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lundi 7 mai 2012

La Guerre des Clans - Liu xing hu die jian, Chu Yuan, (1976)


Sur les ordres d'un employeur à l'identité secrète, Meng Sheng-hun, un tueur renommé, est engagé pour éliminer Sun Yu. Une tâche beaucoup moins aisée qu'il n'y paraît, sa cible étant constamment entourée de gardes du corps redoutables. L’assassin doit donc s'infiltrer au sein du clan Lung Men sous une fausse identité pour tenter de gagner la confiance de sa future victime. Mais la détermination habituelle du tueur solitaire est remise en question lorsqu'il croise par hasard une charmante et mystérieuse femme dans la Forêt aux Papillons...

La Guerre des Clans voyait les mythiques studios Shaw Brothers et le cinéma de Hong Kong trouver un nouveau souffle. Auparavant le studio avait toujours su faire sa révolution et engendrer une nouvelle mode. Au début des années 60, l’acquisition d’immenses terrain et la construction de leur propre studios avaient façonné l’esthétique très sophistiquée de la Shaw Brothers, reconnaissable entre mille. Avec L’Hirondelle d’or (1966), King Hu offrait un de ses plus grands succès au studio et inventait tous les codes visuels du wu xia pian (film de sabre chinois). King Hu prolongeait d’ailleurs dans ce film la tradition de l’Opéra de Pékin où les héroïnes étaient exclusivement féminines (même lorsque dans l’intrigue était un homme) ce qui allait être balayés par l’autre bouleversement du genre symbolisé par Chang Cheh. Le réalisateur très influencé par le chambarra japonais mettait lui en avant des héros à la virilité toutes puissante, aux récits d’amitié masculines intenses où la notion de sacrifice sanglant prenait tout son sens là aussi très inspiré du seppuku japonais dans des films comme Frères de sang ou La Rage du Tigre. Chang Cheh avait poussé ce schéma jusqu’à la caricature et prolongé dans le film de kung fu mais depuis la Shaw Brothers était dans une certaine impasse et peinait à se renouveler.

La Guerre des Clans changea la donne en étant un des premiers films à adapter les romans de Gu Long. Celui-ci peut être considér2 comme une sorte de Alexandre Dumas local, officiant également au sein de la presse où il publia en tant que nègre puis sous son propre nom une somme considérable de roman d’arts martiaux en feuilleton jusqu’à définir son propre style. Ce style se caractérise par divers points qui tranchent avec la tradition du wu xia pian. Contrairement à un King Hu féru d’histoire et si pointilleux dans les détails temporels de ces films (décors, costumes…) les livres de Gu Long s’affranchissent de toute réalité en se déroulant à des périodes indéterminées.

Tout ce que l’on sait, c’est qu’ils ont pour cadre le Jiang-hu (le monde des arts martiaux), peuplés de combattants et tueurs redoutables ne vivant que pour être le plus fort. Cet univers est une pure fantaisie avec des ennemis aux facultés surnaturelles et pouvoirs démesurés. Gu Long instaure donc des intrigues riches au complots et rebondissement où ce petit monde s’affronte mais où il interroge aussi la vacuité de cette vie consacrée au combat. Dernière touche marquante, l’influence européenne se caractérisant par des héros séducteurs à la James Bond et également un érotisme fort prononcé.

La Guerre des Clans en incluant tous ces éléments dans cette première tentative d’adaptation est donc un sacré coup de tonnerre. Chu Yuan était le candidat idéal pour s’y frotter et deviendra le spécialiste des adaptations de Gu Long avec des chefs d’œuvres comme Le Complot des Clans ou Le Sabre Infernal. Son raffinement visuel et son goût pour les intrigues complexes avait déjà donné un classique du genre quelques années plus tôt avec Intimate Confessions of a Chinese Courtesan. La Guerre des Clans offre une entrée en matière parfaite pour s’initier au genre avec son intrigue transposant en quelque sorte Le Parrain dans le monde du Jiang-Hu.

Le clan Lung Men mené par l’Oncle (le parrain) est donc ici en guerre avec le redoutable clan des Rox tandis que parallèlement un mystérieux commanditaire envoie en début de film un tueur régler son compte à l’Oncle. Seulement en cours de route le tueur en question rencontre puis tombe amoureux de la fille de l’Oncle, bannie quelques années plus tôt pour être déjà tombé sous le charme d’un assassin.

L’intrigue est assez jubilatoire à travers une suite de rebondissement où les traîtrises se multiplient à des dimensions rocambolesque, chaque clan dissimulant des agents dormants chez l’autre et l’ami ou le parent le plus proche peut s’avérer un ennemi ambitieux attendant son heure. Mieux vaut rester attentif sans quoi l’on sera vite perdu mais l’on n’est pas loin du film d’espionnage bariolé où chacun avance ces pions dans une redoutable partie d’échec. Ku Feng dans le rôle de l’Oncle (et généralement spécialiste des rôles de méchants à la Shaw Brothers) est fabuleux en patriarche indestructible, humain mais qui exige néanmoins une soumission de tous les instants de ses acolytes.

On salue ainsi son intelligence et sa capacité d’anticipation des pièges de ses ennemis mais le clan et son chef passe toujours en premier telle cette scène cruelle où une famille l’ayant aidé à s’enfuir doit s’empoisonner pour être certaine de ne pas le livrer. Chu Yuan intègre donc habilement ce versant négatif de ce fascinant univers, notamment par la rédemption du tueur amoureux (et de son ancien frère d’arme pour qui l’amour fut une déchéance et un salut à la fois comme le souligne un échange) qui ne peut plus effectuer sa mission sans fléchir.

Visuellement c’est une splendeur où Chu Yuan renforce encore l’abstraction et la teneur irréelle du Jiang-hu, entre décor flamboyant (la forêt aux papillons où se rencontre les amants), affrontements virtuoses (un ennemis qui dissimule 72 armes secrètes sur lui, une tunique indestructible le tout sur des chorégraphies tourbillonnante de Tang Chia) et un érotisme qui s’il est moins prononcé que dans les écrits de Gu Long n’en demeure pas moins chatoyant et émoustillant sans tomber dans la vulgarité.

L’épilogue est absolument parfait avec cette notion de traitrise se prolongeant jusque dans la dernière seconde mais aussi dans cette interrogation du Jiang-hu que l’on se doit d’abandonner lorsque de plus nobles sentiments dominent ses acteurs. Un grand film qui ouvrait la voie à d’autres belles réussites signées Chu Yuan et adaptées de Gu Long, on en reparlera ici.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side dans la collection Shaw Brothers

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