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jeudi 14 juillet 2011

Raison et Sentiments - Sense and Sensibility, Ang Lee (1995)


Au siècle dernier en Angleterre, à la suite du décès de leur père, les sœurs Dashwood et leur mère sont contraintes de réduire drastiquement leur train de vie et de quitter leur propriété pour s'exiler à la campagne. L'aînée, Elinor, renonce à un amour qui semble pourtant partagé, tandis que sa cadette, Marianne, s'amourache du séduisant Willoughby. Si la première cache ses peines de cœur, la seconde vit bruyamment son bonheur. Jusqu'au jour où Willoughby disparaît.

Atteint de fièvre Austenienne aiguë ces dernières semaines (troisième livre entamé d’affilé c’est parti pour une intégrale pour l’été) il était donc temps de se pencher sur les adaptations. Le film d’Ang Lee est assurément une des plus réussies et fut largement saluée par la critique en son temps. Raison et Sentiments est le premier roman tardif de Jane Austen paru en 1811 dont le succès d’estime ouvrira la voie à d’autres bien plus important, en faisant un des auteurs les plus populaire de l’époque même si la vraie grande reconnaissance et analyse littéraire se fera après sa mort. Le livre est en quelque sorte une révision d’un texte de jeunesse intitulé Elinor and Marianne qu’après un long silence créatif Jane Austen se décide à reprendre pour entamer la carrière que l’on sait.

L’histoire dépeint les amours contrariées de deux sœurs, Elinor et Marianne dont les caractères diamétralement opposés (fougueux et passionné pour l’une, calme et mesuré pour l’autre) vont amener à réagir bien différemment face à cette haute société anglaise cruelle et frivole où tout rapport repose sur la notion de classe. Les deux héroïnes étant sans fortune, elles vont aller au-devant de bien des déconvenues. Romantisme, mélange de retenue et d’emphase et féroce satire bourrée d’humour, Raisons et Sentiments constituait de brillant début pour l’auteur. Néanmoins on est en droit d’y trouver quelque légers défauts totalement corrigés dès le merveilleux Orgueil et Préjugés à suivre. Austen reste ainsi trop évasive dans certains lien primordiaux entre personnage (on reste très distant des relations entre Marianne et le Colonel Brandon et le mariage entre eux en conclusion n’est guère touchant) et à l’inverse surligne parfois trop par le dialogue le caractère pourtant bien établi des deux sœurs (on ne compte plus les crises de Marianne et une Elinor mesurée jusqu’à l’excès parfois.

L’excellent scénario d’Emma Thomson atténue largement ces petits soucis. Tout ce qui n’était que de l’ordre descriptif dans le livre se voit ici approfondi sous la caméra d’Ang Lee. Le lien affectif se tissant entre Edward Ferrars (Hugh Grant) et Elinor (Emma Thomson) est ainsi longuement développé en début de film, le cadre rural apaisant où évoluent les deux personnages accompagnant bien la nature douce de leurs caractères. Emma Thomson tout en élégance et sensibilité retenue est parfaite et Hugh Grant gauche et effacé rend plus attachant encore Ferrars que dans le livre. Il en va de même pour Marianne dont l’emphase a été un peu atténuée et Kate Winslet (qui y gagnera le surnom de « Corset Kate » tant elle collectionnait les films en costumes à l’époque) lui prête la fièvre amoureuse attendue sans pour autant la rendre égoïste.

La romance exaltée (magnifique séquence de sauvetage sous la pluie) et tragique avec le fourbe Willoughby est ainsi idéalement menée dans son charme trop appuyé en laissant deviner l’issue comme dans le cruel cynisme intéressé qui l’achèvera. Le script ajoute foultitude de petite scénettes pour montrer l’interaction entre Marianne et son prétendant malheureux le Colonel Brandon qui rend ainsi leur rapprochement plus touchant, notamment grâce un Alan Rickman résigné qui bouleverse souvent lors des divers camouflets qu’il subit.

A quelques broutilles près (les personnages les moins actifs disparaissent comme la deuxième sœur Steel ou la fade Mrs Jennings) et coupes nécessaires le film est donc très fidèle. Ang Lee adopte une esthétique feutrée et ne tombe pas dans une flamboyance inappropriée même si de jolis moment se dégagent comme cette très belle scène de bal ou la première rencontre entre Marianne et Willoughby.

La mise en scène du réalisateur est réellement au service des personnages et tente souvent de cerner l’émotion dissimulée au détour d’un regard à la dérobée, d’un geste inapproprié, données enssentielles dans cette société où le paraître et la dissimulation sont si importants. C’est particulièrement vrai pour Elinor, forcée de donner bonne mesure face aux tourments qu’elle subit et Emma Thomson est aussi brillante dans la contenance (la scène où apprend que Ferrars est fiancé et cette détresse fugitive dans le regard) que quand l’émotion la déborde enfin lors de l’ultime entrevue heureuse avec Ferrars.

L’alchimie fraternelle est réellement palpable avec Kate Winslet et on saluera à nouveau les légers ajouts qui rendent le drame plus fort tel Marianne brisée observant sous la pluie la demeure de Willoughby mais aussi le dernier regard de ce dernier à la fin qui exprime ce qu’un très long dialogue nécessitait dans le livre, son regret. La très belle musique de Patrick Doyle joue également un grand rôle dans sa manière de guider subtilement les émotions tout au long du film.
Il n’y a bien que l’aspect caustique qu’Ang Lee ne parvient pas à rendre aussi fort malgré quelques moments amusant (la révélation de Miss Steel à la sœur de Ferrars quant à leur lien est un grand moment). Le goujat vaniteux Robert Ferrars est assez raté notamment et il manque réellement quelques joutes verbales et phrases assassines qui aurait ajouté du piquant. Une très belle transposition donc et un des meilleurs films de Ang Lee, qui ravira les amateurs de Jane Austen et qui à coup sûr donnera envie aux autres de s’attaquer à ses ouvrages.


Sorti en dvd zone 2 français chez Columbia

13 commentaires:

  1. Je crois bien que je ne l'ai jamais revu depuis le cinéma en fait... Ca commence à faire loin, d'autant que je n'étais pas bien vieux à l'époque, 12 ou 13 ans. Il serait temps que je le revois un de ces jour !

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  2. C'est bien, la fièvre austenienne aiguë, c'est une maladie très agréable ! Au fait, c'est une découverte, ou une redécouverte ? ;)

    Le livre de Jane Austen n'est effectivement pas sans défaut - il y a des lourdeurs narratives, et les personnages masculins ne sont pas du tout approfondis - mais Emma Thompson a fait des merveilles au scénario.

    Le film n'est pas absolument parfait, mais il est néanmoins très bon ; Ang Lee a su s'effacer derrière son sujet, et les acteurs sont la plupart du temps excellents.

    Je n'apprécie pas plus que cela le personnage de Marianne, mais Kate Winslet est tout bonnement épatante dans ce rôle, extrêmement fraîche et naturelle. Alan Rickman est très touchant, Emma Thompson très juste, et Hugh Grant très bon dans le peu de scènes qu'il a.

    J'aurais aimé que le couple Edward - Elinor soit aussi présent dans le film que le couple Marianne - Brandon qui lui vole un peu la vedette, mais je ne me plains pas, car Emma Thompson et Hugh Grant ont quand même droit à deux scènes absolument bouleversantes.

    La musique de Patrick Doyle et la beauté des paysages contribuent beaucoup à l'atmosphère du film, souvent mélancolique, même si les personnages secondaires, qui ont souvent une fonction comqiue chez Jane Austen, font de temps en temps contrepoint.

    à noter que le commentaire du film par Emma Thompson dans les bonus du dvd est l'un des plus drôles de l'histoire du cinéma !

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  3. Pour les livres comme pour le film totale découverte. Là j'ai terminé Orgueil et Préjugés (j'ai l'adaptation de la BBC à entamer d'ici peu) le premier que j'ai lu en fait et après "Raison et Sentiment" là je suis en train de lire "Emma" qui est assez génial pour l'instant. Je ne connaissais que le Orgueil et Préjugés de Joe Wright pour l'instant qui ne m'avait pas laissé un grand souvenir, à retenter peut être (d'autant qu'à la lecture j'avais le vidage de Keira Knightley en tête pour Liz Benett, et Colin Firth pour Darcy j'ai fait ma propre association visuelle mentale ^^).

    Sinon oui le personnage de Marianne est assez agaçant dans le livre et Kate Winslet atténue complètement sa nature capricieuse sans l'effacer non plus c'est admirable et magnifiquement élagué par Emma Thomson.

    Et effectivement bien que moins en vue le couple Emma Thomson/Hugh Grant est vraiment très touchant la dernière scène où elle fond en larmes en découvrant qu'il n'est pas marié est magique !

    Bon je vais jeter un oeil à se fameux commentaire audio ^^

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  4. Qui en vaut la peine, crois-moi. ;)

    "Orgueil et Préjugés" est le roman de Jane Austen que je préfère ; le film de Joe Wright m'a beaucoup déçu, mais l'adaptation de la BBC qui date de 1995 est un vrai bonheur !

    "Emma" est un roman intéressant ; la seconde moitié du livre est plus enlevée que la première selon moi. Trois adaptations au compteur : l'une au cinéma avec Gwyneth Paltrow, et deux autres à la télévision ; la dernière date de 2009, avec Romola Garai dans le rôle titre. Je ne l'ai pas encore vue, mais les commentaires sont très élogieux.

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  5. Romola Garai déjà parfaite en peste dans Angel ça promet ! Il y a même une autres adaptation plus officieuse, la comédie ado "Clueless" avec Alicia Silverstone de 1995 transpose l'histoire dans un cadre teenage contemporain. Je l'avais vu à l'époque sans en connaître la source ça peut être amusant à revoir maintenant ça donne parfois de bonnes choses la version lycée des "Liaisons Dangeureuses" par exemple avec "Cruel Intentions".

    Sinon le roman est est assez drôle, ça donne l'impression que l'héroïne est cette fois une des pestes hautaines qu'on se plaisait à détester dans les deux premiers livres de Austen, joli démarquage tant mieux si ça s'emballe encore plus dans la seconde moitié je n'y suis pas encore ! Je tenterai la version Gwynneth Paltrow ensuite pour voir...

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  6. Pour répondre à Popila :
    J'ai découvert il y a peu "Orgueil et Préjugés" de Joe Wright, sans connaître la version série télévisuelle, je n'ai donc pas de possibilité de comparaison. Mais j'ai été littéralement conquise et subjuguée par le film de Joe Wright : jeu des acteurs, casting, réalisation sensible, scènes virtuoses (les bals notamment), émotion et romanesque...
    Sans vouloir faire de publicité à ce site de vente par correspondance, je vous signale des commentaires intéressants sur ce film, on prend ou on laisse...
    http://www.amazon.fr/Orgueil-pr%C3%A9jug%C3%A9s-Carey-Mulligan/dp/B000EMGAZS/ref=tag_dpp_lp_edpp_img_in
    (voir TOUS les commentaires).
    Je crois bien maintenant que je vais me procurer la version série TV !
    Isabelle

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  7. Malgré quelques défauts, j'ai beaucoup aimé ce film. On retrouve bien l'atmosphère du livre, la personnalité des deux soeurs, l'ambiance de campagne anglaise.
    Malgré tout, j'ai été assez gênée par Emma Thompson. Elle joue très bien, avec beaucoup de finesse, mais je la trouve un peu trop âgée pour jouer Elinor : c'est sensée être une jeune fille de 20 ans, et avec cette actrice, on a l'impression que c'est une vieille fille ...
    Je trouve cela dommage.

    Paradoxalement, j'ai infiniment préféré l'adaptation BBC qui en est sortie il y a quelques années.

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  8. C'est sûr que Emma Thompson fait vraiment trop mûre surtout à côté de Kate Winslet qui a vraiment l'âge du rôle. Mais bon la sagesse de son personnage aide bien à faire passer cette différence grâce à sa belle prestation en opposition à la fougue et l'immaturité de Winslet et finalement j'ai vite oublié ce détail pris par le film.

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  9. @ Anonyme : le film de Joe Wright a ses adeptes, je le sais... et je ne vous blâme pas du tout de l'apprécier ; simplement, je reste une inconditionnelle de l'adaptation télévisée de 1995. Pour moi, c'est l'un des fleurons du savoir-faire de la BBC en matière d'adaptations littéraires. Bon visionnage, au fait ! ;)

    @ Céline : Mon point de vue sur Emma Thompson est le même que celui de Justin. ;)

    @ Justin : l'adaptation d'Emma avec Gwyneth Paltrow est plaisante à regarder, mais ressemble à un bonbon acidulé ; l'adaptation télévisée réalisée à peu près à la même date met elle davantage l'accent sur la séparation des différentes classes sociales. Quant à l'adaptation avec Romola Garai, elle sera disponible en dvd sous titré en français à partir de septembre. Enjoy !

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  10. @ Popila et Justin : je reprends cette discussion 6 mois après...
    Je viens de voir la série télévisée BBC "ORGUEIL ET PRÉJUGÉS". Difficile de hiérarchiser la série TV et le film de Joe Wright : chaque œuvre a d'immenses qualités, qui vont avec le format film/série, chaque présentation ayant ses nécessités et ses avantages :
    - La série TV est plus fidèle et exhaustive dans la présentation des situations, des dialogues et des caractères...
    - Le film est magnifiquement réalisé, avec une pointe de talent (génie) supérieure à la série, me semble-t-il : image, mise en scène...

    L'ordre dans lequel on aborde ces deux versions est certainement important : n'aurait-on pas tendance à préférer celle qu'on a vue en premier?
    Finalement j'aime beaucoup ces deux versions, mais je garde une préférence pour le film.

    Deux versions à revoir indifféremment!

    Et puis "RAISONS ET SENTIMENTS" d'Ang Lee : Une splendeur!

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  11. Et quant à moi 6 mois plus tard le coffret de la série traîne toujours dans la pile "à voir" ^^ il va falloir rattraper ça !

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  12. Très bonne analyse.
    J'ai moi-même sombrée momentanement dans l'oeuvre d'Austen l'année dernière... à cause de ce film dont j'avais revu un extrait. Cela fait longtemps que je ne l'ai vu mais avec Pride and Prejudice, il est l'un des meilleurs, à mon sens.

    J'ai toujours été étonnée du choix de Winslet dans ce rôle... un peu gauche et pas très expressive comme actrice... un peu lourde face à une Emma Thompson en finesse.

    La réécriture de certains liens entre les personnages permet effectivement de mieux comprendre l'évolution de leurs relations.

    Ainsi un colonel Brandon qui pourrait passer pour potiche ou bien empoté, se trouve plus émouvant bien qu'on ai terriblement envie de lui crier de saisir la demoiselle et de l'embrasser au lieu de lire des poèmes... Quel talent, Alan Rickman, en peu arrive à faire passer les émotions du désespoir, du chagrin sans scène de larmes (autres que les notres pour ce colonel qui se languit). Doux, mésuré à l'extrême, émouvant... terriblement romantique... l'un des personnages avec Elinor que j'aime le plus.

    Ang Lee est effectivement, un bon réalisateur car il a fait passer l'ambiance du film et de l'époque avant sa touche personnelle.
    De très beaux décors aussi.

    Je suis ravie d'avoir découvert votre blog par le biais d'Austen.

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    1. Merci beaucoup ! Si cela vous intéresse j'avais évoqué d'autres adaptations de Jane Austen sur le blog, pas toujours pour en dire du bien hélas ^^

      https://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2011/10/emma-lentremetteuse-emma-douglas.html

      https://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2011/11/mansfield-park-patricia-rozema-1999.html

      https://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2015/07/clueless-amy-heckerling-1995.html

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