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lundi 25 avril 2011
Un Tramway nommé Désir - A Streetcar Named Desire, Elia Kazan (1951)
Après une longue séparation, Blanche Dubois (Vivien Leigh) vient rejoindre sa soeur, Stella (Kim Hunter), à La Nouvelle-Orléans. Celle-ci vit avec son mari, Stanley (Marlon Brando), ouvrier d'origine polonaise, dans le vieux quartier français. Ce dernier n'apprécie guère les manières distinguées de Blanche et cherche à savoir quel a été le véritable passé de sa belle-soeur.
Sexualité plus prononcée et crue par l'introduction des thèmes de Tennessee Williams, consécration de la fameuse méthode Actor's Studio et révélation d'une star immense en la personne de Marlon Brando, Un Tramway nommé Désir est une révolution en tout point au moments de sa sortie. On comprend aisément l'impact qu'a pu avoir le film par ses différentes prises de risques mais si ce qui était novateur hier continue par intermittence à exercer un vrai pouvoir de fascination c'est aussi ce qui le date terriblement et le rend désormais difficile à suivre.
On suit donc la cohabitation difficile entre Blanche Dubois (Vivien Leigh) professeur déchu forcé à venir habiter chez sa soeur Stella (Kim Hunter) et son mari Stanley, orageux ouvrier polonais. La cohabitation est explosive entre l'hypersensibilité de Blanche soumise à rude épreuve par le tempérament de son beau-frère, provoquant tension dans le couple car réveillant les différences de classes certaines (plus que surlignées par les manières rustres de tout les personnages de basses extractions) entre les soeurs et Stanley. Le film détone réellement par son rapport à la sexualité, que ce soit par le dialogue, les situations et la mise en scène de Kazan. Dès la première apparition de Marlon Brando, tout est dit. Kazan adopte le point de vue d'une Vivien Leigh qui se réfugiant de ses angoisses dans une recherche d'affection à finalité sexuelle voit ainsi débouler un homme, un vrai. T-shirt moulant (qu'il tombe à la moindre occasion) moite de sueur, démarche lascive et virilité débordante, Brando impose une figure puissante et marquante. Plus tard ce seront les révélations sur le passé de Blanche, une scène d'une brutalité inouïe entre elle et Stanley où une troublante scène avec un jeune livreur qui viendront appuyer ce fait. Salvateur à l'époque, ce parti pris (d'une fidélité presque totale à la pièce puisque Kazan en fut le metteur en scène au théâtre et que Tennessee Williams en signe lui-même l'adaptation) s'avère aujourd'hui terriblement démonstratif.
On pense bien sûr au moment où Brando après une brutalité envers son épouse enceinte (réfugiée chez la voisine du dessus) l'appelle depuis leur cour d'immeuble pour qu'elle le rejoigne. Tout y passe avec Brando (déjà titulaire du rôle au théâtre mais qui ne semble pas avoir amené le soupçon de retenue nécessaire pour le passage au cinéma) décoiffé et visage déformé par la douleur hurlant Stellaaaaaaaaa, ployant le genou de regret jusqu'à l'arrivée de Stella (le tout en contre plongée jouant sur cette montée de désir) avant qu'ils ne disparaissent dans une étreinte fiévreuse. Spectaculaire mais terriblement lourd surtout que quand Kazan cherche de manière plus sobre à exprimer exactement le même sentiment cela fonctionne bien mieux. Lors d'une autre séquence Blanche sermonne durement sa soeur sur le traitement qu'elle accepte de subir et celle ci acquiesce, mais il suffi que Stanley revienne les muscles saillant et maculé de cambouis pour que toutes ses bonnes résolutions soient oubliés. Un regard, un contrechamps et deux plans résument ce qui a nécessité une escalade grotesque quelques minutes auparavant.
Ce déséquilibre accompagne également l'interprétation de Vivien Leigh. On est forcément touché par ce personnage instable surtout si on fait le rapprochement avec les problèmes psychologiques que connus l'actrice mais là aussi le jeu outré demandé par Kazan rend le tout assez insupportable par instant (même si cela peut être pire dans d'autres de ces films lorsque les acteurs sont moins doués comme La Fièvre dans le sang). Ainsi l'entrevue tout en retenue étrange avec le jeune livreur est réellement troublante et réussie (tout comme les entrevues toutes en minauderies avec Karl Malden très bon également) alors que les longs monologues d'égarements mentaux de Blanche sont des plus poussifs et trahissent malgré le travail sur la photo l'origine théâtrale dans le plus mauvais sens du terme.
Un Tramway nommé Désir souffle ainsi le chaud et le froid durant toute sa (longue) durée et émeut par intermittence lorsqu'il délaisse ses oripeau de grand manifeste artistique pour simplement s'intéresser à ses personnages. L'ultime scène où Vivien Leigh est emmené en maison de repos est un vrai déchirement où l'actrice toujours sur la corde raide de la caricature (et un deuxième Oscar à la clé après Autant en emporte le vent) bouleverse totalement. Son rôle de beauté fanée par les ans et par les hommes offre même un prolongement idéal thématiquement de ses deux meilleures prestation dans Autant en emporte le vent et La Valse dans l'ombre. C'est réellement elle l'âme du film alors que Brando n'en est que la surface. Malgré son apport indéniable on peut préférer les autres adaptation de Tennessee Williams autrement plus réussies à venir comme Soudain l'été dernier de Mankiewicz ou La Chatte sur un toi brulant de Richard Brooks.
Sorti en dvd zone français chez Warner
vous écrivez "professeur déchu" : une petite institutrice,
RépondreSupprimerprostituée pendant les récréations …
C'est en vain que l'on cherche Brando dans vos colonnes.
Ici même vous dites qu'il joue "tout en surface".
J'ai lu la pièce de T. Williams et ses didascalies : je ne pense pas que vous ayez raison.
Mais je reviens à BRANDO que je crois connaître mieux grâce à son épaisse autobiographie : "SONGS MY MOTHER TAUGHT ME" rédigée avec Robert Lindsey.
L'homme Brando y apparaît admirable (il épouse la cause des Indiens et y va de sa poche) et ses commentaires sur les tournages valent de l'or. Jamais il ne s'est senti aussi humilié que par les directives de BERTOLUCCI dans le
DERNIER TANGO A PARIS et s'est juré de ne plus jamais se prêter à pareil rôle. Ceci est important car
l'épisode du quart de beurre stigmatise son image, mais il faut savoir à quel point cela lui a donné envie de vomir.
Il découvre enfant les images des camps de concentration allemands : il est retourné comme aucun français ne l'a jamais été.
Il a une mère magnifique, évoluée, libérale dont il
embrasse toutes les valeurs : d'où le titre de l'autobiographie. Son dégoût d'Hollywood est sans nom et comme vous le savez il vivra en reclus.
Il dit très honnêtement ses relations avec les femmes : les actrices lui tombent systématiquement dans les bras, aussi finissent-elles par n'avoir aucun prix à ses yeux.
Ce qu'il dit de l'Actors Studio ne manque pas de sel : il
redore un peu l'image d'Elia Kazan dont il dit la direction d'artistes admirable (j'ai sauté ici et là quelques pages :
mais j'y reviendrai et j'en saurai plus).
Je pense simplement que votre silence à son égard est
injuste. J'aimerais savoir à quoi tient ce silence …
La pièce (et donc les didascalies que vous évoquez) et sa traduction à l'écran de manière cinématographique sont deux choses différentes et il doit y avoir un vrai travail de transposition que je n'ai pas ressenti dans le jeu spectaculaire et théâtral de Marlon Brando. Comme je le dis dans le texte je comprend tout à fait l'aspect novateur qu' pu avoir la prestation de Brando dans le film mais personnellement j'ai trouvé ça très lourd. Après Kazan ne cherchait pas autre chose, faire de l'acteur l'expression vivante de ce désir, de cette animalité et présence sexuelle donc c'est un choix mais néanmoins comme je le dis on reste en surface le personnage ne dépasse pas cette fonction et ne touche pas au contraire de Vivien Leigh où l'émotion perle en dépit du surjeu. Je ne dis pas beaucoup de bien de la prestation de Brando mais je ne pense pas la tenir sous silence.
RépondreSupprimerEt puis c'est dommage vous ne le défendiez pas à travers l'exemple de séquences du film qui contredirait ce que j'en dis plutôt qu'en me faisant sa biographie succinte, surtout qu'à part dans ce film j'adore Brando ;-) Je note en tout cas pour l'ouvrage que je n'avais pas lu !
"jeu spectaculaire et théâtral" : vous ne vous trompez pas
RépondreSupprimerpuisque avant le film, Brando a joué ce rôle sur scène à Broadway. Mais j'ai senti autre chose : le "pollack" humilié
par cette appellation cite maladroitement le code Napoléon (je ne sais ce qu'est la valeur de ce code aux USA mais Brando montre par là qu'il n'est pas le déraciné d'une culture européenne). Sa brutalité pendant la partie de carte frise l'insupportable, mais elle
est le contrepoint utile à l'amour qu'il porte à sa femme
(il a les larmes aux yeux, en bas de l'escalier, quand il
l'appelle avec un authentique désespoir). Je ne dirais pas "tout en surface" mais "sans subtilités", comme chez les alcooliques.
La question est peut-être ailleurs : Elia Kazan fait-il dans la dentelle ? Tennessee Williams résolument OUI : il est à juste titre considéré comme le plus grand auteur dramatique américain (il est bien servi par Mankiewicz dans SUDDENLY, LAST SUMMER, par Huston dans LA NUIT DE L'IGUANE (mon préféré, avec une merveilleuse AVA)
ou par Brooks dans A CAT ON A HOT TIN ROOF, (avec quelques petites réserves ici, naturellement)
ou encore dans cette pièce de théâtre autobiographique
que je n'ai pu voir que sur YouTube, avec Vanessa Redgrave en mère abusive, son besoin démentiel d'écrire et cette soeur adorée dont la fragilité mentale inspire Blanche Dubois.
Elle est emmenée dans un hôpital psychiatrique et non dans une simple maison de repos.
Voilà : je vous ai donné les séquences réclamées.
J'ajouterai qu'il m'a fallu faire connaissance de Williams pour apprécier ce film que j'ai trouvé sinistre et malsain
la première fois (une sinistrose que j'ai souvent ressentie
chez Elia Kazan : ses castings ne sont pas très heureux : BABY DOLL en souffre, SUR LES QUAIS aussi...)
L'autobiographie de Brando existe en français !
Oui je savais que Brando avait joué la pièce sur scène et c'était un peu mon reproche en parlant de théâtralité je n'ai pas l'impression qu'il a fait la transition entre son interprétation sur scène et celle du film, on a le droit de ne pas y adhérer et trouver cela too much. J'ai sans doute exagéré en disant en surface mais clairement l'excès et le manque de subtilité effectivement me font sortir du film.
RépondreSupprimerAprès je ne critique pas la pièce de Tennessee Williams mais bien ce qu'en fait Kazan (Williams fait dans la dentelle mais certainement pas Kazan). Je trouve les adaptations de Mankiewicz, Brooks et Huston bien plus subtiles et intéressantes (alors que paradoxalement elles sont plus censurées). Après Kazan cela dépend vraiment des films c'est vrai que j'ai du mal avec l'interprétation outrancière et la Méthode dans ses oeuvres des années 50.
alors on est d'accord, pour une fois ! vous adorez Brando et vous avez raison. Je regarde la soirée Rohmer et une fois de plus cette jeunesse dorée dont les dialogues sont si nuls dans des cadres aussi beaux, m'angoisse. Mon
RépondreSupprimeradolescence a été si douloureuse, il fallait gaggner son argent de poche, sinon tintin. Je ne suis pas jalouse,
mais très jalouse de cette facilité d'être jeune qui fera
plus tard des adultes pas tordus. Ma nuit chez Maud commence : encore un effort. Je n'aurais pour rien au monde acheté un seul film de Rohmer sinon LE
RAYON VERT si différent de ces CONTES IMMORAUX '(à suivre …)
encore moi et encore Rohmer — je ne suis pas à sa place ici — mais décidément, je ne supporte pas la façon dont les gens communiquent chez Rohmer. Ça pue le faux, et je me demande si c'est son catholicisme qui en est la raison. En tous cas il y a du jésuitisme là-dessous. La prétendue liberté de Maud en face de cet hypocrite de Trintignant me démoralise. Il y a comme
RépondreSupprimerun goût pour l' "avorté", c'est français dans ce que je déteste le plus. Trintignant a toujours des rôles de
salauds, le sumum c'était dans le film italien où il trahit son prof de philo. Bertolucci ?
Ce qui m'a amusé (très rapidement) c'est de reconnaître Fabrice Luchini que je détste adulte dans "les genoux de Claire" et Antoine Vitez dans le rôle de Vidal ici.
J'ai autrefois suivi les mises en scène de Vitez et j'ai été très émue le jour où dans un théâtre de banlieue, il m'a caressé les cheveux : j'avais l'air très jeune et il
montait une pièce très belle et très profonde. C'était quelques années avant sa mort. Rohmer est un type
très apprécié : il y a quelque chose qui m'échappe là-dedans. .
Sans doute parce que je suis agnostique et marche à contre courant dans un monde où l'on parie avec Pascal.
J'en suis à ce moment du film où Trintignant qui a été coincé toute la soirée dans son petit costard,
se déboutonne complètement avec la blonde Françoise, c'est à vomir.
Une soirée perdue ! J'allais regarder "Othello" BBC avec Anthony Hopkins en Maure. J'avais pourtant appris à me méfier des soi-disant "bons films" d'ARTE.
On ne m'aura plus !
A bientôt sur un sujet palpitant !
Solange (ne pas publier …)
Je n ai pas lu la piece mais apres avoir revu ce film d Elia Kazan tout ce que je peux dire c que Brando creve l ecran dans ce role de brute et que c Vivien Leigh que je trouve tres theatrale meme si elle porte a bout de bras un role pour le moins complece. C quand meme du vrai cinema et les oscars sont bien merites!
RépondreSupprimerJe viens de le découvrir ce film tant vanté et me retrouve en total accord avec votre chronique. Je ne connais pas la pièce, je ne l’ai pas lue, pas plus que l’œuvre de T. Williams d’ailleurs, je ne fais donc part que de mon ressenti brut (vu le contexte, c’est le mot !) après la vue du film.
RépondreSupprimerEt l’impression qui s’est imposée à moi comme une évidence à la dernière image et durant le générique de fin c’est : « En fait elles sont aussi aliénées l’une que l’autre… ». Mais différemment.
Toute ma sympathie va au personnage de Blanche. Échouer dans un tel milieu ne pouvait guère améliorer son état et l’en faire sortir. Sa sœur en revanche n’a que ce qu’elle mérite, n’a pas l’air de pouvoir s’élever plus haut malgré son éducation et ses origines, et ce n’est pas vraiment triste en ce qui la concerne. Son cloaque lui convient, c’est à son niveau ; soyons rassurés sur son sort, elle n’en deviendra pas – réellement et jamais – folle.
Tandis que sa sœur, elle, et c’est tout son malheur, ne s’est psychologiquement pas remise dans sa sensibilité de sa progressive déchéance, familiale d’abord, personnelle ensuite. L’une ayant entrainée l’autre. Le naufrage de l’ancien monde dont elle est issue trouvant sa continuité dans le dénouement tragique de son union - pour ce qu’on en saisit, mais a-t-elle vraiment été mariée ? - avec un jeune homme sans doute très doué pour une vie intellectuelle brillante mais inapte aux réalités matérielles du quotidien, cette efficacité tant prônée par la nouvelle société américaine d’alors (nous assistons à sa fuite en avant suicidaire contemporaine... la nôtre avec). L’autre voie étant de se vautrer dans la médiocrité satisfaite et débordante des classes exploitées : exploitées dans leur force de travail, flattées et entretenues dans leur bassesse crasse (la méthode a-t-elle changée ? Non, les accessoires oui, c’est tout : du pain et des jeux actualisés), éternelles vaches à lait présurées incapables de lever les yeux, persuadées de « vivre » quand même… Toute poésie éjectée.
Blanche Dubois c’est la dérive du monde sensible bientôt englouti. En permanence écartelée, elle chancelle et finit par perdre la raison d’avoir essayé l’un – pour survivre - alors qu’elle n’est faite que pour l’autre, périmé. Perdue et condamnée parce qu’inadaptée et inadaptable, jugée sans pitié pour son comportement passé en vertu de principes moralisateurs simplistes et étriqués qui rassurent, voilà son tort !
On peut dire que c’est parfaitement rendu par la prestation tourbillonnante et vertigineuse de Vivien Leigh. D’un maniérisme à la limite du supportable parfois auquel on n’est plus habitué de nos jours, mais c’est aussi le personnage qui veut ça en se contraignant à donner le change. Brando fait le poids en face, c’est indéniable, il a tout pour, mais j’avoue avoir eu du mal à trouver son sex-appeal prétendument légendaire dans ce film aussi irrésistible que ça devant la vulgarité terre-à-terre assumée de son personnage. C’est celui qui plaît à Stella, c’est certain... Et à beaucoup d’autres encore, il faut croire. L’odieux Stanley qu’il incarne ne voit rien de plus à travers sa belle-sœur qu’une propriété familiale perdue corps et biens et une fille du même nom, dont, à partir de là, on peut abuser sans scrupules. Et s’en débarrasser. Il ne faudrait pas encore en plus qu’elle entame, par sa seule présence, sa petite sphère d’influence sur autrui…
Car vous aurez peut-être remarqué que si l’inoffensive Blanche est bouclée en bonne et due forme à la fin du film – pensez, une femme ! et qui s’est si mal comportée… – Kowalski, qui a pourtant démontré toute l’étendue de sa violence et sa capacité de nuisance, est toléré et accepté comme tel et n’est en butte à aucune menace sociale de ce genre, lui.
Que l’ensemble ait pu détonner à l’époque, je n’en doute pas. Moralement l’effet demeure assez violent, la lourdeur perçue dans la mise en scène venant à dessein appuyer le malaise général et on ne s’étonne pas dans ces conditions de la descente aux enfers accélérée d’une Blanche déjà vulnérable, immergée là.
Je pense que Blanche Dubois a bien été mariée et du peu qu'elle en dit j'ai cru comprendre que son jeune mari était tourmenté parce qu'il était homosexuel et que lorsqu'il lui a avoué la vérité elle s'est détournée de lui et lui a dis qu'il la degoutait, ce qu'il n'a pas supporté et c'est la raison de son suicide... et c'est pour ça qu'elle a des remords...
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