Pages

samedi 17 août 2013

La Nuit de l'iguane - The Night of the Iguana, John Huston (1964)


Larry Shannon (Richard Burton), un pasteur alcoolique suspendu pour « fornication et blasphème » est contraint de se reconvertir en guide de voyage organisé sur le thème : « Le monde de Dieu vu par un homme de Dieu. » Au Mexique, à la tête d'un groupe de vieilles Américaines, il est l'objet des avances d'une nymphette (Sue Lyon), au grand désespoir de son chaperon (Mary Boylan), une bigote hystérique et frustrée qui tente alors de le faire renvoyer en contactant son employeur. Affolé, Shannon "échoue" le groupe au Costa Verde Hotel à Mismaloya, hôtel de son vieil ami Fred et de son épouse Maxine Faulk (Ava Gardner), qu'il espère dénué de moyens de communications.

Fidèle à son goût de l'aventure, John Huston instaurait un contexte explosif à la production de La Nuit de l'iguane afin de pouvoir créer toute la tension propice à cette adaptation fiévreuse de la pièce de Tennessee Williams. Le réalisateur embarque ainsi son équipe et trio de star (Richard Burton, Ava Gardner et Deborah Kerr) loin du confort des studios dans la zone portuaire alors sauvage (mais devenu un incontournable touristique grâce au film) de Puerto Vallarta surplombée par une jungle épaisse.

A cela s'ajoute la présence sur le tournage d'Elizabeth Taylor accompagnant Richard Burton (et veillant sans doute au grain au vu de la présence de cette croqueuse d'hommes d'Ava Gardner) et le couple encore illégitime après les soubresauts de Cléopâtre entraine avec lui une armée de paparazzi qui ajoute encore à la tension ambiante sur le plateau. Huston jamais aussi à l'aise que dans le chaos calmera tout le monde avec humour en offrant à chaque membre du casting un pistolet en or avec le nombre de balles correspondant aux partenaires, cette solution extrême amusant tout le monde et détendant l'atmosphère.

Ce contexte sert donc parfaitement un récit intense et en huis-clos. Dans un hôtel isolé, différents personnages devront faire face à leurs démons en pleine moiteur mexicaine. En premier lieu Larry Shannon (Richard Burton) prêtre défroqué et déchiré entre sa foi, ses désirs charnels et son attrait pour la boisson et se trouve au bord de la rupture. Cet intenable dilemme place le personnage dans des accès de rage et d'hystérie épique où Burton peut donner sa pleine mesure dans le registre excessif qu'on lui connaît, notamment la mémorable ouverture où il craque face au regard accusateur de ses paroissiens ou encore le trop plein d'émotion qui le voit marcher pieds nus sur du verre brisé, n'y tenant plus face aux assauts de la nymphette Charlotte (Sue Lyon de nouveau en tentatrice juvénile après Lolita).

La problématique de Burton est la plus explicite, portée par l'exubérance de l'acteur mais Huston s'y prendra de façon plus subtile avec celles qui complètent ce curieux triangle amoureux, Ava Gardner (son amour) et Deborah Kerr (sa conscience, Sue Lyon plus en retrait étant son désir et sa culpabilité). Loin de la beauté inaccessible qu'elle sut si bien incarner, Ava Gardner mise en confiance par Huston joue sans doute le personnage le plus proche de sa vraie personnalité.

Garçon manqué durant son enfance et jusque la manifestation de sa féminité, Ava Gardner en aura gardé des traces une fois star puisque capable de jurer et lancer les pires plaisanteries grivoises dénotant avec son aura glamour et on retrouve tout cela dans ce personnage de Maxine débraillée et rigolarde. L'actrice assume pleinement sa quarantaine entamée et sous l'excès apparent distille subtilement au détour d'un dialogue ou d'un regard la profonde solitude de Maxine, son amour non avoué pour Shannon tout en laissant exploser sa sensualité lorsqu'elle s'abandonne aux bras de ses "boys".

Face à ses deux monstres Deborah Kerr, s'illustre avec un personnage tout en retenue et subtilité qui a trouvé la paix et sera une béquille pour ses compagnons torturés. Ce calme intérieur et cette compréhension la condamne aux seuls plaisirs spirituels mais c'est bien elle qui s'allègera le plus simplement de sa croix avec la fin de son grand-père poète (Cyril Delevanti) trouvant enfin ses ultimes vers dans une scène magnifique.

Huston confère une énergie formidable à l'ensemble qui évite constamment le théâtre filmé tout en donnant tout l'espace aux acteurs pour déclamer avec passion les tirades de Tennessee Williams le tout étant largement connoté d'aspect et situations scabreux explicité comme ce moment où Ava Gardner est sur le point de mettre à jour l'homosexualité latente de Mrs Fellowes (Grayson Hall).

Huston capte à merveille l'atmosphère nocturne, la moiteur ambiante et l'étrangeté de ce moment qui verra enfin chacun se révéler à lui-même. On quasiment l'impression de se réveiller dans un lieu tout différent lorsque le jour fait son apparition lors de l'épilogue, voyant s'éloigner la détachée Deborah Kerr et donnant un futur possible à ses héros enfin apaisés.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

1 commentaire:

  1. c'est pour moi le plus beau John Huston. j'ai beaucoup d'affection pour Tennessee Williams. Si Ava est si séduisante, en jeans, pieds nus c'est qu'elle joue un "personnage le plus proche de sa vraie personnalité".
    Ici tout le monde surprend à chaque instant, la très distinguée Deborah Kerr donne un coup de hache à une tête de requin, comme si elle faisait ça tous les jours. Et je ne sais pas si l'on doit rire ou pleurer quand elle raconte les deux expériences amoureuses de sa vie. Je ne sais pas si Tennessee Williams jouit en France de la reconnaissance qui lui est due. Ce film a détrôné Les Misfits qui ont eu longtemps la place d'honneur. J'ai revu ce film au moins six fois. Cette fois-ci on éteint la lumière.




    RépondreSupprimer