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mardi 4 décembre 2012

Madame Bovary - Vincente Minnelli (1949)


Gustave Flaubert passe en jugement pour avoir écrit Madame Bovary, une œuvre jugée immorale. Il raconte son roman devant le tribunal et devient l'avocat de son héroïne…

Superbe adaptation du classique de Gustave Flaubert qui de la mise en scène flamboyante de Minnelli au scénario brillant de Robert Ardrey en passant de la prestation incandescente de Jennifer Jones est profondément imprégné de l'esprit du roman et de son auteur. C'est d'ailleurs Flaubert qui est mis en avant lors de l'ouverture mettant en scène le procès auquel dû faire face l'écrivain devant le scandale rencontré par son livre malgré son important succès.

La scène fonctionne un peu comme si nous étions un lecteur lisant un simple résumé en quatrième de couverture avec les avocats de l'accusation évoquant grossièrement les différentes faillites morales de l'héroïne (adultère, abandon d'enfant) pour en faire celle de Flaubert, appuyé par une assistance inquisitrice et hostile qui n'a bien sûr pas lu le livre. Pour comprendre et ne plus juger il faut donc ouvrir le livre et en tourner les pages, ce que fait en quelque sorte Flaubert en narrant le destin tragique d'Emma Bovary des traits habités et de la voix captivante de James Mason incarnant l'auteur. Le film envoute d'emblée en prêtant à la seule image et à la voix off de Mason l'évocation des rêveries et de la mélancolie d'Emma Bovary (Jennifer Jones), la narration ne fonctionnant dans l'instant que lorsque la réalité la rattrape. La scène d'ouverture la rend ainsi invisible quand ses haillons la confondent avec son environnement paysan pour ne la laisser apparaître que comme une beauté rêvée échappée d'un tableau (le souvenir du Portrait de Jennie rôle rêvé mythique de Jennifer Jones plane le temps de ce plan voir même d'un autre où elle arbore presque la pose du tableau dans le film de Dieterle) aux yeux de Charles Bovary (Van Heflin). C'est d'ailleurs ce qu'est ou pense être Emma Bovary, un être trop beau, sensible et délicat plongé au milieu de la fange, de la médiocrité rurale et provinciale.

La vraie beauté ne peut naître que du rêve tel cette flamboyante narration de Minnelli évoquant la jeunesse d'Emma au couvent plongé dans son monde romanesque truffé de prince ardent, de contrées éloignées par une caméra démarrant sur les objets de sa chambre d'adolescente pour donner dans un lyrisme certain pour illustrer son bouillonnement intérieur. Quand le charme daigne opérer dans la réalité, l'instant est magique mais trop bref avec une époustouflante séquence de bal filmée en virtuose par Minnelli dont la mise en scène épouse enfin les désirs de grandeur d'une Emma courtisée, radieuse et volant littéralement sur la piste de danse. Cependant le temps d'un plan où elle s'admire ainsi entourée dans un miroir Minnelli dénonce la vanité de son héroïne et son égoïsme, encore plus significatif dans le montage alterné ou entre les valses on aperçoit le malheureux Van Heflin abandonné et perdu parmi les prestigieux convives.

Van Heflin est d'ailleurs une des grandes plus-values du film par rapport au roman. Dans le livre, Charles Bovary était un être limité et pathétique pour lequel on avait plus de pitié que de réel attachement, même l'évocation de son passé plus fouillée que dans le film ne servait qu'à le rabaisser dans cette médiocrité. Sans être forcément beaucoup développé sur ce point dans le film, le personnage change complètement grâce au talent de Van Heflin qui devient un bouleversant époux dépassé et bienveillant, victime de sa normalité aux yeux de sa femme. Le scénario le grandit encore avec ce changement fondamental par rapport au roman lorsqu'il cède puis refuse d'opérer le boiteux Hyppolyte car conscient de ses limites quand sur papier il effectuait l'acte et mutilait le malheureux. Dans les deux cas il perd encore du crédit aux yeux d'Emma mais dans le film en gagne à ceux du spectateur. Tout le film obéit à cette opposition entre réalité décevante et rêve inaccessible, d'abord par rapport au contexte puis par rapport aux amants d'Emma. La scène de mariage rurale et paillarde est ainsi un choc pour la douce Emma (David Lean saura s'en souvenir pour sa Bovary moderne dans La Fille de Ryan où le mariage est tout aussi glauque, plus tard la scène d'amour en forêt entre Rodolphe et Emma semble aussi inspirer celle beaucoup plus osée et démonstrative de La Fille de Ryan) et plus tard toute les longues descriptions d'ennui provincial du livre seront magistralement résumée dans la séquence où Emma observe la rue et anticipe toutes les actions répétitives de son voisinage.

Les deux liaisons d'Emma sont également très bien dépeintes, chaque homme étant un transport pour un ailleurs merveilleux qui n'existe pas. Minnelli rate un peu le coche sur la romance silencieuse entre Léon (Christopher Kent) et Emma, on ne ressent pas vraiment ce rapprochement de culture et de gout entre eux car trop brièvement exprimée. La seconde rencontre sera bien plus probante à Rouen avec un Christopher Kent à son tour dépassé et faible sous la fanfaronnade. C'est cependant la relation avec Rodolphe qui s'avère la plus réussie grâce à un Louis Jourdan parfait de fausseté et de séduction, au port princier durant le bal avant de se révéler un vil coureur pourtant happé par Emma. L'acteur français développe ce qu'il a créé l'année précédente dans Lettre d'une inconnue et ce qui sera l'emploi majeur de sa carrière de jeune premier hollywoodien : le séducteur égoïste synonyme de malheur pour les femmes lui cédant.

Jennifer Jones remplaçait là une Lana Turner tombée enceinte et on doute que cette dernière ait put égaler sa prestation fabuleuse. La folie de ses rôles les plus excessifs (Duel au soleil, La Renarde, Ruby Gentry) s'accompagne d'une intériorité torturée fascinante mais aussi d'une forme de naïveté palpable pour cette femme n'ayant jamais quitté ses lectures de contes de fées. L'éveil à la libido, à la sensualité au cœur du livre mais forcément atténué dans le film s'exprime par la seule force de ses refus qui sont autant d'appel du pied (l'entrevue avec Rodolphe dans la salle des fêtes) où alors de manifestations de désir aussi sobre qu'incandescentes (la première séduction de Léon en un geste et regard brûlant).

C'est avec la même folie et détermination qu'elle précipitera sa chute dans un final ténébreux où dans ces derniers instants la voix-off de James Mason reprend de la hauteur sur son malheur et convainc son auditoire du mal fait par Emma aux autres par son attitude, mais surtout à elle-même. Un grand Minnelli qui signe sûrement une des plus belles visions du roman de Flaubert, visuellement splendide (Oscar des meilleurs décors et de la meilleure direction artistique pour Cedric Gibbons) et des plus pertinentes dans ses choix.  

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

Extrait

5 commentaires:

  1. Tout à fait, elle est vraiment extraordinaire cette scène de bal. Le moment où on bascule totalement dans le conte c'est lorsque Louis Jourdan voyant Jennifer Jones essoufflée défaillir crie "The lady's going to faint!" et que tous les majordomes brise les vitres de la maison pour qu'elle ait de l'air, fabuleux !

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  2. J'ai dû passer totalement à côté de ce film que je n'ai même pas réussi à voir jusqu'au bout, il y a quelques années... Difficile d'adapter Flaubert -que je lis et relis régulièrement- et son ironie si subtile.
    J'ai craqué après la scène du bal, justement... Comme quoi !

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  3. Ah je n'avais pas vu votre message Emma! A retenter un jour sans doute domme que vous n'ayez pas accroché. Pour moi c'est vraiment un des rares exemples où j'ai trouvé l'adaptation quasi aussi belle que le livre...

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  4. Je n' ai pas du tout aimé ce film trop flamboyant, trop ampoulé. Certes il est fidèle à l' oeuvre de Gustave Flaubert mais c' est avant tout du Minelli version théatre grandiloquent ! La robe ultra froufrouteuse d' Emma dans sa ferme en ouverture on ne peut pas y croire une minute quand aux vitres cassées par un majordome, quel cinéma. Le dernière partie est un peu meilleure mais j' ai eu un mal fou à aller jusqu' au bout du film !

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  5. Bonjour Elizabeth ! C'est sûr que l'on y a gagné une certaine flamboyance hollywoodienne au passage et on perd le côté plus austère du roman mais parfois ça marche avec ce magnifique scène de bal qui illustre bien les aspirations grandiloquente d'Emma et sa jubilation. C'est la touche Minnelli mais l'essentiel est quand même là j'ai retrouvé l'émotion du livre pour ma part.

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