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jeudi 18 octobre 2012

The Man in Grey - Leslie Arliss (1943)


En 1943, une jeune femme faisant partie de la marine britannique et un pilote de la R.A.F. font connaissance lors de la vente des biens de la famille Rohan, dont le dernier membre mâle vient de trouver la mort à Dunkerque. Après que le pilote a tenu des propos calomnieux sur ladite famille, la jeune femme lui révèle que le dernier des Rohan était en fait son frère…

Retour dans l'Angleterre de 1830 : la riche et fragile Clarissa Richmond et son amie d'enfance, Esther Shaw, issue d'un milieu pauvre, se séparent lorsque cette dernière décide de suivre un jeune officier. Clarisse, pour sa part, épouse un dandy libertin, le marquis de Rohan. Quelques années s'écoulent. Clarisse retrouve son amie, devenue actrice, et s'éprend discrètement de son partenaire, Peter Rokeby...


The Man in Grey est une œuvre importante pour le cinéma anglais des années 40. Le film lance la vague des grands mélodrames Gainsborough qui rencontreront un succès considérable durant ces années-là avec leur cocktail de raffinement, romanesque et provocations. De plus le film réuni un casting emblématique où on trouve ici toute les futures stars du genre et pour certaines du cinéma anglais des années à venir.

Margaret Lockwood était déjà une vedette établie grâce aux succès de sa doublette à suspense Une femme disparaît/Train de nuit pour Munich signé Hitchcock et Carol Reed mais c'est réellement avec ce Man in Grey qu'elle se forge une identité auprès des spectateurs anglais avec ce rôle de garce séductrice qu'elle amplifiera encore avec le plus audacieux encore The Wicked Lady. James Mason est un peu dans la même situation, acteur déjà installé c'est avec ses rôles de méchants ténébreux à la Gainsborough qu'il deviendra la star la plus populaire d'Angleterre même si lassé de ces emplois limités il ira poursuivre sa carrière aux Etats-Unis à la fin de la décennie.

De même Stewart Granger trouve là son premier grand rôle en jeune premier romantique fougueux et aussi Phyllis Calvert en femme victime fragile. Ces quatre-là se croiseront plus d'une fois dans les succès à venir du studio : Phyllis Calvert à nouveau tourmentée par James Mason dans Fanny by Gaslight, Margaret Lockwood et Mason couple vénéneux dans The Wicked Lady, Phyllis Calvert séduite par un Stewart Granger retors dans Madonna of the Seven Moons, Granger et Lockwood en couple poignant dans Love Story.

The Man in Grey n'est pas le meilleur mélo produit par la Gainsborough mais il en pose toute les bases, autant par les archétypes des rôles composés par ses acteurs donc, mais aussi par son intrigue (notamment la source littéraire commune que sont les romans de Eleanor Smith adaptée ici ou plus tard pour Caravan) calquée en partie plus tard pour The Wicked Lady ou la réminiscence de certaines scène avec là un Leslie Arliss qui filme presque à l'identique la première apparition nocturne de Stewart Granger et celle de James Mason dans The Wicked Lady.

 L'histoire narre les destins liés de deux amies, Esther (Margaret Lockwood) et Clarissa (Phyllis Calvert). Depuis l'enfance leur nature profonde et leur différence sociale les différencie. Issue d'un milieu pauvre, Esther pour combler ce complexe face à ses camarades adopte une attitude distante et renfermée tandis que l'aisée Clarissa est ouverte et avenante envers tous. Ambitieuse et égoïste, Esther voit ses mauvais penchants atténués par la bonté de Clarissa mais une diseuse de bonne aventure leur prédit une opposition fatale dans le futur si elles poursuivent cette amitié.

On les retrouve quelques années plus tard, Clarissa mal mariée au ténébreux Rohan (James Mason) qui ne l'aime pas et souhait juste qu'elle lui donne un héritier et Esther végétant comme actrice dans un théâtre miteux. Clarissa prend une nouvelle fois son amie sous son aile sans se douter du drame à venir. Rohan perce Esther à jour et ayant reconnu une volonté et une âme noire semblable à la sienne en fait sa maîtresse tandis que Clarissa va tomber sous le charme d'un saltimbanque partenaire d'Esther, Rokeby (Stewart Granger).

 Leslie Arliss développe déjà ici son brio narratif avec cette capacité à rendre limpide une intrigue très dense, en enchaîner les rebondissements rocambolesque sans perdre le spectateur et à alterner les ambiances avec une aisance parfaite. Après une première partie d'enfance posant idéalement le caractère de chacune des héroïnes on bascule donc dans un enchevêtrement romanesque des plus prenants avec ses enjeux impossible à résoudre. Les scènes romantiques chatoyantes entre Phyllis Calvert et Stewart Granger alternent donc avec les étreintes plus torrides de Margaret Lockwood et James Mason mais les codes de ce monde aristocratique empêchent les couples de s'intervertir officiellement sous peine de scandale. Dès lors des solutions plus radicales s'imposent, surtout pour le personnage de Margaret Lockwood prête à toute les bassesses pour prendre sa revanche sur ses origines.

L'interprétation est pour beaucoup dans l'attrait du film. Margaret Lockwood campe un personnage à la dualité plus prononcée que dans The Wicked Lady (où elle était totalement malfaisante), constamment partagée entre sa réelle amitié pour Clarissa et ses rêves de grandeur, avec en point d'orgue une fabuleuse scène où elle a l'occasion de tuer pour de bon sa rivale mais semble prise de remords au dernier moment. James Mason captive par son seul talent ce qui aurait pu être un grotesque rôle de châtelain sadique et est ici extraordinaire par ses moues dédaigneuses (la première rencontre avec Clarissa sommet de mépris) et la perversité constante qui se dégage de ses regards.

Stewart Granger fait preuve d'un beau panache en amoureux fougueux (la bagarre avec Mason excellente) mais son personnage disparait un poil trop tôt. Phyllis Calvert peut parfois être agaçante quand elle se laisse trop aller dans ses élans pleurnichards (ce qui gâchait grandement Fanny by Gaslight) mais trouve ici le ton juste avec cette héroïne passionnée et fragile.

Le film traîne parfois en longueur mais la beauté plastique de l'ensemble happe de bout en bout avec ses intérieurs somptueux, la splendide photo de Arthur Crabtree (futur réalisateur de la firme) et les costumes recherché où pointent les écarts sexy à venir avec les décolletés vertigineux de l'oie blanche Clarissa, les chemises de nuits semi transparentes de la provocante Esther et un James "Man in Grey" Mason qui a fière allure dans ses redingotes collées au corps. Les élans de cruauté et de sadisme sont inédits pour l'époque, on retiendra particulièrement la terrible trahison de Margaret Lockwood et surtout le sévère châtiment que lui réservera un James Mason au regard fou.

Les flashbacks au présent tentent d'amener un peu de candeur à l'ensemble en réunissant à l'ère moderne le coule brisé dans le passé mais c'est surtout cette profonde noirceur et cette provocation qui marqueront les spectateurs anglais qui feront un triomphe au film, incitant Gainsborough à poursuivre dans cette veine. Ce sera fait avec The Wicked Lady, bien plus outrancier et réunissant quasiment la même équipe gagnante. The Man in Grey constitue cependant une belle entrée en matière pour s'initier à l'art encore imparfait de Gainsborough.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez Carlton et sans sous-titres. En bonus un documentaire d'époque très intéressant sur la carrière de James Mason commentée par l'intéressé. Sinon le film traîne au complet sur youtube également.

2 commentaires:

  1. C'est quand même le film le plus délirant du genre pour la période, avec le génialissime Wicked Lady... Ceci dit, plus mélo que ça, c'est impossible... (Même Pamela Wynne et Barbara Cartland sont battues à plates coutures...)

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  2. Ah je trouve le "Love Story" de Leslie Arliss plus mélo encore (mais sans la méchanceté et la férocité de Wicked lady et Man in grey) avec le couple Margaret Lockwood mourante et Stewart Granger bientôt aveugle ça fait beaucoup sur le papier ^^ mais le film est très beau.

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