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samedi 2 juin 2012

La Fille de la cinquième avenue - Fifth Avenue Girl, Gregory La Cava (1939)


Alfred Borden, PDG millionnaire, est déprimé, il se sent délaissé par sa famille qui le néglige oubliant même son anniversaire. Il rencontre à Central Park une jeune femme au chômage, Mary Grey. Il l’invite à dîner dans un night-club à la mode pour fêter son anniversaire. Charmé par la joie de vivre de Mary, il lui propose de venir vivre chez lui afin d’attiser la jalousie de sa famille.

Fifth Avenue Girl est au premier abord pour Gregory La Cava une sorte de variation sur le même thème de son chef d'œuvre My man Godfrey au pitch rigoureusement similaire : un personnage défavorisé s'immisce chez des nantis dont il va perturber l'existence et redonner un certain sens des réalités à leur vie oisive. Le principal changement semble uniquement être le sexe de l'élément perturbateur, William Powell en majordome pince sans rire dans Mon homme Godfrey et Ginger Rogers (qui affine là son nouvel emploi d'héroïne prolétaire) en chômeuse sarcastique. La différence est bien plus profonde cependant et loin du remake masqué, le message de Fifth Avenue Girl est tout autre malgré la construction similaire.

Mon homme Godfrey, vrai film social usait des codes de la screwball comedy pour délivrer un récit tout en hystérie où le trait largement forcé servait à montrer le détachement d'une famille riche totalement délurée bientôt ramenée sur terre par l'arrivée du clochard reconverti majordome Godfrey. Pour situer l'approche différente des deux films il suffit de comparer les entrées en matière proche et éloignée à la fois. Mon homme Godfrey débute sur une colère homérique du patriarche joué par Eugène Palette contre sa famille trop dépensière qui montrera bientôt son sens de l'excès totalement inconscient. Dans Fifth Avenue Girl le chef de famille de famille Alfred Borden (Walter Connolly) a aussi des reproches à adresser à sa famille : tandis qu'il trime pour assurer la survie de sa compagnie, les siens s'amuse joyeusement et le délaissent.

Sa femme flirte avec d'autres hommes, son fils joue au polo au lieu de le seconder et sa fille entame une tapageuse existence de "débutante" fêtarde. Le mal est si profond que le soir de son anniversaire Borden se trouve désespérément seul. C'en est trop et parti noyer sa solitude à Central Park il rencontre la chômeuse pince sans rire Mary Grey (Ginger Rogers) qu'il va utiliser pour susciter la jalousie de sa famille et la reconquérir. Dans Mon homme Godfrey la famille est visible d'entrée dans toute sa folie et extravagance pour souligner leur frivolité, cette même famille brille par son absence dans l'ouverture de La fille de la cinquième avenue. C'est là tout le propos de ce second film, le fossé progressif d'une famille où chacun est devenu un étranger pour l'autre, le mari et son épouse, les parents et les enfants, l'enjeu étant la reconstruction de cette entité (et assez ironiquement la famille de Mon homme Godfrey en dépit de tous ses travers est sans doute plus soudée).

Ce n'est pas leur attitude déconnectée qui est reprochée ici (les quelques scènes du genre n'atteignent jamais la folie azimutée de Mon homme Godfrey) mais bien leur indifférence les uns aux autres. La construction très intelligente du film montre donc le rapprochement entre Borden et Ginger Rogers installée chez lui qui scandalise peu à peu la famille. L'enjeu semble au départ purement matériel à travers l'épouse snob jouée par Verree Teasdale mais ce n'est qu'une surface puisque blessée dans sa fierté elle va apprendre à aimer de nouveau cet époux qui s'éloigne d'elle et tenter de le reconquérir. Pour le fils oisif joué par Tim Holt, c'est l'heure de prendre ses responsabilité, Borden délaissant en apparence ses affaires ses affaires pour la compagnie de Ginger Rogers.

C'est d'ailleurs par Ginger Rogers que la mécanique trop bien huilée s'enraye quand lorsque la famille se rapproche elle se trouve confrontée à sa propre solitude. L'actrice traverse les petites crises de chacun avec un détachement ironique parfait avant de fendre magnifiquement l'armure lors de la conclusion.

Les préoccupations sociales de La Cava même si moins appuyées (et qui retrouveront leur importance dans le très noir Primrose Path à suivre de nouveau avec Ginger Rogers) sont toujours bien présentes que ce soit sous forme de moquerie où les pauvres comme les riches en prennent pour leur grade (le passage au restaurant au début, la rhétorique communiste clichée du personnage Michael le Ninotchka de Lubitsch ou le Un, deux trois de Wilder ne sont pas loin) mais aussi un regard plus tendre comme l'escapade à Central Park de Ginger Rogers et Tim Holt voyant défiler en voisins de banc des communautés hétéroclite du peuple new yorkais, marin de passage comme émigrants japonais. Sans complètement égaler les autres réussites de cette grande période d'inspiration pour La Cava, vraiment un joli film.

Sorti en dvd zone 2 français chez Montparnasse dans la collection RKO

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