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lundi 1 avril 2013

La Chair et le Sang - Flesh and Blood, Paul Verhoeven (1985)


Au XVIème siècle, en Europe. Le seigneur Arnolfini et son fils Stephen, aidés de mercenaires, tentent de reprendre la ville dont ils furent chassés quelques années plus tôt. Trahis par Arnolfini, les soldats, dirigés par Martin, se rebellent, tendent une embuscade aux aristocrates et capturent la fiancée de Stephen, Agnès.

La Chair et le Sang est un film de transition dans la carrière de Paul Verhoeven. Plus vraiment en odeur de sainteté en Hollande après l’accueil critique et public glacial de ses deux derniers films  Spetters (1980) et Le Quatrième Homme (1983), le réalisateur a de plus en plus de mal à financer ses nouveaux projets dans une institution hostile et lasse de ses provocations. D’un autre côté Verhoeven n’est pas encore prêt à céder aux sirènes d’Hollywood et l’exil n’interviendra qu’un peu plus tard pour un mémorable Robocop (1987). 

Il choisira donc l’entre-deux avec Flesh and Blood, coproduction américano-européenne où justement il cherchera à croiser aventures à grand spectacle hollywoodienne et une provocation typique de ces œuvres hollandaises. L’équipe du film illustre aussi cette transition avec un casting dominé par son acteur fétiche Rutger Hauer, un scénario signé de l’habitué  Gerard Soeteman (avec qui il démarra déjà dans une série médiévale hollandaise Floris), Jan de Bont à la photo tandis que le tournage se fera en langue anglaise.

La Chair et le Sang propose une des plus saisissantes visions du Moyen Age, à ranger au côté des classiques barbares que sont Le Seigneur de la Guerre (1965) de Franklin J. Schaffner ou du chef d’œuvre méconnu de James Clavell La Vallée Perdue (1971). Le but de Verhoeven n’est pas de sacrifier à une rigueur historique sans faille (les anachronismes sont nombreux et assumés) mais de capturer une certaine idée de ce Moyen Age dont toute l’imagerie fantasmée se déploie ici : barbarie, pillage, obscurantisme religieux et peste bubonique. 

Grandement inspiré par l’ouvrage de référence de Johan Huizinga  L'Automne du Moyen Âge, Verhoeven situe ainsi son film à ce moment charnière où le Moyen Age s’apprête à basculer dans la Renaissance. C’est même l’enjeu principal de l’intrigue avec un triangle amoureux où une jeune femme hésite entre un rustre symbole de ce Moyen Age arriéré et un autre homme féru de science annonçant les avancées et le raffinement de la Renaissance. Martin (Rutger Hauer) chef d’une bande de mercenaire est trahi par le Seigneur Arnolfini après la prise d’une cité et décide d’enlever Agnès (Jennifer Jason Leigh) la fiancée de son fils Stephen (Tom Burlinson). 

Comme toujours chez Verhoeven la frontière entre le bien et le mal est ténue, difficile de distinguer les bons et les méchants au sens strict du terme, chacun recelant une facette sombre. Martin abuse ainsi d’Agnès lors d’une scène éprouvante mais en tombe réellement amoureux et s’avère la seul protection face à ses dangereux acolytes. Agnès manipule Martin sans s’avouer ses vrais sentiments pour lui tout en espérant être sauvée de ses griffes par le plus avenant Stephen. Ce dernier au départ montré comme érudit et ouvert sur le monde et ses progrès va également céder à ses bas-instincts et  des actions discutables pour retrouver sa fiancée.  Signe de cette ambiguïté, Verhoeven alterne constamment paillardise crasse et romantisme courtois.

Stephen et Agnès tombent amoureux et  s’embrassent sous les dépouilles pourrissantes de pendus dont les sécrétions ont fait pousser de la mandragore, la plante des amoureux. L’affreuse scène de viol cède ensuite à une étreinte langoureuse dans un bain entre Martin et Agnès.  Si Tom Burlinson (que l’on n’a pas trop revu par la suite) est un peu fade en jeune premier, Rutger Hauer impose une présence animale et menaçante tout en exprimant la fragilité de l’amoureux éperdu, Agnès matérialisant cette envie d’ailleurs loin de la fange et des batailles qu’il a toujours connu.  Jennifer Jason Leigh dans son premier rôle majeur étincelle de sensualité et d’ambiguïté. C'est par elle qu'on retrouve cette idée récurrente chez Verhoeven comme quoi le sexe peut être un instrument de pouvoir. Au départ agneau livrées en pâtures au loups elle va retourner la situation en dominant par la chair Hauer (au risque de troubler son propre coeur) et on retrouve bien évidemment cela dans la Catherine Trammel de Basic Instinct (1992).

On reconnaît le sens de l’excès typique de Verhoeven dans cet univers barbare où tout est toujours poussé un peu plus loin que chez les autres, avec des situations sexuelles et une violence exacerbées. Cette approche s’avère brillante lorsqu’il s’attèle à l’obscurantisme religieux et cette statue de Saint Martin qui guident les destinées des personnages et dont usera Rutger Hauer pour manipuler ses acolytes et se réserver Agnès. 

Entre le symbolisme chargée d’ironie (le pastiche d’iconographie religieuse avec Rutger Hauer tout de blanc vêtu et une roue faisant figure d’auréole dans un court plan) et le prêtre quelque peu hystérique joué par Ronald Lacey la charge est lourde et ne s’atténuera pas lors de la période américaine (rappelons que pour Verhoeven Robocop = Jésus Christ et qu'il tente de mettre sur pied sans succès depuis des années une biographie du Christ qui fait déjà frissonner les bigots). 

Pour un budget aussi restreint et un tournage mouvementé (où il se brouilla pour de longues années avec Rutger Hauer) le film offre un vrai grand spectacle, alerte et mouvementé où comme toujours l’ancien (l’assaut brutal d’ouverture) côtoie le moderne avec les inventions guerrière de Stephen inspirées de Leonard de Vinci. Sous la furie ambiante, Verhoeven sait aussi calmer le jeu durant quelques moment contemplatifs somptueux où l’inspiration picturale hollandaise saute aux yeux avec des compositions de plans inspirés de Lucas Van Leyden où pour les moments plus évocateurs d’analogie religieuse où l’on frise avec le surnaturel Jérôme Bosch.

Une grande réussite dont les écarts causeront malheureusement l’échec commercial mais prouverait à Hollywood la maîtrise de l’alliance du spectacle et de l’ironie de Verhoeven qui allait faire la passionnante carrière américaine que l’on sait.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM et récemment réédité dans un beau blu-ray plein de bonus passionnants.

2 commentaires:

  1. Super film , je te l'accorde . Par contre , ce n'est pas le premier rôle de la belle Jennifer qui avait tourné en 1982 dans le teen-movie culte "Ca chauffe au Lycée Ridgemont" avec Sean Penn , Forest Whitaker et autres Nicolas Cage .
    A voir aussi mais ce doit surement déjà être fait ...

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  2. Hé hé j'ai bien précisé son "premier rôle majeur" je sais bien qu'elle a tourné avant "Ca chauffe au Lycée Ridgemont High" teen movie très sympa oui que j'ai d'ailleurs déjà chroniqué sur le blog ici

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2010/04/ca-chauffe-au-lycee-ridgemont-fast.html

    Je voulais surtout indiquer que c'était sa première prestation vraiment importante mais c'est vrai que ma formulation prêtait un peu à confusion.

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