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lundi 5 mars 2012

Harry Brown - Daniel Barber (2009)


Ancien marine à la retraite, Harry Brown vit dans un quartier difficile de Londres. Témoin de la violence quotidienne engendrée par les trafics de toute sorte, il évite soigneusement toute confrontation et invite son vieil ami Leonard à en faire de même. Le jour où l’inspectrice Frampton lui annonce le meurtre de Leonard, Harry, dévasté, ne peut que constater l’impuissance de la police. Un soir, en rentrant du pub, il se retrouve face à un junkie qui le menace d’un couteau. Malgré les effets de l’alcool, Harry retrouve d’anciens réflexes.

Le premier film de Daniel Barber réveille les fantômes d’un sous-genre controversé, le vigilante movie ayant connu son heure de gloire au début des années 70. Le polar urbain avait annoncé la tendance avec les flics cowboys et franc-tireur à la Dirty Harry qui faisait fi des devoirs exigés par le port de leurs badges pour nettoyer les rues. Ce fut ensuite le tour des quidams eux-mêmes de recourir aux armes pour veiller à leur sécurité avec le fondateur Un Justicier dans la ville de Michael Winner où un Charles Bronson basculait dans la folie vengeresse suite au meurtre de sa famille. Si les multiples suites s’enfoncent pour de bon dans une idéologie réactionnaire douteuse, ce premier film tout en ambiguïté était le manifeste d’une société à l’insécurité galopante et des dérives qui en découlait.

Le contexte socio-politique agité suscita d’autres œuvres aussi troubles et remarquables comme Légitime Violence de John Flynn (scénario de Paul Schrader) où un vétéran du Vietnam se rebiffait de manière terriblement violente face une bande de malfrats. Le genre dérivera ensuite durant les années 80 dans une voie plus décérébrée notamment le troisième volet des Justiciers, vrai plaisir coupable tant il s’enfonce dans l’excès. Ces dernières années, le vigilante movie semble avoir refait surface avec plus ou moins de réussite. A Vif de Neil Jordan (2007) retrouvait malgré une fin ratée l’âpreté et l’ambiguïté des années 70. Death Sentence (2008), malgré une mise en scène virtuose de James Wan, échouait faute d’avoir su choisir entre réalisme et envolées très comic book.

Contrairement aux films précités, Harry Brown se déroule lui en Angleterre, pays qui a offert un des plus mémorables avatars du genre avec La Loi du Milieu de Mike Hodges (1971). Michael Caine en gangster hargneux y crevait l’écran et Daniel Barber entretient volontairement le lien dans l’esprit du public entre Jack Carter et le retraité revanchard. La grande interrogation devant tout vigilante movie est de situer la distance entre pur divertissement, vrai message et fond douteux et nauséabond. La question reste entière tout au long de Harry Brown. Le réalisme froid et oppressant des grisâtres banlieues londoniennes frappe d’emblée et Barber nous enfonce progressivement dans la violence et l’insécurité quotidiennes des lieux.

Après une traumatisante scène choc en ouverture, la violence ordinaire qu’impose une bande de jeunes voyous à capuches dans une cité rend l’atmosphère irrespirable pour les habitants. Barber utilise divers motifs pour exprimer la peur de cet extérieur hostile comme les multiples scènes où Caine observe depuis sa fenêtre les différentes exactions en cours, où encore lorsqu’il fait constamment un détour pour éviter le tunnel sous terrain où zonent les voyous (ce qui lui fera manquer les derniers instants de sa femme hospitalisée).

Les témoignages de la police et les retours d’habitants en amont du tournage auront permis à Barber de rende le malaise palpable et ce réalisme est clairement revendiqué. Le film peut alors se laisser peu à peu glisser dans des codes lorgnant plus vers le vigilante movie, même si l'on y voit davantage un western urbain. Tous les éléments « faciles » sont mis en place pour accepter et approuver la prise d’armes de Harry Brown : une police aux bonnes intentions mais impuissante, mort révoltante de son meilleur ami… Ancien des forces spéciales, Caine va alors malgré son grand âge pouvoir déployer son dévastateur savoir-faire.

Le réalisme de départ s’orne donc progressivement d’un malaise putassier au détour d’une longue et sordide entrevue entre Brown et un dealer squelettique. Plus tard, c’est carrément le fantastique qui sera convoqué le temps d’une apparition fantomatique de Caine icônisé comme un spectre vengeur. Ce mélange fonctionne admirablement d’autant que malgré ses facultés, le grand âge du héros n’est jamais oublié. Il est un facteur d’effet de surprise chez les voyous voyant ce vieillard se rebiffer mais également lorsqu’il s’essouffle plus vite ou a des réflexes plus lents que ces jeunes adversaires. Michael Caine est comme souvent formidable en exprimant la fragilité mais aussi la détermination de Harry Brown. Les autres personnages ont bien du mal à exister hormis Emily Mortimer en flic dépassée tandis que les voyous ne sont que des silhouettes capuchonnées au teint blafard.

Finalement seule la conclusion prête à controverse puisque dénuée de l’aspect rédempteur qu’on trouve dans le film de vigilante. Bien au contraire, le tunnel tant de fois esquivé peut enfin être traversé par Caine tandis qu’un montage parallèle entre infos et images d’un quartier apaisé semble justifier ses actions. On entend arriver les accusations de fascisme mais le choix de Caine dans le rôle titre n’est pas anodin, sa personnalité et la prestance qu’il impose à Brown brouillent les frontières d’une moralité bien pensante. De plus, la tonalité appuyée de western urbain ne rend que plus logique cette conclusion avec ce drôle de shérif ayant nettoyé le quartier.

Sorti en dvd chez Studio Canal

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