Pages

mardi 8 octobre 2013

The Party - Blake Edwards (1968)

Un acteur indien, nommé Hrundi V. Bakshi, est recruté par un studio hollywoodien pour jouer un soldat indigène dans un remake de Gunga Din. Lors du tournage, cet homme très maladroit détruit un des décors très coûteux du film. Le producteur très fâché contre le comédien de second ordre demande qu'on le note sur une liste noire. Suite à une erreur-quiproquo du studio, Hrundi se retrouve invité à la fête annuelle du studio, à Hollywood. Pendant la fête, le comédien accumule les gaffes mais n'est pas le seul...

Blake Edwards et Peter Sellers faisaient une entorse à leurs saga de La Panthère Rose avec ce chef d'œuvre comique et sommet de leur collaboration. The Party est un film sous influence assumée tout en étant une comédie au traitement radical et quasi expérimental. On se souvient de quelle manière Peter Sellers au départ second rôle (la vraie star étant David Niven) avait littéralement vampirisé le premier volet de La Panthère Rose (1963) et faisant sienne la saga dès l'épisode suivant avec le génial Quand l'inspecteur s'emmêle (1964). Cette fois Blake Edwards façonne un écrin à la (dé)mesure de sa star avec un scénario minimaliste (faisant à peine 63 pages le réalisateur se vantant que c'est le plus court sur lequel il ait jamais travaillé) et prétexte à laisser s'exprimer le génie de Sellers.

Ce dernier compose ici un personnage bien différent de son mythique Inspecteur Clouseau. Celui-ci était un monument de bêtise égocentrique que la conscience de son génie tout relatif amenait à commettre les pires bévues en toute assurance. Cette fois il sera le bien plus innocent Hrundi V. Bakshi, acteur indien dont la maladresse fonctionne plus sur le motif du poisson hors de l'eau et constamment inadapté à son environnement. On en a un exemple dès l'extraordinaire scène d'ouverture où son excès de zèle enlise littéralement le tournage en cours alors qu'il se refuse à arrêter de jouer du clairon. C'est avec la même candeur qu'il exaspère définitivement le réalisateur dont il vient de détruire accidentellement le décor et qui lui promet de le rayer du métier en demandant innocemment : "Même à la télévision ?"

L'idée est donc de plonger ce gaffeur insouciant dans le cadre le plus superficiel et hypocrite qui soit, une soirée mondaine hollywoodienne que sa sincérité et maladresse va dynamiter. Après avoir montré dans l'ouverture de façon spectaculaire les dégâts que peut causer malgré lui Bakshi, Edwards joue avec brio sur la retenue et l'attente une fois la "party" entamée. La demeure futuriste typiquement 60's à l'architecture improbable et aux gadgets en pagailles offrira un terrain de jeu idéal où Edwards exploite toutes les ressources comiques possibles.

Cela va de la simple maladresse de Bakshi (la perte de chaussure d'entrée), sa fantaisie enfantine (le fameux "birdie num num" ou l'épisode ou il manipule le tableau de contrôle de la maison) et les éléments physique qui semblent diaboliquement ligués contre lui, occasionnant certains gags aussi extraordinaire qu'inattendus (le rouleau de papier toilette se déroulant indéfiniment).

Peter Sellers (qui avait déjà incarné un indien dans le très moyen Millionnaire de Anthony Asquith) peinturluré et accent prononcé est absolument génial de timing comique et compose un personnage très attachant dont Edwards se plait à souligner la dimension enfantine par de multiples idées qui le place constamment à la marge : l'arrivée dans sa minuscule voiture à trois roue (hommage à la voiture de Monsieur Hulot dans Les Vacances de Monsieur Hulot), le coucou lancé loin des lieux de la catastrophe qu'il vient de provoquer, cette table de dîner où il se retrouve à hauteur limitée ou encore sa manière décomplexée de s'incruster dans les conversations guindées comme un gamin cherchant à se faire des copains, sans parler d'un hilarante et incontrôlable envie d'uriner.

Blake Edwards bien que n'ayant pas encore connu ses fameux déboires à Hollywood annonce déjà le ton corrosif de sa satire S.O.B. (1981) avec le portrait peu reluisant fait de cette communauté ici. Courbettes, hypocrisie ou encore producteur trop entreprenant souhaitant emmener les starlettes jusqu'à leur lit, l'atmosphère pourrait être bien plus sordide sans l'humour. La présence de Bakshi sert donc de dynamiteur, contaminant progressivement l'ensemble, du serveur profitant de la moindre occasion pour s'en jeter un à la maîtresse de maison frisant la syncope à la moindre contrariété pour nous mener au final anarchique entre mousse éléphant et hippie dans une joyeuse hystérie.

Bakshi va pourtant trouver une âme aussi pure que la sienne dans ce cadre avec la douce Michelle Monet (Claudine Longet), apprentie chanteuse pas loin d'être brisée par ces codes du paraître mais qui trouvera un soutien idéal avec notre héros. Là encore la maladresse, l'emprunt et la fantaisie de leurs échanges contribue à en faire des enfants déplacés dans un cruel monde d'adulte que leur alliance défiera, chassant la solitude pour Bakshi et le sentiment d'exploitation pour Michelle. Le film contribuera d'ailleurs grandement à la notoriété de la française Claudine Longet qui entamera une jolie carrière musicale par la suite et nous envoute ici le temps d'un divin Nothing to lose. C'est elle qui donne de la consistance à Bakshi qui nous apparaît naïf mais certainement pas simplet (et finalement très respectueux pour les indiens*) comme le montre la défense qui prendra de Michelle face à l'odieux réalisateur ou sa réaction outrée face à l'éléphant maquillé.

Bien que sous influence (Tati essentiellement) The Party ne ressemble à rien de connu. Edwards ose un rythme languissant bien loin de la comédie survoltée attendue (sans musique extra-diégétique si ce n'est celle des musiciens à l'écran), use d'un découpage sobre exploitant plus la largeur et la profondeur de son décor (ou comme chez Tati encore l'attention est de mise tant on découvre de nouveaux gags et péripéties dissimulés dans un recoin de l'image à chaque vision) et laisse graduellement s'insinuer la folie.

L'interprétation de Sellers est si grandiose qu'il n'y a même pas besoin de lâcher les chevaux trop vite, le spectateur est souvent plié de rire AVANT le gag en lui-même simplement par les mines ahuries de Bakshi et l'attente de sa prochaine bêtise, les préliminaires avant la catastrophe. La prouesse est telle que le final apocalyptique est presque moins drôle que la première partie sobre où on guette chaque dérèglement. Le résultat, un des chefs d'œuvres d'Edwards et un des films les plus drôles jamais réalisés.

  
*La première ministre indienne Indira Gandhi reprenant à son compte une des maximes de Bakshi In India we don't think who we are, we know who we are! lorsque le méchant réalisateur lui lancera un Who do you think you are quand il défendra Claudine Longet de ses assauts.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

1 commentaire:

  1. Entièrement d'accord avec votre analyse... La fin du film est un peu décevante, ce qui est vraiment bizarre. En fait, je pense que le décalage incongru entre la présence de Bakshi et tous ces pontes Hollywoodiens est plus propice à ce délire assez surréaliste que la bonne grosse farce !
    Film quand même totalement génial, aussi jouissif qu'Hellzapoppin ! (dont le ballet attrape-mouche reste un moment inouï. Misha Auer !!!!)

    RépondreSupprimer