Clem Morgan, un ancien pilote de la RAF
plutôt cynique, lassé de la vie civile, se joint à un gang spécialisé
dans le vol avec effraction. Lors de son premier coup, la voiture avec
laquelle les bandits devaient prendre la fuite est accidentée et cause
la mort d'un policier. On fait porter le chapeau à Morgan qui est pris
pour le chauffeur et est envoyé en prison. Dès lors, il cherche à se
venger. Il parvient à s'évader et part pour Londres.
Un
superbe film noir qui s'inscrit dans la tradition du genre tout en étant
typique d'une certaine tonalité d'après-guerre du cinéma anglais. They Made Me A Fugitive
est ainsi un "spiv film", variante du film noir traitant d'une
criminalité spécifique à l'après-guerre dans un pays vivant encore le
rationnement et où les trafics et contrebandes diverses rapportent gros
sur des denrées telles que l'alcool, l'essence, les cigarettes ou les
bas nylons. Ce contexte introduit une tonalité plus âpres et violent
dans laquelle sauront s'engouffrer des films comme Les Forbans de la nuit de Jules Dassin (1950) ou encore Brighton Rock (1947) de John Boulting. A cette tonalité s'ajoute un script (adapté du roman A Convict Has Escaped de Jackson Budd) qui offre une sorte de relecture bien plus sombre des 39 Marches (1935).
L'ouverture donne le ton en laissant découvrir le drôle de trafic mené
par ces malfrats, une entreprise de pompe funèbres servant de couverture
avec des cercueils en guise de moyens de transports pour des cargaisons
diverses. L'entreprise est menée avec une main de fer par le redoutable
Narcy (Griffith Jones) et va bientôt s'ajouter à la bande Clem Morgan
(Trevor Howard), ancien pilote de la RAF en mal de sensation. Les deux
vont s'opposer lorsque le sans scrupule Narcy ajoute la drogue à son
business, ce à quoi Morgan ayant gardé quelques principes moraux
s'oppose. Narcy va donc le piéger et le faire emprisonner pour un
meurtre qu'il n'a pas commis.
Ayant réussi à s'évader, Morgan se met en
route pour Londres pour rétablir son innocence. On trouve donc cette
alternance entre la vision oppressante des faubourgs londoniens et cette
fuite du faux coupable à la Hitchcock. On pense à nouveau aux 39 Marches
avec ces péripéties et rencontres improbables sur le chemin du fugitif
(la femme semblant vouloir l'aider mais qui a un tout autre objectif) et
aussi un sens de l'ellipse surprenant lors des deux évasions de Trevor
Howard restant dont on ne voit que le résultat mais pas le déroulement.
Malgré quelques pointes d'humour très noir, l'aspect ludique d'Hitchcock
est ici absent pour une ambiance sordide qu'on doit en partie à un
Griffith Jones absolument abject, dandy élégant qui violente les femmes
avec un plaisir non dissimulé lors de séquences très dérangeantes.
Une
âme noire et impitoyable qui s'avérera indomptable jusque son dernier
souffle dans une conclusion implacable. L'autre point fort c'est le brio
visuel de Cavalcanti qui fait parvient à donner à ce Londres de studio
une oppressante aura de menace urbaine avec ces pubs enfumés truffé de
trognes patibulaires, ces règlement de comptes dans des hangars
désaffectés...
La photo d’Otto Heller fait merveille, donna une patine quasi
surnaturelle à certaines séquences comme ce meurtre sur les quais sous
une lumière immaculée. Ce tournage en studio permet aussi d'amener une
vraie stylisation dans la description de la ville et offrir
d’époustouflants morceaux de bravoures tel ce mano à mano final sur un
toit affichant l'écriteau RIP.
Cavalcanti est cependant capable de
délaisser cet apparat pour des sursauts de brutalité dont il a le secret
quand Trevor Howard s'engouffre en plein guet-apens et pour une longue
bagarre filmée dans un style heurté et diablement efficace. Trevor
Howard, pas un habitué du film noir impose ici tout son charisme rugueux
et s'avère aussi insaisissable et inquiétant que ceux qu'il affronte,
le scénario malgré son innocence n'oubliant jamais son vacillement moral
initial et la censure anglaise étant satisfaite lors d'une logique mais
cruelle conclusion.
Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Films
Extrait
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