Pages
▼
mercredi 16 mai 2012
La Mousson - The Rains of Ranchipur, Jean Negulesco (1955)
1938. En Inde la Maharani de Ranchipur fait ses derniers adieux à son défunt mari, le Mahârâja Man Singh Bahadur. Quelques dignitaires ont fait le déplacement pour les obsèques. Parmi eux, Lord Albert Esketh et sa femme, Lady Edwina. Cette dernière va tomber amoureuse du Dr Rama Safti, un jeune homme autrefois adopté par les suzerains de la région, et que la Maharani considère comme son propre fils. Une idylle que refuse la veuve, et que les éléments déchaînés vont mettre à mal.
The Rains of Ranchipur est la seconde adaptation du roman de Louis Bromfield et constitue donc un remake de The Rain Came, fabuleuse version réalisée par Clarence Brown deux ans après la parution du livre. Pour la Fox qui produit le film, on est là dans une démarche proche de celle de la MGM lorsqu'elle remaka La Belle de Saigon pour en faire le Mogambo de John Ford.
Il s'agit donc de revisiter un ancien classique à l'aune des techniques et éléments en vogue du moment, ici le cinémascope et le visuel monumental qui en découle, l'exotisme tapageur magnifié par le technicolor flamboyant. On le saisit dès l'ouverture où Negulesco multiplie les vues grandioses de cités et paysage à perte de vue, fait déambuler les personnages dans des palais gigantesque et luxueux.
L'histoire est sensiblement la même que l'original mais avec plusieurs modifications essentiellement dues à la présence de Lana Turner qui monopolise bien plus l'attention que Myrna Loy chez Clarence Brown qui avait réalisé un vrai film choral. On en est loin ici où l'histoire d'amour entre l'ingénieur alcoolique joué par Fred MacMurray et la jeune Joan Caulfield (George Brent et Brenda Joyce dans l'original) est nettement plus en retrait et moins intéressante la faute notamment à la prestation un peu transparente de Joan Caulfield.
L'attention sera donc essentiellement portée sur Lana Turner et ses amours coupables avec le Docteur Safti. Le personnage de Lady Edwina est d'ailleurs nettement plus chargé ici dans ses mœurs dissolues : mariée à son époux uniquement pour son titre de noblesse, elle lui mène la vie dure par ses infidélités qu'il ne peut discuter puisqu'il dépend d'elle financièrement.
Invités à la cour de la Maharani de Ranchipur, elle jette son dévolu sur le vertueux et innocent Docteur Safti (Richard Burton), futur héritier et dévoué à son peuple. Lana Turner excelle dans ce registre de séductrice vénéneuse et sans cœur, que ce soit le début du film dans le train où elle humilie son mari (Michael Rennie) ou encore la séduction tout en œillades brûlante qu'elle fait auprès de Richard Burton. Le problème survient quand l'histoire d'amour surgit et qui si elle fonctionne paraît bien fade pour qui a vu le film de Clarence Brown.
Dans le film de 1939, Safti bien que troublé par les avances d'Edwina ne cède pas car devinant l'égoïsme de cette dernière. Ce n'est que dans la dernière partie lorsqu'Edwina ayant elle-même connu la souffrance se dévoue aux autres qu'elle éveille des réels sentiments chez Safti. La prestance et la noblesse dégagée par Tyrone Power et l'intensité dégagée par Myrna Loy y était pour beaucoup. De plus la mise en scène de Brown regorgeait d'idée prodigieuse (cette allumette éteinte qui plonge l'image dans l'obscurité, Myrna Loy qui découvre qu'elle est empoisonnée...) transcendant encore la prestation des acteurs.
Jean Negulesco n'a pas ce talent et fait finalement reposer l'évolution des personnages par le seul dialogue, Lana Turner devenant amoureuse éperdue d'une scène à l'autre sans que l'on ait trop vu la transition, tout comme Richard Burton qui lui cède bien trop facilement. On sent d'ailleurs Burton prêt à amener sa personnalité avec un Safti plus dur par rapport à l'interprétation bienveillante de Tyrone Power mais cela ne sera qu'esquissé. L'histoire d'amour fonctionne donc néanmoins mais on est plus devant un mélo exotique conventionnel que face au drame poignant de Clarence Brown.
La scène de catastrophe naturelle résume à elle seul le fossé qui sépare les deux films. Elle est aussi spectaculaire dans les deux œuvres mais là où chez Negulesco on a le sentiment d'une démonstration du département des effets spéciaux, avec Brown on a un vrai point de vue sur cette apocalypse aquatique en marche bien plus douloureuse et intense par les choix du réalisateur, la capture bien plus terrifiante de cette panique ambiante.
Le seul vrai démarcage se situe dans la conclusion et est assez discutable. Le choix entre devoir et passion constitue l'enjeu final dans chaque film mais là où en 1939 ces responsabilités sont vues comme nécessaires malgré les sacrifices, elles sont un poids et presque une source de culpabilité en adoptant le seul point de vue égoïste de Lana Turner comme en témoigne le dialogue final avec la Maharani.
La fin de The Rain Came était un déchirement où le héros abandonnait tout douloureusement à sa patrie et là ce serait plutôt le renoncement d'une Lana Turner jamais soucieuse de ce qui l'entoure qui l'emporte (même si la séparation finale est très belle). Un choix assez curieux tout de même.
Donc chez Brown on aura eu un film d'une vraie subtilité porté par un regard personnel (et probablement plus fidèle au livre) quand Negulesco propose une production façonné par le studio et phagocytée par sa star. Ceci dit le film est fort dépaysant, romanesque et agréable à suivre si l'on a pas vu le premier film dont la connaissance biaise un peu l'avis au désavantage de son remake.
Film assez dur à trouver, uniquement sorti dans une édition espagnole trouvable sur amazon même si un peu chère mais ça vaut le coup voyez les captures. Quant à l'original de Clarence Brown c'est plus simple, sorti en dvd zone 1 chez Fox et doté de sous-titres anglais. J'ai parlé du film en novembre et je l'ai mis en lien dans le texte pour ceux qui souhaitent avoir un avis détaillé dessus.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire