Key West, Floride, 1962. Alors que le monde est au bord de l'anéantissement nucléaire, Lawrence Woosley présente en première mondiale son nouveau film d'horreur. Les habitants de Key West, Gene et ses amis, s'apprêtent a vivre un samedi après-midi qu'ils n'oublieront pas.
Hollywood n’a certainement pas attendu Quentin Tarantino pour voir surgir des réalisateurs cinéphages qui se plaisaient à étaler les références de leur cinéphilie éclatée dans leur film. Joe Dante est de ceux-là et bien avant le réalisateur de Pulp Fiction multipliait les clins d’œil visuels ou dans son casting aux films de son enfance. La grande différence entre Dante et Tarantino, c’est que le succès et l’adoubement immédiat du second lui ont permit de développer jusqu’à plus soif cette facette quand le premier a été marginalisé par le système. D’ailleurs Dante malgré son iconoclasme a toujours gardé cette mentalité d’artisan de studio et d’amuseur, loin de l’aura de quasi rock star de Tarantino. Cette différence entre deux cinéastes si proches se manifeste dans leurs œuvres les plus ouvertement référentielles. Quand Tarantino étale sur un diptyque entier tout ce qu’il aime dans le cinéma d’exploitation avec les Kill Bill, Dante célèbre les séries B de son enfance dans un petit bijou nostalgique et intimiste.
Les causes de la déchéance mais aussi de la reconnaissance de Joe Dante sont sensiblement identiques. Partagé entre la volonté d’égaler les grands maîtres de la série B (mais aussi du cartoon où du splapstick comme Chuck Jones ou Frank Tashlin) qu’il vénère (Jack Arnold, William Castle…) et d’amener une dimension rigolarde et subversive qui lui est propre, Dante n’y parviendra réellement qu’avec Gremlins. Ses débuts au sein de New World, la société de Roger Corman (où tant de futurs grands cinéastes se sont fait les dents de James Cameron à Martin Scorsese en passant par Jonathan Demme) le lance d’ailleurs sur cette voie avec Piranhas, brillant décalque des Dents de la Mer puis sa superbe relecture du mythe du loup garou dans Hurlements. Si Dante s’était résumé à ce savoir-faire et cet amour du genre, il aurait certainement été un excellent artisan de studio (ce qu’il rêvait en secret) et aurait sans doute connu une carrière plus calme. Il aurait surtout été nettement moins intéressant.
Gremlins par la nature vindicative et farceuse de ses créatures et sa pure construction de série B fantastique représente l’équilibre parfait entre la cinéphilie déviante et les velléités plus méchantes de Dante. L’esprit familial et horrifique des productions Amblin (compagnie de Spielberg qui produit le film) est un écrin idéal pour ce mélange d’humour noir macabre et de vraie innocence même si la production ne se fera pas sans conflit. Succès massif, Gremlins est malheureusement le chant du cygne de Dante à une reconnaissance du grand public puisque sur ses projets suivants trop (le furieux Gremlins 2) ou pas assez (Explorers, L’Aventure Intérieure) libre, l’agencement sera moins idéal et causera des échecs cuisants. C’est dans ce contexte que naîtra le film le plus personnel de Joe Dante Panique à Florida Beach.
Panique sur Florida Beach s'ouvre sur une tonitruante et outrancière fausse bande annonce, celle de Mant (croisement de man et de ant) où un malheureux victime de radiation voit son ADN se croiser à celui d’une fourmi. L’allusion au classique La Mouche noire de Kurt Neumann est évidente (la fameuse image de l’homme à tête d’insecte) mais c’est surtout le camelot macabre à la silhouette imposante qui nous vend la chose qui retient l’attention. Cet homme est Lawrence Woosley (John Goodman) qui constitue l’incarnation à l’écran de William Castle. Ce dernier est une des idoles de Dante, prolongement de la tradition originelle de foire et de train fantôme du cinéma. Pour accompagner ses films, il n’hésitait pas à user de divers procédés folkloriques comme délivrer une légère décharge électrique au spectateur dans les moments de frissons ou encore faire défiler des acteurs grimés en revenant en pleine séance pour ajouter du piquant à ses histoires d’épouvante.
Tous ces gadgets sont bien présents dans Panique à Florida Beach et proposent les séquences les plus jubilatoires que ce soit les images du délirant Mant à l’écran ou les réactions du public face aux artifices de Woosley. C’est d’ailleurs l’identification à ce public en la personne du jeune ado passionné de fantastique, Gene, qui donne ce ton si attachant, étant un prolongement de Dante lui-même. Il confère donc une jolie touche nostalgique à l’ensemble par l’esthétique rétro du début des années 60 et la bande son gorgée de hits rock’n’roll et chansons girls group. Gene, garçon solitaire, se réfugie avec son petit frère dans un monde peuplé de mutants, d'extraterrestres et de créatures d’outre-tombe, faute de pouvoir durablement se fondre dans leur environnement, conséquence de la profession militaire de leur père, les contraignant à déménager fréquemment. Dante fut lui confronté à une autre forme de solitude (et rejoint en cela d’autres réalisateurs à l’enfance malade et chétive comme Scorsese ou Coppola pour qui le cinéma et la littérature constituèrent un refuge) quand une polyémite le colla un an à l’hôpital, convalescence durant laquelle les bandes dessinées constituèrent un premier moyen d’évasion.
Joe Dante s’amuse du contexte politique explosif de l’époque (la crise des missiles de Cuba de 1962) pour un running gag autour de la grande peur d’une attaque nucléaire. Le scénario tisse de plaisants moments entre cette nostalgie, le marivaudage adolescent et cette célébration du spectacle à tout prix (amusant moment où Woosley paye de faux chantres de la morale pour créer l’agitation autour de la sortie de son film) jusqu’à un final inoubliable. Bien avant (encore et toujours) Tarantino, Dante faisait flamber une salle de cinéma avec ses spectateurs à l’intérieur pour délivrer un tout autre message, à son image.
Le plaisir du pur frisson est célébré durant toute la séquence de projection de Mant par les à côtés déjà évoqués mais aussi par cette peur du nucléaire qui soudainement se manifeste par une monumentale explosion qui fait disparaître les images de l’écran. Dante s’identifie alors au Orson Welles de l’émission de radio sur La Guerre des Mondes autant qu’à William Castle, soit des amuseurs qui poussent les notions d’entertainment jusqu’à se jouer des peurs profondes de leur public. Là où Tarantino voit le cinéma comme instrument de pouvoir changeant la face de l’Histoire, Dante lui l’interprète comme un vecteur aidant à oublier cette réalité difficile.
La plus grande joie au monde serait donc de s’abandonner dans un grand numéro de montagnes russes, irresponsable et drôle. Et si la fille de nos rêves s'accroche à notre bras terrorisée, c'est encore mieux. C’est le credo de toute la filmographie de Joe Dante et il l’a rarement mieux exprimé que dans ce Panique à Florida Beach. A l'image des spectateurs du film, on a juste envie de refaire la queue pour la séance suivante afin de revivre cet explosif moment.
Sorti tout récemment en dvd zone 2 dans une très belle édition chez Carlotta
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire