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mardi 24 juillet 2012

Chez les heureux du monde - The House of Mirth, Terence Davies (2000)

Au début du XXe siècle, au sein de la haute société new-yorkaise où règnent superficialité et hypocrisie, Lily Bart, ravissante jeune femme au sommet de sa gloire mondaine, découvre subitement la précarité de sa position, quand son charme et sa beauté suscitent convoitise et jalousie. En quête d'un riche mari et désireuse de se conformer aux usages de son milieu, Lily passe à côté de l'amour véritable incarné par l'infortuné Lawrence Selden.


Parti dans un petit cycle de lecture sur Edith Wharton, je m’attaque donc maintenant aux adaptations cinéma. L’auteur a été peu servie par le septième art puisque les adaptations s’y limitent à deux (il existe aussi une version muette disparue de Chez les heureux du monde par Albert Capellani, on en trouve un peu plus en se tournant vers la télévision) avec Le Temps de l’innocence de Martin Scorsese (1993) et donc Chez les heureux du monde de Terence Davies (2000). The House of Mirth est le premier roman majeur d’Edith Wharton dont l’existence doit beaucoup à Henry James, grand ami et mentor de cette dernière. Edith Wharton, qui passa son enfance en Europe y développa une certaine liberté d’esprit et de pensée qui éveillèrent son sens critique lorsqu’elle revint à la société guindée new yorkaise dont tout le vide s’exposa à elle au grand jour. Malheureuse en mariage, c’est d’abord sa grande culture qui la poussera à l’écriture avec son premier ouvrage The Decoration of the Houses avec l’architecte Ogden Codman ou plus tard le roman historique The Valley of Decision se déroulant dans l’Italie du XVIIIe siècle.

Si ces premiers essais développent son sens de la description et de l’ornement (d’une importance cruciale dans la psychologie de ses personnages) son ami Henry James lui reprochera l’abstraction de ses écrits détachés du réel et lui recommandera de mettre son évident talent littéraire dans une vision des éléments qui l’entoure. Et que connaît-elle le mieux si ce n’est cette aristocratie new yorkaise hypocrite qu’elle exècre ? Le résultat de ses nouvelles résolutions sera donc The House of Mirth, tragique et féroce vision de ce milieu.

Terence Davies délivre une remarquable adaptation, très fidèle et aux choix audacieux. L’histoire dépeint le terrible destin de Lily Bart (Gillian Anderson), beauté, objet de convoitise et de jalousie de cette bourgeoisie new yorkaise. Le personnage est déchiré entre des aspirations personnelles plus nobles et la soumission à l’étiquette et train de vie frivole de son milieu. C’est son absence de choix constant qui causera sa perte. D’un côté amoureuse du modeste Lawrence Selden, seul avec qui elle peut être elle-même et l’ouvrant à un monde plus vrai et authentique. De l’autre les belles robes, les fêtes somptueuses, les sorties à l’opéra et les séjours à la campagne, signes extérieurs d’une richesse qu’elle n’a pas et auxquels elle ne peut renoncer.

Lily fera ainsi tous les mauvais choix, s’aliénant l’amour de Selden comme la reconnaissance de ses pairs. Trop hautaine pour totalement céder à Selden et trop consciente pour céder aux comportements odieux qui faciliterait son ascension (l’épisode des lettes compromettante de Bertha Dorset), Lily est un personnage condamné. Gillian Anderson est absolument admirable en Lily Bart, l’allure gracieuse et séductrice ravageuse (la première apparition où se dévoile sa silhouette dans l’ombre est splendide) dont la tranquille assurance dissimule un être profondément angoissé. L’actrice bouleverse ainsi lorsqu’elle tombe le masque pour s’abandonner fragile et tremblante dans les bras de Selden, et sa déchéance progressive n’en sera que plus désarmante lorsqu’elle ne pourra plus trouver la force à garder ce maintien face aux épreuves.

Terence Davies rend son film presque plus pessimiste que le déjà très sombre roman par ses changements. Le réalisateur fait ainsi disparaître le personnage de Gerty Farrish, cousine humble et travailleuse de Lily Bart qui offre le miroir d’une autre existence possible pour l’héroïne si elle renonçait à ses futilités. Davies dans son script mêle certains aspects du personnage à la nettement moins avenante Grace Stepney (Jhodi May) tel que la rivalité amoureuse autour de Selden et celle pour les faveurs de la Tante Peniston.

Par ce choix, Davies ne donne plus d’échappatoire possible à Lily dont le funeste destin est tracé et surtout renforce l’impossibilité de toute amitié réelle et de relation sincère dans ce cadre où tout rapprochement est calculé, où tout service doit recevoir sa "récompense" (Dan Aykroyd horrible Gus Trenor). Les autres changements vont dans ce sens et ne donne plus aucun répit à Lily tel ce moment de réconfort dans les dernières pages du livre où elle croise une ancienne connaissance et son bébé.

Davies instaure un style feutré et faussement neutre qui s’il ne délaisse pas le côté chatoyant du film en costume s’avère profondément étouffant. On devine plus que l’on aperçoit les demeures luxueuses traversées, la scène de l’opéra s’attarde plus sur les regards s’épiant entre les loges que le décor en lui-même et les beautés du voyage en Europe reste en arrière-plan pour mieux illustrer les manipulations de Bertha Dorset (Laura Linney perfide à souhait).

C’est une véritable chape de plomb du paraître qui s’abat ainsi sur l’ensemble du film où une fois la réputation faite le piège se referme inéluctablement. Un dialogue brillant entre Lily et Bertha Dorset souligne ce qui les différencie : l’une mène une vraie existence dissolue mais à le statut et les moyens d’étouffer des travers connus de tous quand Lily finalement trop « pure » perdra tout par ce que l’on suppose faussement d’elle mais ne pouvant se défendre à armes égales. Le jugement moral s'arrête ainsi à l'aune de la richesse du coupable. 

Tous ses aspects sont brillamment mis en place par Davies qui a parfaitement saisi l’essence du roman. Dès lors on pardonnera les quelques faiblesses, notamment au casting avec un Eric Stolz un peu fade face à la droiture qu’on ressent à lecture pour Lawrence Selden. Les entrevues avec Lily Bart tiennent donc grandement à l’émotion véhiculée par Gillian Anderson (qui aurait dû définitivement se détacher de X-Files et faire une belle carrière après ce rôle dommage) notamment la dernière déchirante. Beau film néanmoins

Dvd zone 2 français Paramount


6 commentaires:

  1. Je suis surprise de ce que tu écris sur Selden, qui m'avait plutôt fait l'effet d'un lâche, à la lecture...

    Beau billet, en tout cas !

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  2. Merci ! Je suis d'accord pour Selden je le trouve lâche aussi vers la fin du livre quand il abandonne Lily et suit finalement l'opinion commune mais au départ c'est un personnage intéressant par le regard distancié et pas dupe qu'il pose sur cette société même s'il va finir par s'y conformer aussi.

    Sur ce point la fin du film rend bien la dernière entrevue entre Lily et Selden où il suffirait d'un mot de lui pour empêcher le drame et qu'il ne prononcera pas ou trop tard (quoique il y a un petit élément dans le film qui le rend encore plus lâche je n'en dirais pas plus !). Pas complètement convaincu par Eric Stolz sur l'ensemble du film mais là il est très bon. Tu peux tenter en tout cas c'est fidèle tout en élaguant juste ce qu'il faut.

    J'ai vu récemment en salle le dernier film de Terence Davies "The deep blue sea" beaucoup aimé aussi ça donne envie de mieux connaître ce réalisateur. Si certains ont des recommandations à faire je suis preneur !

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  3. Ah, c'est le même réalisateur ; je n'avais pas fait le lien. Télérama lui a consacré un article assez intéressant il y a un mois, je crois. ;)

    Je voulais te signaler : j'ai beaucoup de mal à charger les pages de ton blog. C'est ma bécane qui est pourrie, ou quoi ?

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  4. Je crois que c'est ta bécane malheureusement ^^ aucun problème pour moi. Ca doit juste être ton réseau internet qui rame momentanément et avec l'abondance d'images et de captures d'écran par ici ça n'aide pas :-)

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  5. Très beau billet, effectivement ! Et de mon côté, pas de soucis pour charger les pages.

    C'est une adaptation que j'ai aussi beaucoup aimé. Le personnage de Lily Barth est profondément dramatique, et ça ressort très bien dans le film. La beauté fragile et volontaire de Gillian Anderson lui correspond tout à fait.

    Personnellement, j'avais beaucoup aimé Selden dans le roman, et c'est vrai que je l'ai trouvé plus terne, plus fade dans le film. Mais je suppose qu'en deux heures, le film devait se concentrer sur Lily, et le fait que l'actrice porte magnifiquement le rôle a effacé un peu Selden.

    Si je devais avoir un seul regret, ce sont les scènes en Europe, où certains effets spéciaux sont vraiment kitsch. C'est dommage, le reste du film est magnifique.

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  6. C'est vrai que certains passages en Europe sont un peu kitsch, je me souviens des arrières-plans quand ils sont sur le yacht qui sont bien cheap manque de budget sans doute.

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