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dimanche 27 mai 2012

Thunder Rock - Roy Boulting (1942)


Un gardien de phare intrigue l'administration car il ne prend pas de vacances et n'encaisse jamais ses salaires. En fait, dans une autre vie, il fut un journaliste antifasciste mais désabusé et dégoûté par les réactions de ses compatriotes et amis européens devant la montée du nazisme dans les années 40, accepte un poste de gardien de phare à Thunder Rock. Un naufrage advint un siècle auparavant dans les parages et dont une inscription commémore les victimes, des émigrants européens, à l'intérieur du phare...

Des frères Roy et John Boulting, on retient plus aisément aujourd'hui les comédies satiriques des années 50 comme Private's Progress, sa suite I'm alright Jack ou encore Carton Brown of the F.O. où ils mettaient joyeusement en boite les travers de la société anglaise désormais considéré comme des classiques. Les Boulting débutèrent pourtant dans un registre nettement plus sérieux dans le mélodrame où ils témoignaient déjà de leur grand talent et de leurs préoccupations sociales. Ce formidable et déroutant Thunder Rock en offre une preuve des plus éclatantes.

La scène d'ouverture est d'ailleurs typique de leur humour caustique. Dans un bureau administratif social quelconque, des responsables aux échelons divers se refilent la bonne affaire en quête de galons : un gardien de phare n'a pas donné signe de vie, encaissé ses salaires ni pris de vacances depuis de nombreux mois. Un agent est dépêché sur place et le mystère s'épaissit sur le gardien par son mode de vie singulier. David Charleston (Michael Redgrave) semble en effet renforcer l'isolement naturel de sa fonction par l'absence totale du moindre élément lié à l'extérieur dans son environnement austère : pas de journal, de livre ou de radio.

Un échange vif entre Charleston et son ami et pilote Streeter (James Mason) nous éclairent sur son état d'esprit puisque notre héros a sciemment choisit de s'isoler et de fuir les affaires de ce monde où la guerre est pourtant imminente. A la place, il s'est réfugié dans le souvenir du drame survenu alentour un siècle plus tôt lorsque le navire d'immigrants anglais fit naufrage à l'approche du Nouveau Monde.

Le film est un exemple de plus des prodiges que pouvaient tirer les anglais d'un film de propagande, puisque c'est clairement ce dont il s'agit ici. Le film adapte une pièce de Robert Ardrey qui fut un grand succès public en Angleterre au contraire des Etats-Unis où elle fut jouée en premier et passa inaperçue. La pièce était une diatribe anti isolationniste incitant le pays à s'engager alors que les tensions montent en Europe avec la montée du nazisme allemand et du fascisme italien mais les USA pré Pearl Harbor n'étaient sans doute pas encore prêts à entendre le message.

Dans cette volonté de propagande, les changements effectués par les Boulting ajoutent donc des flashbacks sur le passé de Charleston où nous découvrons qu'il fut journaliste politique et couvrit la montée de tous ses extrêmes mais se confronta à l'indifférence, l'incompréhension et l'inconscience de ses concitoyens face au danger imminent.

Le message est clair entre les images d'archives de discours d'Hitler, les séquences où Charleston est malmené par des policiers fascistes italiens hostiles aux anglais et un échange absurde où les français vantent leur précieuse ligne Maginot. Les Boulting réservent cependant leur fiel pour leurs compatriotes notamment lorsque Charleston verra ses articles alarmistes altérés par ses éditeurs et surtout cette scène saisissante où dans un cinéma les actualités montrent l'invasion de la Pologne par les nazis face à un public indifférent et plus réactif à l'épisode de Popeye qui suit.

Charleston abandonne donc la lutte, laisse le monde courir à sa perte et part s'isoler en tant que gardien de phare. C'est là qu'intervient l'aspect le plus captivant du film qui ouvre clairement la voie au grand mélodrame fantastique et gothique façon L'Aventure de Madame Muir ou Le Portrait de Jennie. Dans ces films, l'intervention du surnaturel était constamment questionnée par l'équilibre psychologique des héros qui y trouvaient une béquille réelle ou imaginaire de surmonter leur fêlures.

Ici cela se manifestera par les apparitions des victimes du naufrage de 1839, vrais fantômes ou pur produit de l'imagination de Charleston. Chacune de ses figures fut à son tour amenées à défendre un idéal et y faillit cruellement. L'ouvrier Ted Briggs (Frederick Cooper) allait aux Etats-Unis pour trouver de l'or et subvenir à sa famille nombreuse, la féministe Ellen Kirby (Barbara Mullen) renonçait à ses convictions pour devenir l'une des épouses d'un mormon et le médecin Stefan Kurtz où ses innovations sur les anesthésiques étaient mal perçues.

Tout cela pourrait prendre un tour trop symbolique mais les Boulting privilégient les émotions aux idées en ajoutant à nouveaux des flashbacks à la pièce sur le passé des naufragés. Loin de surligner ou sur expliquer, ces moments renforce encore le drame et les renoncements des protagonistes en confrontant le héros au sien. Réel ou rêvé, la destinée tragique des naufragés doit l'inciter à reprendre son destin en main et se battre lui qui est toujours en vie. Voilà une formidable et poétique manière d'appel à la lutte.

Visuellement le film est d'une grande audace dans les séquences fantastiques. La mise en scène de Roy Boulting suggère subtilement la possible création de l'esprit que sont les fantômes telle cette première apparition du Capitaine Joshua (Finlay Currie) sous forme de voix, puis d'ombre et enfin de mystérieuse silhouette aux côté de Charleston installé à son bureau. Mankiewicz reprendra l'idée dans L'Aventure de Madame Muir où Rex Harrison apparaissait souvent sur le côté de Gene Tierney comme un mauvais génie issu de son inconscient.

L'agencement théâtral est aussi longuement repris, les naufragés évoluant dans le décor du phare comme s'ils se trouvaient toujours sur le navire renforçant l'idée d'espace mental confiné. Les flashbacks sur le passé de Charleston s'illustrent ainsi en fondu enchaîné tandis que ceux des naufragés sont toujours des extensions du décor par des idées de mis en scènes brillantes (mouvements de caméras, profondeur de champs nouvelle par une porte ou un objet dévoilant un autre lieu...) qui symbolisent l'altération des barrières psychiques du héros par ses découvertes façon Christmas Carol de Dickens.

Les jeux d'ombres et les cadrages obliques renforcent quant à eux l'atmosphère gothique des plus prononcées. C'est vraiment captivant de bout en bout et porté par un casting parfait. Michael Redgraves est aussi habité dans la passion que le renoncement, les naufragés sont tous également touchant dont une formidable Lilli Palmer et James Mason fait une remarquable apparition au début. Superbe film proche des meilleurs Powell/Pressburger dans l'ambition et la manière de transcender la commande d'état par un propos plus universel où le rêve et l'imagination nourrissent la détermination du réel. Le film remportera un grand succès public et critique dont assez ironiquement aux USA (car sorti au bon moment) où la pièce fut boudée.

Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais

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