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lundi 18 novembre 2013
Pasqualino - Pasqualino Settebellezze, Lina Wertmüller (1975)
Situé à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, le film décrit la vie du principal protagoniste, Pasqualino, un minable mafieux, fanfaron, mais qui se révèle le dernier des lâches, un pleutre ignoble quand, déserteur de l'armée italienne parachuté en Allemagne, il est capturé par l'armée allemande et envoyé dans un camp de concentration. Pour sauver sa peau, il multiplie les actes de lâcheté et tente de séduire l'énorme matrone (Shirley Stoler) qui par ailleurs le méprise.
Pasqualino Settebellezze est un des films les plus célébrés (4 nominations à l'Oscar dont meilleur film, meilleur film étranger, meilleur acteur pour Giancarlo Giannini et meilleur réalisatrice pour Lina Wertmüller, une première pour une femme) de Lina Wertmüller et un de ses plus sombres et cinglant. Les films de la réalisatrice sont souvent des odyssées où des personnages idéalistes confrontés au monde réel (souvent représenté par la ville en opposition à la campagne) qui renoncent à leur cause par nécessité, cupidité et en tout cas par un vrai reniement d'eux même convoquant les maux de la société italienne d'alors (machisme, extrémisme, ambition). C'est le révolutionnaire de Film d'amour et d'anarchie (1973), l'ouvrier de Mimi Metallo et le groupe de travailleur de Chacun à son poste et rien ne va (1974) ainsi que les amants de Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été (1974) tous abandonnant amis ou amour par intérêt.
Tous ces personnages partaient en tout cas d'une cause noble ou révélait un bon fond à un moment où un autre, donnant une vrai touche mélodramatique à leurs transformation sous la couche satirique de Lina Wertmüller. La réalisatrice prend ici un contexte explosif (la montée du fascisme et la Deuxième Guerre Mondiale) et d'autant plus révélateur de l'instinct de survie avec un héros fondamentalement mauvais. Le générique sur fond de variété italienne accompagnant des images d'archives guerrière donne le ton, avec sa voix off opportuniste ponctuée de Oh Yeah! à toutes les idéologies possibles et imaginables.
Le film s'ouvre sur la course apeurée de Pasqualino (Giancarlo Giannini) dans une forêt allemande où rodent les troupes ennemies. Soldat déserteur, il assiste dans sa fuite à l'horreur en marche (des villages entiers fusillés sans autre forme de procès) avant d'être capturé et emprisonnés dans un camp de concentration. Dès lors s'enclenche une narration en flashback où alternent les souffrances du présent au sein du camp et les causes passées ayant amené notre héros dans cet enfer. Pasqualino arbore dans ces flashbacks toutes les tares qui ne se révèlent que progressivement chez les personnages masculins de Lina Wertmüller, il n'a pas besoin d'être souillé puisqu'il est déjà une vraie pomme pourrie.
On découvre ainsi un homme brutal et machiste malmenant sa sœur qui a cédé à un homme douteux mais plus pour défendre l'honneur et la réputation de la famille que par préoccupation de sa sœur. Pasqualino est d'abord présenté sous un jour élégant, tiré à quatre épingle et observé avec envie par toutes les femmes croisées, choyé par sa famille (sa mère et sa nombreuse fratrie féminine) et craint et respecté dans les bas quartiers de Naples. Tout vole en éclat lorsqu'il devra mettre en pratique cette masculinité exacerbée. L'amant de sa sœur le repousse d'une chiquenaude (après une belle amorce de duel superbement filmée mais qui tourne court) et il ne le tuera que par accident après une attaque des plus lâches. Là encore au lieu d'assumer son acte et plaider le crime d'honneur si cher à cette Italie arriérée il optera pour la folie afin de survivre et être envoyé à l'asile pour échapper à l'exécution.
Ayant ainsi compris à qui nous avons affaire, nous allons voir comment Pasqualino va survivre à l'enfer du camp de concentration. A travers la caméra de Lina Wertmüller, le camp fait figure d'enfer quasi mythologique, espace clos sans lumière où les silhouettes frêles et anonymes des prisonniers se perdent et se confondent à perte de vue dans une photo grisâtre reprenant celle du final en cuisine de Chacun à son poste et rien ne va ainsi où les travailleurs perdaient aussi leur identité pour n'être que des pions dans le cycle de production. Pasqualino dans sa volonté effrénée de survie va alors franchir un cap décisif de cette déshumanisation en tentant de séduire l'imposante et impitoyable matrone du camp (Shirley Stoler célèbre pour son rôle dans Les Tueurs de la lune de miel).
Visuellement le film change de tonalité pour illustrer cette sordide séduction, faisant de l'espace des deux "amants un espace abstrait et hors du temps de soumission avec sa photo sombre au teintes verdâtres. Pitoyable et grotesque, ce rapprochement humilie surtout Pasqualino (Wertmüller avait déjà mis Gianinni aux prises à une partenaire aux formes imposantes dans Mimi Metallo) incapable d'être un "homme" même dans sa lâcheté et réduit à l'état de chien par Shirley Toller.
Comme souvent avec la réalisatrice, le héros vertueux ne vaut pas beaucoup mieux que ce qu'il combat et c'est d'autant plus vrai ici avec un être aussi méprisable que Pasqualino qui ira même plus loin dans la trahison dans un terrible final. Toute cette horreur se justifiera dans la dernière scène où un Giancarlo Gianinni brisé et le regard éteint déclare plus mort que vif Je suis vivant.
Avec Pasqualino, Lina Wertmüller offre une escalade de plus en plus sombre et pessimiste à ses questionnements, le romanesque (Film d'amour et d'anarchie et Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été) et la farce (Mimi Metallo) qui pouvaient donner un ton plus lumineux disparaissant grandement (mais étonnamment retrouvé dans le suivant D'amour et de sang (1978).
La réalisatrice manie avec un brio rare un sujet pourtant explosif (curieux de connaître les réactions à l'époque malgré le succès et les récompenses aujourd'hui le film ferait un scandale) et livre à nouveau un très grand film. Définitivement une des filmographies les plus impressionnantes et cohérente du cinéma italien des 70's.
Sorti en dvd zone 1 et en vo italienne mais doté de sous-titres anglais
Extrait
Bonjour !
RépondreSupprimerTombé par hasard sur votre blog en cherchant les paroles de la chanson du générique de ce merveilleux film, je me permets, en toute amitié, une remarque, une nuance à votre par ailleurs pertinente et documentée analyse.
D'abord, vous parlez de "variété" italienne à propos de cette chanson. Quelli che... Les paroles satyriques, la scansion ajoutant au décalage, à l'humour désespéré, en font à la fois un pamphlet et un poème digne des inventaires de Prévert. Pop, à la rigueur ?
Deuxième remarque : au troisième visionnage de ce film, qui continue de m’interroger, j'ai cru comprendre où se situait la rédemption du héro. Son véritable acte de courage. Je crois, malgré ce que vous affirmez, que sa dernière veulerie est en réalité son plus difficile acte de bravoure, et que, contrairement à ses précédentes gageures, ce qui lui permet cette fois encore d'aller au bout de l'humiliation et de l'horreur, ce n'est pas seulement SA survie en jeu. Mais bien celle de tous les membres du camp de concentration.
Cette terrible promesse a bien été faite par la non moins terrible Shirley Stoler : s'il désigne, le lendemain, six hommes pour le peloton d'exécution, elle laissera la vie sauve au reste du camp. Il peut s'agir d'un mensonge, mais c'est peu probable.
Le plan large de la caméra remontant après ce long climax, montrant les milliers d'hommes gris restés là en rang, confirme et signe, selon moi, cette version de l'histoire. Ceux là sont les survivants que Pasqualino a sauvé. Il devient, pétri de douleur (le seul semble-t-il encore capable de ressentir la tragédie qui se joue), devient à ce moment là un véritable héro. Un héro impur, contrairement à ses deux amis martyrs, un héro vivant.
Je ne suis pas sûr que Lina Wertmuller apprécie tellement la pureté.
Je pense qu'elle le sauve corps et âme dans cette scène. Et la façon qu'il aura ensuite de "pardonner" à sa sœur (se pardonnant à lui même les erreurs passées), de déclarer à sa jeune fiancée quelle mission les attend (donner naissance et élever un bataillon de défenseurs de la vie) est, à mille lieues du pessimisme de son ami anarchiste, tout sauf satyrique, un message contondant qui renvoie directement à la chanson du générique. Pour la Pasqualino, pour la réalisatrice aussi - du moins c'est le message que je reçois d'elle -, l'idéologie n'est pas grand chose, la vie est tout.
Je vous remercie de m'avoir lu ! C'est un si beau film, et que si peu de gens voient ici (bien que je le montre à tout le monde), je ne pouvais pas manquer l'occasion.
Hé hé désolé pour le terme variété on va mettre ça sur la méconnaissance de la musique populaire italienne. ^^
SupprimerPour la rédemption je suis d'accord même si je pense qu'elle s'exprime plus dans le remords de ce qu'il a dû faire au camp pour Pasqualino (contrairement à ses méfaits purement égoïste et dont il n'avait cure des conséquences en début de film) que du sauvetage supposé en lui-même au pri de ce sacrifice. Le personnage est certes meilleur mais complètement brisé au final (le dernier regard lourd de sens de de Giannini exprime autant cette rage de vivre que le désespoir). Un grand film étonnemment oublié quand on pense à la réception de l'époque, et de manière générale j'ai l'impression qu'on ne mentionne pas assez Lina Wertmuller quand on évoque le grand cinéma italien de cette période.