proie au désir violent des hommes. Son rôle le plus fameux dans le genre reste Duel au Soleil, avant qu’elle ne dévoile un registre plus varié, chez Lubitsch notamment dans La Folle Ingénue. Tous les atouts de la fresque romanesque hypertrophiée qu’affectionne O’Selznick sont donc présents. Pourtant, l’essence du roman de Mary Webb et la présence envoûtante de Jennifer Jones vont permettre à Powell et Pressburger d’y apposer leur sceau.

L’œuvre de Mary Webb dont est adapté La Renarde se caractérise par la fascination qu’elle avait pour la nature. Profondément marquée par son enfance campagnarde dans le Shropshire où elle vécut toute sa vie, elle confère à la nature un statut mystérieux et solennel, en en faisant un personnage à part entière de ses récits. Michael Powell, lui-même imprégné de cet attachement à la beauté rurale anglaise (et randonneur émérite) était donc tout désigné pour mettre en image les écrits de Mary Webb.

Le film s’ouvre et se ferme sur une partie de chasse où « Foxy », le petit renard d'Hazel, est la proie des chiens et de leur maître, signant ainsi l’apparition et la disparition de son héroïne. L'ouverture magistrale à travers la fuite de l’animal dévoile progressivement les atouts visuels du film, avec ses forêts aux arbres imposants et ses clairières plongées dans une pénombre irréelle. Bien que concrètement dénué d’éléments surnaturels, il se dégage une atmosphère de paganisme troublant tout au long du récit.

Excalibur de John Boorman traitait en partie de la disparition de toute cette culture païenne celtique dévouée à la magie et la nature au profit du Dieu monothéiste tout puissant de la religion chrétienne. Antérieur par la date de sortie du film mais postérieur par l’époque qu’il dépeint, La Renarde montre au contraire l’affrontement encore vivace des deux mondes par le déchirement intérieur de Jennifer Jones.

Fille de gitane, Hazel ressent, grâce aux enseignements de sa mère, toute l’harmonie des éléments dévolus aux créatures de la forêt, en être sauvage et indompté. C’est une promesse malheureuse qui scellera son destin : sur la pression de son père, elle jure sur les montagnes d’accepter la demande en mariage du premier qui se présentera. Ce sera le trop prude et timoré Edward Marston (Cyril Cusack), pasteur du village, alors que sa nature volcanique réclamait l’étreinte virile et passionnée de Jack Reddin (David Farrar), châtelain également fou amoureux d’elle. Les deux hommes représentent les deux aspirations contradictoires d'Hazel et les oppositions idéologiques du récit : une vie rangée et acceptée de tous avec le pasteur symbolisant la chrétienté, ou céder aux sirènes du désir avec un David Farrar sans tabous ni inhibitions.

Jennifer Jones livre une prestation incroyable, entre candeur enfantine et provocation sensuelle, à mi-chemin entre l’héroïne incandescente de Duel au soleil et de celle piégée qu’elle interprétera dans Madame Bovary. David Farrar et sa brutalité ténébreuse est tout aussi convaincant, se complétant bien avec la retenue de Cyril Cusack en pasteur.

Powell décrit une Nature se posant en juge et observatrice des événements. Les cadrages et compositions de plan, magnifiés par la photo fabuleuse de Christopher Challis (qui prenait le relais de Jack Cardiff et allait de nouveau faire des merveilles sur Les Contes d'Hoffmann ) sont foisonnants de détails et confèrent une tonalité de rêve éveillé, accentué par le technicolor si particulier du cinéma anglais. Ces aspects fantastiques dans les éclairages vont crescendo tandis que les sentiments se déchaînent.

D’une première partie mystérieuse mais encore relativement sobre, la rencontre secrète entre Hazel et Reddin se voit nimbée d’une lumière de solstice d’été, tandis que la conclusion offre des éclairages rougeoyants et baroques (Autant en emporte le vent n'est pas bien loin). Partout la nature est omniprésente, menaçante et bienveillante à la fois avec ses montagnes imposantes, ses rochers aux formes inédites. La bande son particulièrement fouillée participe de cet onirisme, où le murmure du vent se mêle au chant des oiseaux, accompagné par le score inspiré de Brian Easdale. Rejetée par le conformisme du monde des hommes, et ayant failli à Dame Nature en brisant sa promesse, Hazel paiera le prix fort pour ses hésitations lors d'une ultime partie de chasse pendant laquelle elle tentait de sauver « Foxy ».

Contrairement à ses habitudes, David O’Selznick n’interviendra pas particulièrement durant le tournage mais se montrera fort mécontent du résultat. Il remontera le film pour les USA (rebaptisé The Wild Heart là-bas), fera retourner des scènes par Rouben Mamoulian et ajoutera nombre de gros plans de Jennifer Jones. On comprend la rancune tenace et la faible estime de Powell et Pressburger pour le film. Pourtant, les esprits de la forêt qu’ils ont ressuscités, associés à la grandiloquence d'O’Selznick, imprègnent durablement les rétines pour ce qui demeure un de leurs plus grands films.

Toujours pas sorti en dvd zone 2 français, il existe un zone 2 anglais doté de bonus intéressant (mais non sous titré) aujourd'hui épuisé et qui s'arrache une fortune sur amazon. Film très difficile à voir donc mais il existe une solution pour les anglophones (pas de sous titres français ni anglais, pas de vf, une édition all zone coréenne à l'image très bonne (voyez les captures) est trouvable à prix abordable sur internet. La vhs sous titrée français se trouve également sur priceminister.

Extrait

6 commentaires:

  1. très belle et intéressante note sur ce film, que je n'ai jamais vu (Arrrggghhh)Mais je garde le souvenir de mes lectures de Mary Werbb ''la Renarde'' et''Sarn''. A l'époque ma mère était ma directrice de lecture. Je lui dois la découverte de, outre Mary Webb, Elizabeth Goudge (l'Arche dans la tempête), Kathleen Windsor (Ambre) Charles Morgan (Sparkenbroke) Daphné du Maurier et les soeurs Brontë bien sur, mais aussi Somerset Maugham et Louis Bromfield... Toute une littérature un peu décalée aujourd'hui mais qui vous formait une sensibilité!!

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  2. Ah un autre amateur du "Ambre" de Kathleen Winsor j'aime beaucoup ce type de littérature aussi (je note le Elizabeth Goudge dont je ne connais que "Le Secret de Moonacre"!) J'avais d'ailleurs parlé de l'adaptation plutôt réussie de Ambre par Otto Preminger en aout sur le blog si tu souhaites jeter un oeil ;-)
    En tout cas "La Renarde" (si tu réussi à le voir pas chose facile !) devrait vraiment te plaire, flamboyant comme peut l'être ces lectures !

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  3. Ambre!!je vais aller jeter un coup d'oeil sur ta note. La flamboyante , mauvais jeu de mots mais épithète juste, Linda Darnell. Le toujours impeccable George Sanders. L'improbable, pour moi, Cornel Wilde.
    Une incidente concernant une note que tu avais faite sur Stand by me et où tu parlais de ''Princess Bride''. J'adooooore ce film et ravi là aussi de ne pas être le seul.

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  4. Merci pour ce billet - j'ignorais que ce livre de Mary Webb avait été adapté à l'écran. D'elle, je n'ai lu que "Sarn" - très belle description de la nature, du monde paysan et des superstitions ayant encore cours à cette époque, avec une manière d'écrire extrêmement sensible, originale et singulière (une fin un peu mièvre à mon goût, mais enfin).

    Baron, votre Maman a bon goût, c'est moi qui vous le dis !

    Toujours eu envie de voir "Duel au soleil", avec Jennifer Jones...

    Justin, un passage de ton billet m'interpelle : quelles sont les caractéristiques du Technicolor anglais ? (Car jusqu'ici, pour moi, il n'y avait que le technicolor américain dont les couleurs sont pour moi souvent criardes - ceci dit, j'adore "Johnny Guitarre", dont les couleurs sont pourtant sursaturées).

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  5. Pour ce qui est du technicolor anglais la différence est qu'il est plus subtil dans ses teintes et cherche plus à retranscrire réellement une certaine atmosphère (s'adapter au ton voulu en tout cas) quand l'américain joue avant tout sur le côté flamboyant et colorée pour donner dans le clinquant hollywoodien.

    Le maître en la matière est Jack Cardiff (qui officiait sur Pandora !) sur les films de Powell/Pressburger comme "Le Narcisse Noir" (avec son Indes rêvés reconstitués en studio) our "Une question de vie ou de mort" dont (en regardant les captures tu voit que ça parait plus recherché et moins étincelant qu'un film hollywoodien). L'ambiance très onirique de ses films demande une recherche picturale plus poussée que la simple explosion de couleur, c'est plus subtil et moins agressif.

    "La Renarde" est un peu entre les deux puisque David O Selznick est à la production c'est un bon compromis. Bon bien sûr il y a des exceptions et j'ai fait quelques raccourcis mais en gros c'est à peu près ça :-)

    Il faudra que je parle de "Duel au soleil" prochainement j'adore ce film, mais bon vu le nombre de films de Jennifer Jones traités sur les derniers posts on va croire que je fait une obsession je vais attendre un petit peu ^^.

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  6. Si je me souviens bien le plan figure bien sur mon dvd, l'extrait vidéo doit probablement utiliser le montage américain charcuté par David O'Selznick et repris par Mamoulian ce qui explique la différence. Tous les Powell les plus populaires sont désormais trouvable en dvd en France sauf celui-là il serait temps qu'un éditeur se penche sur la question quand même. Dans le bon montage de préférence, Wild Side a gaffé récemment en proposant la version coupé du Station Terminus de Vittorio De Sica bien inférieure au montage intégral, les ciseaux de O Selznick sont encore passés par là.

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