Nowhere to go est l'avant dernier film produit par Ealing,
The Siege of Pinchgut
l'année suivante constituant le chant du cygne du célèbre studio
britannique. Ealing avait déjà perdu un peu de son identité en vendant
ses locaux situé dans le quartier auquel il devait son nom et depuis la
plupart des films étaient coproduit avec la succursale anglaise de la
MGM. Cela se ressent dans le ton surprenant et la noirceur de ce
Nowhere to go. Bien sûr en dehors des comédies qui ont fait sa gloire Ealing avait exploré des terrains plus sinueux avec entre autre
Il pleut toujours le dimanche (1947) au croisement du polar et du mélodrame ou encore le très sombre film de guerre
Went the day well (1942). Malgré tout la profonde identité anglaise caustique demeurait dans ces films quand
Nowhere to go donne dans une sécheresse étonnante.
Le film adapte un roman de Donald MacKenzie et est la dernière occasion
de faire fonctionner la politique de promotion d’Ealing où un technicien
doué pouvait gravir les échelons jusqu'à la réalisation comme ce fut le
cas pour un Alexander McKendrick par exemple. Ici l'heureux élu est
Seth Holt auparavant monteur et qui montre déjà un sacré talent.
Nowhere to go
est un film noir classique et déroutant à la fois. Le poids de la
fatalité, du destin tournant en défaveur des protagonistes est un
classique des intrigues du genre et ne déroge pas ici. Cependant cet
aspect s'articule généralement dans un crescendo dramatique où l'on voit
progressivement tout s'écrouler. Ici la construction est quasi
conceptuelle avec deux films en un, l'un très positif et roublard et
l'autre profondément désespéré.
L'intrigue débute sur une mémorable
scène d'évasion silencieuse où on appréciera l'astuce et l'organisation
de l'évadé, Paul Gregory (George Nader). Une séquence filmée de main de
maître par Holt avec son remarquable usage du décor ferroviaire près de
la prison, la photo sombre de Paul Beeson accentuant la nature
expressionniste de ce cadre et la manière de magnifier le brio de son
héros avec le score jazzy de Dizzy Reece et le générique se déclenchant
pile au moment où celui-ci fait exploser sa cellule.
Après nous avoir montré l'assurance sans faille du plan de fuite de
Gregory, une narration en flashback nous expliquera la manœuvre
audacieuse qui l'a conduit à cette situation. Quelques mois plus tôt, il
aura séduit une veuve et compatriote canadienne de passage à Londres
pour vendre la collection de pièce rares de son mari. Le flashback dans
un montage percutant dévoile à coup d'ellipses inventives l'intelligence
de Gregory gagnant progressivement la confiance de sa victime par son
charme et bagout, jusqu'à s'introniser intermédiaire de la vente des
fameuses pièces.
Une fois la vente effectuée Gregory se laisse
volontairement arrêter afin de laisser la valeur de son argent
fructifier et en profiter sans crainte à sa sortie mais la peine sera
plus lourde que prévue, dix ans, d'où son évasion. Jusque-là on avait un
polar enlevé avec un héros malin et charismatique, George Nader le
brushing impeccable et le regard charmeur semble toujours avoir un coup
d'avance sur tout le monde. La deuxième partie entame donc comme dans un cauchemar le pendant
inversé de cette insolente réussite. Traitrise inattendue, hasard
malheureux, tous les "trucs" qui rendaient Gregory intouchable se
retournent contre lui comme dans un châtiment inéluctable. Après avoir
donné dans l'esthétique enlevée et percutante pour illustrer
l'invulnérabilité de son héros, Holt soudain étire plus que de raisons
les scènes les plus anodines, Gregory jusque-là avantageusement filmé
perd de sa superbe par un Nader de plus en plus éprouvé physiquement
mais aussi dans sa manière de le faire évoluer dans son environnement.
Les décors filaient à toute vitesse au départ avec un Gregory avançant
sûr de sa force et déterminé, désormais l'ambiance urbaine menaçante le
submerge comme une chape de plomb avec ces nombreux plans nocturnes
aérien en plongée où il se perd dans l'immensité londonienne. Les
demeures élégantes et salons d'enchères prestigieux cèdent aux bars
miteux, l'évasion décontractée du début bascule à une fuite désespérée
sur les toits.
Rien ne semble entraver la chute dans cette ville où gangsters comme
flics constituent tous des menaces et le semblant d'espoir ne viendra
que d'une jeune femme innocente incarnée par Maggie Smith qui trouve là
son premier rôle au cinéma. Le
Nowhere to go
prend tout son sens avec cette ville dont il semblait le maître et qui
s'avère pour Gregory un piège où il est partout indésirable et
pourchassé.
On pense un peu au
Huit heures en sursis
de Carol Reed sans la dimension martyr du héros, la compassion n'étant
pas la même et le ton neutre jurant avec le grand mélo de Reed. Holt
expérimente avec brio, la dernière partie hors de la ville virant
presque à l'abstraction, Antonioni n'est pas loin dans la très étrange
errance finale en campagne. Un Ealing et un polar déroutant sur une
trame pourtant classique sur le papier, belle réussite.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez studio Canal et doté de sous-titres anglais
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