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mardi 16 août 2011

Cracks - Jordan Scott (2009)

Dans un pensionnat pour jeunes filles retirées du monde, Di et ses amies s'adonnent à des jeux fantaisistes, insolents et parfois cruels, encouragées par leur professeur de plongée, Miss G, qu'elles idolâtrent.

Les pensionnats de jeunes filles ont toujours possédés une aura cinématographique indéniable, dont quelques cinéastes ont su tirer des œuvres marquantes. Eveil de désirs troubles, rivalités et passions exacerbées, amitiés intenses, tous ces éléments ont contribué à délivrer quelques récits passionnants. Le spleen évanescent et onirique de Picnic à Hanging Rock de Peter Weir, l’ambiance de sorcellerie du Suspiria de Dario Argento ou plus récemment le beau Innocence de la française Lucille Hadzihalilovic, auront donné quelques belles réussites du genre. On pourra désormais aisément y ajouter ce brillant premier film de Jordan Scott, marchant sur les dignes traces de son père Ridley. 

Le film adapte un roman de Sheila Kohler, dont il déplace l’intrigue de l’Afrique du sud des années 60 à l’Irlande des années 30. Un choix loin d'être innocent puisque les paysages irlandais verdoyants ornent le film d’une atmosphère fantastique dans laquelle il ne basculera jamais totalement, l’évocation de l’imaginaire des héroïnes lorgnant sur le Créatures célestes de Peter Jackson. La période des années 30, moins permissive, permet quant à elle d’augmenter le pouvoir de fascination d'éléments venus de l’extérieur sur les jeunes pensionnaires, peu au courant des choses du monde et frémissant à l’évocation du moindre interdit. 

Dans ce cadre restrictif, toutes les élèves sont subjuguées par le charisme et l'esprit libertaire de leur jeune professeur jouée par Eva Green. Cette dernière, avide de faire partager ses expériences et sa philosophie féministes dévouée au plaisir, dénote avec l’Institution. L'arrivée d'une nouvelle élève venue d'Espagne, Fiamma, va pourtant tout faire voler en éclats. Vraie jeune femme en devenir, son érudition et son charisme ternissent l’aura de Miss G. Celle-ci fait alors une fixation sur Fiamma, au détriment de ses autres « disciples ». 

Le récit pervertit complètement Le Cercle des poètes disparus, dont il semble un pendant féminin au premier abord. Miss G, toute puissante dans le pensionnat face aux adolescentes qui l'adulent, s’avère complètement empruntée et perdue dans le monde extérieur. Un monde extérieur qu’elle ne semble d’ailleurs pas aussi bien connaître que ce que ses récits de voyages épiques laissaient entendre… Prestation époustouflante d'Eva Green, qui perd progressivement sa belle aisance, la gestuelle se faisant de plus en plus saccadée et le regard de plus en plus fou et incertain. Confrontée à ses manques face à une élève représentant tout ce qu’elle aurait aimé être au même âge, elle va progressivement redevenir l’écolière immature qu’elle n’a jamais cessé d’être.  Le casting des jeunes actrices est épatant, en particulier Juno Temple en favorite de Miss G sonnant la révolte, ainsi que Maria Valverdre en pomme de discorde involontaire. Le scénario subtil évitant la bête opposition entre les deux pour un rapport plus complexe, sinueux et inconstant à l’image de l’adolescence. Cette orientation culmine lors de la fête païenne qu’organisent les filles en secret, étonnant moment de communion après les conflits qui ont précédé. 

 La réalisation de Jordan Scott est dans la tonalité des deux dominantes du récit : l’atmosphère contemplative et dépressive à la fois du quotidien de ce pensionnat et les éclairs de furie de ses élèves aux réactions à fleur de peau. La répétition jusqu’à plus soif des séquences de natation (dont une très belle nocturne) et la dimension féerique (la photo de John Mathieson, collaborateur régulier de Ridley Scott, est de toute beauté) qu'apporte le cadre irlandais emmènent le film dans un ailleurs troublant, la plénitude du geste et des lieux se voyant toujours zébrée par des passions bien humaines.

Une des séquences finales s'inspirant de Sa Majesté des mouches, où une forêt paisible devient le théâtre d’une violence et d’une cruauté révoltante, illustre parfaitement cette dualité. La musique de Javier Navarrete (habitué de ce type d’atmosphère après L’Echine du diable et Le Labyrinthe de Pan) est dans le ton, apaisée et tourmentée à la fois. On regrettera juste une scène saphique franchement inutile, surlignant ce qui était habilement suggéré. Un beau film néanmoins, qui laisse augurer l'émergence d'un talent de plus dans la famille Scott...

Sorti en dvd zone 2 chez Studio Canal

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