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vendredi 30 novembre 2012

Les Jeux de l'amour et de la guerre - The Americanization of Emily, Arthur Hiller (1964)


Pendant la guerre, le lieutenant Madison et ses amis ont pour talent de trouver tout et n'importe quoi, et donc d'aimer la bonne vie, sans jamais avoir combattu. Débarqué à Londres, l'officier américain tombe amoureux d'une veuve anglaise et se retrouve par hasard charger d'une dangereuse mission.

The Americanization of Emily est une satire des plus réussie et en avance sur son temps en cette année 1964 où les Etats-Unis s'engagent dans la Guerre du Vietnam bientôt fort contestée. Son propos est annonciateur des MASH, Qu'as tu fais à la guerre papa ? ou De l'or pour les brave mais avec une irrévérence se mariant à merveille à la comédie romantique. Le script de Paddy Chayefsky va d'ailleurs dans ce sens antimilitariste par rapport au roman éponyme de William Bradford Huie qui mettait plus en avant le thème de ces femmes anglaise se donnant par nécessité au officier américain de passage, signification du Americanization du titre original. Ce changement ajoute donc littéralement ce questionnement autour de lâcheté pour donner ce ton satirique au film alors que le livre est bien plus sérieux.

 Le film nous présente un drôle d'officier américain de passage à Londres, le lieutenant Madison (James Garner remplaçant William Holden initialement prévu alors que lui devait jouer le personnage finalement joué par Coburn). La rigueur, le sens de l'organisation et de l'improvisation, il possède bien toutes ses qualités là mais pas exactement développées sur les champs de bataille.

Il a trouvé la planque parfaite à l'abri des tirs en étant l'organisateur des déplacements de l'amiral William Jessup (Melvyn Douglas) pour lequel il pourvoit (ainsi qu'à d'autres gradés) bonne chair, alcool et jolies anglaise peu farouche en échange de quelques cadeaux. Avec son ami Bus (James Coburn) ils mènent ainsi la grande vie et n'ont aucun scrupule à soudoyer la communauté locale pour s'approprier des plaisirs dont le peuple anglais est privé depuis bien longtemps. Une attitude qui révolte Emily (Julie Andrews), la jolie veuve lui servant de chauffeur dans Londres et témoin de tous ses trafics. Contre toute attente, ces deux-là vont pourtant se trouver attiré l'un vers l'autre malgré tout ce qui les oppose.

Le scénario tord brillamment les clichés attendus à travers quelques dialogues et situations bien senties. L'américain arrogant se croyant en terrain conquis où qu'il aille est plus fragile et sensible qu'il n'y parait (superbe échange où il éteint le déni de la mère d'Emily) et l'innocente anglaise bien plus sexuée qu'on le pense. C'est même leur défauts respectif qui les lient, Emily étant au départ ravie de tomber dans les bras d'un lâche puisqu'elle elle a perdu mari, frère et père dans le conflit. L'image de l'anglaise droite et vertueuse est autant renforcée que malmené quand on découvrira que Julie Andrews a pour habitude de coucher régulièrement avec des soldats américains de passage.

Nuance pourtant, elle ne le fait pas contrairement à ses amies pour des avantages quelconques mais par pure compassion puisqu'il s'agit d'anciens blessés qu'elle a veillé et qui doivent retourner au front. De même la lâcheté de Madison répond effectivement à une pure couardise mais surtout à un mépris de l'image valeureuse de l'armée dont les vertus (courage, héroïsme, fraternité) alimentent au contraire la boucherie en incitant à s'engager et à perdre la vie pour des motifs dérisoires.

Les faits vont bientôt lui donner raisons quand par pur but politique, l'amiral Jessup se met en tête de produire un film filmant les marines le jour du Débarquement afin de maintenir le financement de son corps car le gouvernement n'a plus d'yeux désormais que pour l'aviation. Un concours de circonstances amène notre héros à devoir produire et filmer sur place le fameux film et il va bien sur tout faire pour échapper à cette mission suicide.

Le film évite toujours miraculeusement le cynisme grâce à ses ruptures de ton allant du grivois (le running gag de James Coburn surpris dans sa chambre avec une créature topless, les deux caméramans alcoolisés) au romantisme le plus prononcé à travers les scènes tendre entre une Julie Andrews diablement touchante et James Garner pathétique, attachant et finalement très humain dans ses peurs.

 Alors que l'on s'attend à un revirement faisant accéder Madison à une prise de conscience et un statut héroïque, le film se moque à nouveau de ce type de cliché en faisant évoluer le personnage rigolard et coureur de Coburn dans cette voie. Le fanatisme du drapeau et la folie qui en découle tourne à l'absurde génial quand les peurs de Madison s'avèrent nettement plus compréhensible. Cela sera l'occasion d'une impressionnante vision du Débarquement (même si ce grand moment est moqué à nouveau avec ce montage alterné où un soldat vomi dans son casque sa cuite de la veille pendant le grand discours galvanisant avant l'assaut), entre stock-shots d'époque et vraies séquences filmées (dont un mouvement de grue vertigineux partant de Coburn et Garner dans leur bateau pour s'élever sur la flotte en pleine mer) où les élans guerriers attendus sont détournés par un Madison plus préoccupé de survivre que de se battre.

La conclusion est d'une grande ironie puisque l'héroïsme est détourné et s'avère un mal nécessaire en tant qu'opium du peuple. Les personnalités s'inversent avec une belle tirade finale de Julie Andrews "fière" de la lâcheté de son homme qui lui se découvrent des principes en étant pris pour ce qu'il n'est pas. C'est l'individualité à travers cette lâcheté qui s'exprime, plus fort qu'un patriotisme rassembleur mais illusoire. Un propos risqué et exprimé de la plus belle des manières avec cette romance. Blake Edwards réunira d'ailleurs bien plus tard Julie Andrews et James Garner pour Victor, Victoria avec une égale réussite et irrévérence dans un autre genre.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner dans la collection Trésors Warner

jeudi 29 novembre 2012

Dead Again - Kenneth Branagh (1991)


Mike Church est un détective de Los Angeles spécialisé dans la recherche de personnes disparuesOn le charge du cas mystérieux d'une jeune femme amnésique qu'il baptise Grace. Celle-ci fait des cauchemars évoquant le meurtre d'une pianiste, prénommée Margaret, par son mari Roman Strauss à la fin des années 1940. En attendant de résoudre le mystère des cauchemars, Chuch empêche l'habile enlèvement de Grace par son soi-disant fiancé. Pressé par cette tentative, Church est contraint de faire appel à un antiquaire douteux pratiquant l'hypnose pour aider Grace...

Deuxième film de Kenneth Branagh après son monumental Henry V, Dead Again ramène le réalisateur à une échelle plus modeste tout en lui permettant de prouver que son registre est plus étendu que la seule adaptation Shakespearienne (le suivant Peter's Friends le prouvera avec plus d'éclat encore). Le film évite le pure exercice de style grâce au scénario inventif et tortueux de Scott Frank qui convoque les fantômes des classiques du genre à tendances psychanalytiques notamment cette idée de réincarnation à la Vertigo qui parcours le film. La différence est que le script après avoir esquissé son énigme plonge à fond dans l'onirisme le mystère reposant plus sur la résolution du crime que sur la réalité des méandres de l'esprit humains dans lesquels nous emmène l'intrigue, jamais démentis.

Une jeune femme (Emma Thompson) se réveille amnésique au sein d'un couvent et son seul lien à son passé est constitué d’horribles cauchemars où l'on essaye de l'assassiner. Le détective Mike Church (Kenneth Branagh) est engagé mener l'enquête mais tout se complique quand avec l'aide d'un hypnotiseur louche (Derek Jacobi) les souvenirs de l'amnésique semble remonter aux années 40 et font d'elle la réincarnation de l'épouse assassinée d'un musicien. Plus étrange encore les souvenirs semblent mêler Mike Church à se passé et peut-être la réincarnation de l'époux criminel. Avec son sens du rythme alerte Branagh évite de trop tergiverser sur le doute des personnages quant aux faits extraordinaires en jeu et la première partie file à toute vitesse.

 Le seul défaut vient d'un côté un peu trop sur explicatif pour faire comprendre des notions pas si complexes que cela (le moment très agaçant où le psychanalyste vient nous expliquer le pourquoi du comment à la fin classiques comme Psycho ou Le Médaillon semble là courir sur tout le film) avec carrément deux personnages/guide à travers Robin Williams et Derek Jacobi, c'est trop même si le twist final le justifie en partie. Branagh s'approprie le film en alternant motif du genre et son style grandiloquent notamment l'ouverture passant de l'un à l'autre avec une scène de prison en noir et blanc étouffant qui vire au cauchemar extravagant où le réalisateur fait virevolter la caméra au gré de la terreur d'Emma Thomson.

C'est réellement sur Dead Again que Branagh développe cette facette alors que Henry V bien qu'imposant était moins fou dans sa mise en scène. Là l'outrance de Frankenstein ou encore Hamlet est clairement annoncé dans les flashbacks passionnés sur la romance avortée du couple Strauss ou encore du final grand guignol et sanglant. Branagh gère bien tout cela malgré de sérieuse faute de gout. L'idée du passé en noir est blanc est intéressante mais le film fut d'abord tourné en couleur et du coup la photo des scènes du passé pas travaillée en ce sens ce qui leur donne une imagerie très quelconque heureusement atténuée par la réalisation de Branagh.

 L'alchimie entre Kenneth Branagh et Emma Thompson est toujours aussi forte tire leurs deux prestations vers le haut. Emma Thomson en créature apeurée et fragile est épatante comme souvent et Branagh évite toute pose cynique et désabusée en détective plutôt avenant et jovial. Le twist final tarabiscoté en diable est tout de même très efficace (malgré de désastreux maquillages vieillissant les acteurs, pauvre Andy Garcia ressemblant à une momie) et le final tout en excès est l'aboutissement du glissement progressif du film dans le thriller autre assumant pleinement son onirisme. Dans le registre néo noir, une jolie réussite même si Branagh a déjà fait beaucoup mieux. Il glisse d'ailleurs quelques clins d'oeil au fans ici et là comme le numéro de prisonnier qu'il porte au début qui correspond à la date de la bataille d'Azincourt, cadre de son Henry V.

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount


mardi 27 novembre 2012

Les Amants - Louis Malle (1958)


Jeanne Tournier, 30 ans, s’ennuie dans sa luxueuse demeure de Dijon. Elle est mariée au directeur d’un journal et se rend chaque mois à Paris chez son amie Maggie. Elle a une liaison plus ou moins platonique avec un joueur de polo aussi vain qu’élégant. Soupçonneux, Henri Tournier tend un piège à Jeanne en lui demandant d'inviter chez eux ses amis parisiens. En route pour Dijon, elle tombe en panne et rencontre un mystérieux jeune homme, archéologue qui la ramène chez elle, dans sa 2CV poussive qui tranche avec les luxueuses voitures de ses amis habituels.

Après l'inaugural et salué Ascenseur pour l'échafaud, Louis Malle développais pour la première fois le parfum de scandale qui animerait nombre de ses œuvres futures avec Les Amants. Le film s'inspire (d'assez loin) un conte libertin du XVIIIe siècle qu'il transpose dans le contexte de la France provinciale et bourgeoise des années 50. C'est là que végète Jeanne Tournier (Jeanne Moreau), riche épouse d'un directeur de journal (Alain Cuny). L'immense et luxueuse demeure lui semble un tombeau, les journées défilent dans un même ennui répétitif et surtout son époux ne la voit que comme un joli objet frivole qui le laisse totalement indifférent. Pour amener du piquant à sa vie, elle multiplie donc les escales à Paris où elle rend visite à son amie Maggy (Judith Magre) et où l'attend désormais son amant le joueur de polo Raoul.

L'ensemble de ces éléments constitue pour Louis Malle un cinglant portrait d'une existence bourgeoise creuse où chacun cumule les tares les plus pathétique. L'austérité, l'habitude et une certaine condescendance altèrent ainsi les rapports entre les époux Alain Cuny et Jeanne Moreau dans un fossé enterrant toute flamme. L'amant ne vaut guère mieux dans un autre registre avec une passion exaltée mais vaine et la meilleure amie parisienne fonce le clou de la médiocrité avec ses préoccupations frivoles et sa vie mondaine creuse.

Pourtant, la mélancolie dégagée par Jeanne Moreau et la voix-off littéraire commentant les évènements quelconques apportent une gravité inattendue et une forme d'attente silencieuse. Cette attente c'est celle de Jeanne qui espère sans se l'avouer (la passion quelque peu forcée avec Raoul) que quelque chose surviendra pour bouleverser ce cycle.

Alors que le début du film est très elliptique et volontairement ennuyeux dans ces va et vient entre Paris et Dijon, le temps se ralenti quand arrive justement ce "quelque chose" en la personne du mystérieux Bernard (Jean-Marc Bory) qui va séduire Jeanne. La secourant alors qu'elle était tombée en panne sur le chemin du retour à Dijon, Bernard semble totalement indifférent aux minauderies Jeanne, à l'évocation de sa vie mondaine et de ses amis haut placés.

C'est un doux rêveur attaché à la nature qui ne cèdera au charme de Jeanne que quand il la croisera à nu et authentique, en robe de chambre de nuit en pleine nature. Auparavant, Malle aura définitivement moqué la comédie du mari, de la femme et de l'amant dans une sinistre scène de dîner ramenant Jeanne à son dépit, jusqu'à la fameuse nuit.

Le film n'est pas sans défaut, en premier lieu le jeu de Jean-Marc-Bory. L'amant romantique lunaire s'avère plutôt quelconque sous ses traits et Louis Malle a la main lourde dans les dialogues poético romantique où on sent l'inspiration du fantastique poétique façon Les Visiteurs du Soir (Bory semblant avoir voulu reprendre le timbre chevrotant d'Alain Cuny d'ailleurs), L'éternel Retour mais dont la niaiserie s'estompait car des grands acteurs déclamaient les tirades de cet amour courtois.

Pourtant ce long aparté nocturne est un sommet de romantisme flamboyant car l'enjeu n'est pas l'union du couple mais l'épanouissement enfin éveillé de Jeanne. La séquence alterne entre tableaux somptueux (magnifique photo impressionniste d’Henri Decae) où le couple se fond dans cette nature féérique et plans du visage de Jeanne Moreau.

Malle capture d'abord la flamme de l'amour dans son regard quand elle s'abandonne enfin au bras de Bernard, celle du bonheur d'un homme enfin aimant et ardent et enfin l'étincelle du désir dans des scènes charnelles à la sensualité audacieuse pour l'époque et qui attirèrent les foudres de la censure (tout en faisant son succès par cet attrait de l'interdit) sur le film.

 Malle avait selon ses dires essayé d'escamoter le panoramique sur la fenêtre escamotant les scènes de sexe et créant l'érotisme par cet assouvissement rendu invisible au spectateur pour montrer plus franchement l'étreinte passionnée des deux amants. Bernard n'est finalement qu'une silhouette sombre ondulant sur le corps de Jeanne et c'est bien le visage et les mouvements de celle-ci qui font naître l'érotisme par l'abandon de ses inhibitions (préfiguré par son grand éclat de rire plus tôt signifiant la libération annoncée du personnage).

Après ce grand moment, Malle réinstalle une forme de doute et d'attente tant la séquence a paru être un long rêve. Jeanne Moreau rêveuse et dans le doute a pourtant changée : elle n'est plus dans l'attente de cette grande émotion mais dans l'espoir de la retrouver et de l'entretenir. Un doute bien plus exaltant que l'existence programmée qui l'attendais. Sublime prestation de l'actrice qui est pour beaucoup dans la fascination entretenue par le film, récompensé du Prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 1958.


Sorti en dvd chez Arte Vidéo 

Extrait

lundi 26 novembre 2012

Le Renard du désert - The Desert Fox: the Story of Rommel, Henry Hathaway (1951)


De la bataille d'El Alamein jusqu'à sa mort en septembre 1944, décidée par Hitler, le portrait du maréchal Erwin Rommel, qui participa au complot contre le dictateur.

Henry Hathaway signe un très intelligent biopic de Rommel, général allemand à l'aura légendaire et responsable de hauts faits notamment durant la campagne d'Afrique du Nord. Le scénario de Nunnally Johnson choisit les angles adéquats pour ne pas détourner le public de celui qui fut pourtant un des favoris d'Hitler et un outil de la propagande nazie grâce à ses victoires. Le film s'attardera donc sur la facette chevaleresque et quasi mythique qu'incarnait Rommel, autant pour les alliés qu'il mena à la victoire grâce à ses talents de stratèges qu'à ses ennemis auxquels il inspirait le respect, et en premier lieu Winston Churchill qui lui consacra une fameuse tirade citée en fin de film.

We have a very daring and skillful opponent against us, and, may I say across the havoc of war, a great general.

Malgré son appartenance au régime nazi et sa dévotion à Hitler, Rommel était l'archétype du soldat respectueux des règles du combat et en ne participant pas à la campagne du Front Russe l'un des rares généraux allemands à n'avoir commis ni crime de guerre, ni crime contre l’humanité. C'est cette aura que cherche à capturer Hathaway dans un long prologue le présentant tour à tour comme une légende et un adversaire valeureux. Cette crainte est signifiée par l'ouverture voyant la mission avortée d'un commando britannique pour l'assassiner (et cette superbe transition où un soldat mourant demande s'ils ont réussi, un allemand lui riant au nez avant que tonne le générique d'ouverture) puis sa noblesse lorsqu'il contredit un subalterne obligeant un prisonnier à traverser le champ de bataille avec un drapeau blanc.

Ce prisonnier, fasciné par l'allure de cet homme qui vient de le sauver sera notre guide puisqu'il sera le biographe de Rommel la guerre passée (et en fait Desmond Young officier de l'armée indienne qui croisa effectivement Rommel durant la campagne d'Afrique du Nord) dans une narration solennelle et informative assuré en voix off par Michael Rennie.

Le champ de bataille se réduit dans l'ensemble à des stock-shots très impressionnant (notamment celui où l'on voit les bombardements du débarquement depuis le ciel) mais c'est bien aux postes de commandements que tout se joue. Là le "Renard du désert" va constater toute son impuissance dans une Allemagne en déliquescence et proche de la défaite à travers les ordres insensé arrivant de Berlin.

L'atmosphère de désillusion, de fin de règne et les échanges désabusés traduisent bien l'amertume des officiers comprenant qu'ils sont menés par un tyran fou les menant à leur perte (dont les positions stratégique et l'option pour le débarquement décidé par les astrologues d'Hitler...). Rommel incarné avec prestance et compassion par un grand James Mason apparaît ainsi comme un soldat d'un autre temps. Respectueux de l'uniforme et du chef au point de n'oser le remettre en question bien qu'il le désapprouve. Le film exprime ainsi une hypothèse (pas forcément prouvé) du soutien de Rommel au complot visant à assassiner Hitler le 20 juillet 1944 (et dépeint minutieusement dans le récent Walkyrie de Bryan Singer même si la scène d'attentat est reconstitué ici aussi).

Tout tient dans la formidable prestation de James Mason, subtile et sensible avec cet homme dont les qualités deviennent des défauts dans une nation lobotomisé. L'entrevue finale où il accepte son terrible destin face à un pantin SS endoctriné est des plus marquantes, tout comme les adieux à son épouse (formidable Jessica Tandy) en conclusion sobre et intense. On n'aura finalement peu vu Rommel du temps de sa splendeur et de ses victoires mais le regard que posent sur lui Hathaway et Nunally Johnson, le visage que lui donne James Mason et le discours final repris de Churchill suffisent à convaincre de la hauteur du soldat.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox 

 

dimanche 25 novembre 2012

Une histoire simple - Claude Sautet (1978)


Divorcée, mère d'un adolescent, Marie a décidé de ne pas garder l'enfant qu'elle attend de Serge, dont elle souhaite se détacher. Parallèlement à ses propres difficultés, on découvre les soucis et les drames de ses amis - tel le suicide de Jérôme, menacé de licenciement.
Marie se rapprochera de son ex-mari


Le temps d'une remarquable série de films (Les Choses de la vie, Vincent, François, Paul... et les autres, César et Rosalie, Mado), Claude Sautet s'était fait le grand peintre de la psychologie masculine. Il explora ainsi sous toutes ses formes les travers d'un certain type d'homme, quarantenaire et souffrant des mêmes maux : coincé entre le machisme qu'on leur avait inculqué et une sensibilité qu'il n'arrivait pas à exprimer, indécis, aussi déterminé professionnellement que faible sentimentalement.

Le cycle démarrait dans une flamboyance romantique totale, tragique ou optimiste (Les Choses de la vie, César et Rosalie) pour virer vers une résignation presque sans issue (Vincent, François, Paul... et les autres et surtout Mado). Les femmes, toujours en retrait n'en constituaient pas moins des personnages fort et excellemment écrit mais n'étaient jamais complètement au centre de l'intrigue, plutôt les enjeux de la révolution que les hommes étaient prêt à faire pour gagner leur cœur.

Avec Une histoire simple, Sautet opte donc enfin pour le récit au féminin à travers le regard de celle qui lui a inspiré ces plus beaux personnages de femmes, Romy Schneider. A l'inverse des hommes, les femmes apparaissent chez Sautet comme des êtres plus assurés, déterminés et donc soumis à l'inconsistance du sexe opposé. Le film s'ouvre d'ailleurs sur un choix fort de son héroïne Mary (Romy Schneider), avorter de l'enfant de l'homme avec qui elle vit (Claude Brasseur) car elle ne l'aime plus et va le quitter. Une décision incompréhensible pour l'éconduit puisqu'elle ne le quitte pas pour un autre et que "ça ne se fait pas de quitter quelqu'un comme ça". Il ne saura d'ailleurs réagir réellement (et violemment) à cette rupture que quand il pensera que Marie voyait un autre homme.

Le script oppose ainsi la modernité du personnage de Romy Schneider dont les choix de vie (vivre seule, avorter le film étant d'ailleurs un des premiers à en faire un ressort dramatique alors que la loi Weil n'est en place que depuis 3 ans) se détachent d'une vision masculine dépassée mais également féminine plus rangée lors d'une remarquable scène où le point de vue des amies diffèrent (Sautet capture d'ailleurs ses groupes féminins dans le quotidien avec la même sensibilité et naturel que les hommes dans les films précédents). Marie choisit de vivre seule quand son ex-mari est en concubinage car ne supportant plus cette solitude, le personnage d'Eve Darlan vit des aventures sans lendemain avec aplomb s'opposant à la détresse et la repentance là encore de son ex-mari qui l'a pourtant quitté le premier.

Pour Sautet, l'homme est figé dans des certitudes dépassées quand la femme semble constamment capable de se réinventer. On retrouve ici les figures masculines typiques de Sautet avec ses hommes imposants et assurés dans les hautes responsabilités de leur carrière. Tous sont pourtant des faibles que ce soit le gouailleur et speedé Claude Brasseur et surtout le tragique personnage de Jérôme (Roger Pigaut) dépressif et aussi angoissé à la perspective de perdre son travail que de le conserver. On suit ainsi une Romy Schneider qui fait son chemin, suit ses instincts en se moquant des codes établit (l'entrevue avec sa mère la préférant avec un homme qu'elle n'aime pas que seule) et illustrant ainsi une forme d'émancipation féminine forte dans la société française.

Là encore Sautet se montre d'une rare finesse puisque s'il fait renouer Marie avec son ex-mari, l'enjeu du film ne repose pas sur cette réunion (voir l'absence totale de dramatisation lors de l'ultime entrevue entre Bruno Crémer et Romy Schneider). Une telle conclusion contredirait le propos de l'ensemble en suggérant que la femme se doit d'avoir un "protecteur" par la force des choses, quand bien même tous se seront montrés faible tout au long de l'intrigue.

Au contraire, le film laisse notre héroïne dans une situation "indigne" mais qu'elle assume complètement, enceinte à nouveau et célibataire. Une facette signifiée par une magnifique image finale avec une Romy Schneider radieuse et prenant le soleil, libre et sans attache, maîtresse de son destin. Une belle vision progressiste portée par Sautet et une performance d'une grande justesse de Romy Schneider qui lui vaudra son second César dans ce sommet de leur collaboration.

Sorti en dvd chez Universal 

Extrait

vendredi 23 novembre 2012

Le Signe de Zorro - The Mark of Zorro, Rouben Mamoulian (1940)


1820. Escrimeur émérite, Don Diego Vega quitte Madrid pour rejoindre sa Californie natale, où il découvre que son père, jusqu'alors gouverneur, a été remplacé par un despote local du nom de Quintero. Don Diego feint de ne pas s'intéresser aux problèmes économiques et politiques, et tombe amoureux de la belle Lolita. Mais la nuit venue, il devient un mystérieux vengeur masqué appelé Zorro...

The Mark of Zorro est un remake du film éponyme de Fred Niblo (1920) et représente pour la Fox une tentative tardive de concurrencer les grands films d'aventures et de capes et d'épées à succès de la Warner comme Robin des Bois ou Capitaine Blood. Le célèbre héros créé par Johnston McCulley offre un écrin idéal pour un film enlevé et spectaculaire et le studio met tous les atouts de son côté avec la star maison Tyrone Power dans le double rôle Don Diego de la Vega Zorro, Basil Rathbone mémorable méchant de Robin des Bois et Capitaine Blood reprend ici du service en antagoniste coriace et le quota romantique est assuré par une toute jeune et débutante Linda Darnell (17 ans et son 4e film).

Si les films Warner faisait se croiser swashbuckler et film médiéval avec le genre cape et d'épée, on a ici plutôt des relents d'atmosphère western avec ce cadre Californien ensoleillé. La narration est un modèle du genre dans sa façon d'introduire de manière limpide les aptitudes de Don Diego de La Vega, le contexte historique et sa vocation de justicier tout cela en 20 minutes à peine. On découvre ainsi Tyrone Power jeune cadet surdoué de l'armée espagnole rappelé dans sa Californie natale et qui découvre sur le chemin du retour la misère et la terreur dans laquelle vit le peuple tyrannisé par le gouverneur corrompu Quinteron et son redoutable homme de main Capitaine Esteban Pasquale (Basil Rathbone).

Pas d'atermoiements ou de sur explicatif inutile, l'introduction a suffi et notre héros masqué revêt aussitôt son costume pour défendre la veuve et l'orphelin. Il faut d'ailleurs savourer ce moment car Tyrone Power n'enfile le masque que 10/15 minutes sur toute la longueur du film qui aurait aussi bien pu s'intituler Don Diego de Vega que Zorro.

Zorro est surtout ici un symbole, d'espoir pour le peuple et de crainte pour les tyrans qui une fois qu'il a démontré ses capacités est même en son absence une menace abstraite pouvant frapper à tout moment. Tout le film joue là-dessus avec la photo d'Arthur C. Miller jouant grandement sur les ombres, les effets de pénombres dans les décors où la créature de la nuit Zorro peut se dissimuler, surgir et frapper comme un spectre. Cette aura surnaturelle est marqué dans les apparitions où effets de montage qui le font toujours apparaître de manière inattendue pour ses ennemis terrorisé.

Même les scènes en plein jour le présentent comme une silhouette noire furtive qui traverse l'écran dans un éclair (Batman n'est pas loin). Malgré tout on peut quand même regretter que Tyrone Power ne soit pas plus souvent en costume tant il a de l'allure avec. L'acteur s'amuse par contre comme un petit fou en surjouant le masque frivole et superficiel de Don Diego de La Vega, et est assez tordant dans sa préciosité de dandy égocentrique (le moment où il arrive en retard au dîner parce que "son bain était trop tiède"). Les moments romantique ont tout autant de panache notamment la première rencontre avec Linda Darnell où elle lui ouvre son cœur alors qu'il est déguisé en prêtre.

Il n'y a que l'aspect purement spectaculaire qui déçoit un peu. Le film aurait gagné à être un peu plus long pour approfondir les enjeux et la tension dramatique. Malgré son excellente interprétation, Tyrone Power ne parvient pas à atteindre la noirceur que réussit à insuffler un Errol Flynn sous la légèreté car l'enchaînement d'évènement trop rapide ne lui en laisse pas le temps. Du coup un seul vrai grand duel à l'épée à se mettre sous la dent, mais assez extraordinaire entre Tyrone Power et Basil Rathbone où les deux acteurs s'avèrent des bretteurs de premier ordre (on savait déjà pour Rathbone), la mise en scène virtuose de Mamoulian découpant au minimum leur joute bien agressive.

Le final révolutionnaire est plus attendu mais assez spectaculaire bien que trop bref. Après ce galop d'essai, la Fox produira des films d'aventures à l'identité plus marquée où Power saura apporter la profondeur attendue à ses héros notamment avec Henry King à la réalisation sur les excellents Le Cygne Noir, Capitaine de Castille ou Echec à Borgia. Sans égaler la cultissime série tv Disney ou la récente relecture Le Masque de Zorro (mais mieux que la très moyenne version de Duccio Tessari où Delon sauve le film à lui seul), une transposition tout de même très plaisante du personnage.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox

jeudi 22 novembre 2012

Échec à l'organisation - The Outfit, John Flynn (1973)


Sorti de prison où il a passé cinq ans, Macklin décide de venger son frère, tué par la Mafia de Chicago.

The Outfit est un polar assez emblématique du genre à cette période et offre une des belles réussites de la trop mince filmographie de l'excellent John Flynn. Le film adapte le roman éponyme de Richard Stark alias Donald E. Westlake. C'est d'ailleurs à une fameuse autre adaptation de Richard Stark qu'on pense ici à savoir Le Point de non-retour (1967) de John Boorman qui révolutionna le polar à sa sortie. Si John Flynn goute peu aux expérimentations psychédéliques à la Boorman, l'intrigue minimaliste quasi abstraite et le héros taciturne entièrement voué à son objectif (vengeur ici pécuniaire chez Boorman) entretiennent grandement la parenté entre les deux œuvres. Robert Duvall incarne ici Macklin (dans le roman Parker même héros que Point Blank personnage récurrent de Westlake et joué par Lee Marvin dans le Boorman), ancien braqueur fraîchement sorti de prison et qui va immédiatement se trouver la cible de tueur de la mafia.

Remontant la piste des commanditaires, il découvre que la cause du contrat planant sur sa tête est un ancien hold-up où il avait avec son frère dévalisé une banque blanchissant de l'argent pour la Mafia. Son frère est froidement assassiné avant sa sortie (dans une glaciale scène d'ouverture muette) et dès lors Macklin entame une vengeance impitoyable en pillant tous les tripots locaux de la Mafia jusqu'à remonter au boss Mailer (Robert Ryan).

The Outfit est clairement au carrefour du style des polars de l'époque avec plusieurs autre classiques qui viennent à l'esprit. La vengeance fraternelle implacable de Duvall penche vers le Get Carter de John Hodges (1971), l'entité criminelle assez nébuleuse poursuivie rappellera à nouveau Le Point de non-retour (tendance due à Richard Stark sans doute) et le cadre rural loin des ambiances urbaines coutumières est lui dans l'esprit du génial Tuez Charley Varrick de Don Siegel sorti la même année avec aussi Joe Don Don Baker en tueur décontracté. Flynn n'égale aucun de ses films à cause d'un certain manque d'identité et des choix artistiques moins radicaux mais trousse tout de même une très plaisante série noire. Robert Duvall, loin du consigliere qui le rendit célèbre dans Le Parrain en impose un maximum ici en truand badass et taciturne, une vraie teigne brutale et méticuleuse qui cogne d'abord et discute ensuite.

 A ces côtés Joe Don Baker tout aussi imposant (et tout de même moins rigolard que dans Tuez Charley Varrick) en acolyte fidèle, le film étant une succession de confrontations musclées, poursuites et fusillades en tout genre. Flynn également au scénario épure son intrigue au maximum, pas de sous-intrigue ou de respirations superflues dans la narration entièrement vouée (à l'image de son héros) aux règlements de compte.

Seul exception, et qui humanise un peu le personnage de Duvall, la petite amie incarnée par Karen Black. En une poignée de scènes intimistes, cet être fragile plongés dans un monde d'hommes violent touche grandement et montre à quel point les préoccupations de ces tueurs sont éloignées de toute réalité par son histoire d'amour malheureuse avec Macklin, lorgnant sur le Guet-apens de Peckinpah. Le côté abstrait de ce monde criminel refermé sur lui-même nous apparaît par elle.

Parmi les quelques points décevants on regrettera un Robert Ryan un peu mou en méchant (alors qu'il excelle dans ces rôles d'ordures détestable mais il était déjà bien atteint par son cancer au moment du tournage ce qui peut expliquer) et un final pas aussi tendu qu'on pouvait l l'espérer mais qui a peut-être inspiré Michael Mann pour celui fabuleux du Solitaire. Un bon moment donc même si Flynn fera mieux dès le suivant et mémorable Rolling Thunder (1977).

Sorti en dvd zone 1 chez Warner dans la collection Warner Archives et donc sans sous-titres mais le film est annoncé prochainement en zone 2 chez Wild Side.