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mardi 10 juillet 2012

De la page blanche aux salles obscures : adaptation et réadaptation dans le monde anglophone - (Collectif) Ariane Hudelet, Shannon Wells-Lassagne


Depuis ses débuts, le cinéma a régulièrement pioché dans l’immense patrimoine littéraire mondial pour alimenter ses récits. Cet ouvrage collectif des Presses universitaire de Rennes s’axe plus précisément sur le versant anglo-saxon de ses adaptations littéraires, et explore les différents questionnements se posant dans la perspective de transposer à l’écran un ouvrage. De la page blanche aux salles obscures est richement documenté et propose, chiffres pointus à l’appui, un véritable panorama du marché toujours vivace de l’adaptation dans le cinéma anglo-saxon.

Dès lors les tendances politiques, sociales ou économiques du moment peuvent déterminer la fidélité de ces essais, ou du moins l’orientation dominante qu’elles adoptent. Parmi les exemples cités, le rajeunissement du public aura ainsi amené une relecture teenage du Emma de Jane Austen avec Clueless en 1995 (sans qu'il soit cité, on peut ajouter Cruel Intentions en forme de Liaisons dangereuses adolescente), ce qui n’altère pas forcément le marché des adaptations traditionnelles mais élargit les possibilités.

Le livre passionne d’ailleurs lorsqu’il étend le spectre au-delà de la pure littérature. Un fait divers raciste scandaleux des années 30 où neuf jeunes noirs furent accusés à tort du viol de deux femmes blanches s’avère ainsi avoir nourri de manière plus ou moins directe divers drames sociaux produits à Hollywood dont le fameux Du silence et des ombres de Robert Mulligan. Les auteurs offrent un passionnant travail d’analyse pour montrer comment selon les contextes, les diverses œuvres humanistes engendrées par ce drame s’avèrent biaisée par la question du point de vue, les victimes étant plus ou moins mises en retrait au profit de leur défenseur blanc (Gregory Peck figure droite et vertueuse s’il en est dans le film de Mulligan). Le but est moins de dénoncer le racisme que de sauvegarder l’image et les valeurs de l’Amérique.

On retrouve une réflexion similaire lorsqu’est abordée la question du remake (une autre forme d’adaptation sous-jacente) avec l’évocation des deux versions de Imitation of Life (Stahl en 1933, Sirk en 1959). Comme il nous est expliqué, ces deux films (et quelques autres comme le Show Boat de George Sidney) sont inspirés des romans traitant du passing, soit ces personnes de couleur nées avec une peau éclaircie les faisant passer pour des blancs et qui en profitent pour s’intégrer dans la société raciste d’alors. Les transpositions filmiques vont ainsi à l’encontre du message des livres puisque ces tentatives sont constamment montrées sous un jour culpabilisant et dramatique, les seuls punis étant constamment ceux qui auront tenté de se camoufler plutôt que le cadre qui les y a contraint. Sur le même créneau de la notion d’image sont également traitées les deux versions d'Ocean Eleven (Lewis Milestone en 1960, Soderbergh en 2001) qui sous la même aura glamour proposent une vision de Las Vegas radicalement différente et directement liée au contexte économique des films.

Les pures analyses et comparatifs entre objet-film/livre sont vus à travers des exemples judicieux et plutôt originaux. On retiendra ce passionnant parallèle entre trois essais antinomiques de l’adaptation de L’Odyssée d’Homère avec respectivement le péplum de Mario Camerini Ulysse, le western spaghetti Le Retour de Ringo et Oh Brother des frères Coen. Hormis parfois un jargon analytique universitaire peut-être trop prononcé par instant, le livre parle autant au fin connaisseur de la littérature anglo-saxonne (la dernière partie très poussée sur les passages clés d’œuvres de James Cain, Virginia Woolf ou encore Joseph Conrad et leur différentes interprétations selon les versions) qu’au cinéphile puisque les deux se rejoignent dans l’excellente revue des scénarios de Harold Pinter (dont La Maîtresse du lieutenant français), ou la manière dont Mankiewicz imprègne et pervertit ses œuvres en y incluant des éléments de grandes œuvres papier.

Paru aux éditions Presses Universitaires de Rennes.

1 commentaire:

  1. Ce livre a l'air tout à fait passionnant.
    Ariane Hudelet est une spécialiste des adaptations à l'écran des romans de Jane Austen, je crois.

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