Pages

jeudi 28 avril 2011

Vera Cruz - Robert Aldrich (1954)

Mexique, 1866. Alors que la révolution fait rage, l’empereur Maximilien (George Macready) engage le bandit Joe Erin (Burt Lancaster) et un ancien officier de l’armée sudiste, Benjamin Trane (Gary Cooper), tous deux réfugiés au Mexique, afin de convoyer la comtesse Marie Duvarre (Denise Darcel) jusqu’à Vera Cruz.

Vera Cruz fait partie, avec Bronco Apache, Attaque et En Quatrième Vitesse du tir groupé qui enflamma la critique française sur le cas Aldrich, au milieu des années 50. Tous ces films de début de carrière témoignent de l’aspect frondeur d'Aldrich, qui bouscula le cinéma américain d’alors en malmenant ses genres, thématiquement et visuellement. Ainsi le virulent Bronco Apache s’affirmait comme un des premiers westerns pro indien, tandis que En quatrième vitesse amenait un surplus de sadisme et d’onirisme dans le film noir. Attaque quant à lui égratignait avec brio l’institution de l’armée. Vera Cruz ne déroge pas à la règle, annonçant les profonds bouleversements à venir dans le western.

La grosse rupture qu'apportera le western spaghetti n'est censée intervenir que dix ans plus tard avec Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, mais Vera Cruz en comporte déjà tous les éléments. Hormis dans le Viva Zapata d'Elia Kazan (davantage film historique que western), le contexte de la révolution mexicaine n'était pas si fréquent jusque là, dans le western américain, alors que foultitude de westerns spaghetti et de suiveurs américains la prendront pour cadre par la suite. Cela donnera un des plus fameux sous-genres du western spaghetti, appelé le « western Zapata », très politisé, et offrira quelques grands films tels que El Chuncho de Damiano Damiani. Cependant, alors que ces films faisaient l’éloge du péon inculte et crasseux, Aldrich fait de ses héros des américains cyniques en quête de fortune.

Autre point de rupture par rapport au western américain de l’époque, la violence. Le film laisse la part belle à des élans de brutalité assez inouïs, telle cette scène d'embuscade ou la Comtesse abat un adversaire d’une balle en pleine tête ou encore Lancaster plantant avec une délectation sadique une lance dans la gorge d’un ennemi lors du finale. À cet égard, la galerie de trognes menaçantes constituant les seconds rôles n'est pas non plus en reste. On trouve ainsi des futurs habitués du cinéma d'Aldrich, avec entre autres Ernest Borgnine, un tout jeune Charles Bronson (encore nommé Buchinsky au générique) ou encore Jack Elam (second rôle régulier et surtout connu comme l'un des trois tueurs accueillant Bronson au début d'Il était une fois dans l’Ouest).

La caractérisation des personnages obéit aussi en tous points aux futurs canons du western spaghetti. Sans foi ni loi, pistoleros virtuoses aux facultés surhumaines, les héros offrent un mélange de cynisme et d’humour potache, où la tonalité du film d’aventure annonce largement Le Bon, La Brute et Le Truand. Sergio Leone s’est d’ailleurs toujours réclamé de l’influence d'Aldrich, bien que les deux hommes aient eu une collaboration plutôt houleuse sur le péplum Sodome et Gomorrhe, tourné à Cinecittà avec le réalisateur italien dirigeant la seconde équipe. Tout cela est parfaitement condensé à travers la prestation mémorable de Burt Lancaster en Joe Erin. Tout de noir vêtu, barbe de trois jours et sourire carnassier, Lancaster offre une interprétation toute en désinvolture arrogante. Tel un Tuco quelques années plus tard, il offre un mélange détonant de crapulerie et de sympathie.

Vera Cruz constitue la deuxième collaboration entre Aldrich et Burt Lancaster (le tout aussi bon Fureur Apache suivra quelques années plus tard). L’acteur fut un des premiers à donner sa chance à Aldrich, à qui il confia Bronco Apache par l’intermédiaire de sa société de production Hecht-Lancaster. Après cette grande réussite, le réalisateur eut bien plus de liberté, bousculant grandement les règles établies du genre et ldonnant largement libre cours à l’improvisation sur le tournage. Le scénario signé Roland Kibee (plus tard réalisateur du très bon Valdez is coming avec Lancaster) et James R. Chase fut donc constamment remanié. Il contribue d'ailleurs à l’élan de légereté et de spontaneité qui traverse le film malgré la violence et la noirceur. Cependant, en dépit de tous les dérapages, Aldrich parvient à maintenir un certain classicisme dans la thématique du film.

Si Lancaster incarnait tous les excès à venir du western transalpin, le personnage de Gary Cooper constitue lui l'ancrage dans la tradition plus classique du western américain. Même s'il s'associe aux méfaits de Lancaster, c'est un homme ayant perdu ses illusions et ses biens lors de la Guerre de Sécession, qui semble prêt lui aussi à livrer ses services au plus offrant. Mais le contact avec les rebelles Juaristes va lui rappeler les nobles sentiments qui l'animaient jadis et lui redonner le lustre du héros américain vertueux. En opposition à l’archange noir Lancaster, Cooper incarne le chevalier blanc. Il offre une interprétation subtile, traduisant toutes les nuances et contradictions de son personnage, forcé de garder sa droiture parmi toutes ces canailles.

Le traitement du film, que l’on doit à Borden Chase, est sans doute ce qui maintient l’équilibre entre innovations et continuité. Ce dernier est en effet l’auteur chevronné des scripts de La Rivière Rouge de Howard Hawks, Les Affameurs et Je suis un aventurier pour Anthony Mann ou L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor. Au final, Aldrich livre un spectacle mené tambour battant, aux séquences d'actions survoltées et culminant en conclusion lors de l'assaut de la garnison impériale. Le clou du film demeurant le duel final Cooper/Lancaster, un des plus mythiques du genre et auquel Alex de La Iglesia rendra un magnifique hommage dans son Perdita Durango en 1997. De plus, malgré le cadre du divertissement, le réalisateur conserve son esprit corrosif dans la description des nobles et dirigeants, au moins aussi pourris et vénaux que les crapules qu'ils engagent, notamment la Comtesse Duvarre jouée par la française Denise Darcel. Grand film !

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM et je crois déjà (ou bientôt) disponible en bluray également.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire