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lundi 2 décembre 2013

Johnny, roi des gangsters - Johnny Eager, Mervyn LeRoy (1941)

Johnny Eager est un gangster qui, une fois sorti de prison, semble mener une vie d'honnête homme. Il est devenu chauffeur de taxi et paraît avoir rompu avec toutes ses anciennes relations de la pègre. Cela n'est qu'une apparence, dissimulé derrière cette couverture, il a rapidement reconstitué un empire criminel et attend des autorisations pour ouvrir un champ de course de lévriers. Il s'éprend de Lisbeth Bard, une des étudiantes de son contrôleur judiciaire, M. Verne. Mais le père de Lisbeth est John Benson Farell, le procureur incorruptible, il n'aime pas Johnny et veut protéger sa fille.

Maître du film de gangster dont il contribue à la popularité dans les années 30 avec son Petit César (1931), Mervyn LeRoy signe un brillant et très original avatar du genre avec ce Johnny Eager. Le grand intérêt du film repose sur le personnage titre Johnny Eager (Robert Taylor). En apparence, un repris de justice faisant désormais profil bas dans un modeste emploi de taxi. Une repentance de façade puisque Johnny est en fait à la tête d'un puissant réseau criminel qui s'apprête à ouvrir un champ de courses de lévriers, simplement freiné par le zèle du procureur tenace John Benson Farrell (Edward Arnold). Une dualité qui témoigne de toute l'intelligence et de la détermination criminelle du personnage, l'attitude autoritaire et suspicieuse envers ses sbires contredisant la bonhomie et les airs bienveillants lorsqu'il revêt son uniforme de taxi.

Dans la plupart des films de gangsters les actions des malfrats positives comme négatives résultent d'être emportés par leur émotions et en somme leur humanité malgré leur nature néfaste. Johnny Eager contredit cette idée avec une attitude froidement méthodique où complices comme amantes ne sont que des pions à utiliser. Tout ce qui relève de l'amour, l'amitié et don de soi s'avérera tout simplement incompréhensible pour lui, le scénario multipliant les symboles et situations propre à montrer le détachement du héros : une allusion au dévouement sans condition de Cyrano à sa Roxanne, un chien rapportant fidèlement (ou stupidement pour Johnny) un objet lancé à son maître et bien sûr a maîtresse soumise pour laquelle il n'a pas un regard. Robert Taylor est extraordinaire dans ce registre glacial, regard brillant d'intelligence et capable d'emballement violent si nécessaire.

Cette posture va être mise à mal par la rencontre avec Lisbeth (Lana Turner) étudiante en sociologie intriguée par son ambiguïté et qui va le démasquer. Le danger est d'autant plus grand que celle-ci est la fille du procureur freinant les ambitions de Johnny. Notre héros saura tirer profit de cette parenté à son avantage mais Mervyn LeRoy distille habilement les éléments montrant que Johnny est plus attaché qu'il ne veut bien le montrer à sa nouvelle victime.

L'erreur aurait été de faire de Lana Turner une femme aussi redoutable et intelligente que Taylor mais ici au contraire on cherchera à cultiver leur différence en en faisant une femme aimante et passionnée représentant elle aussi ce dévouement sans attente de retour qui horrifie tant Johnny. LeRoy est réellement un des réalisateurs ayant su mettre le mieux en valeur la beauté de Lana Turner (notamment dans le somptueux Le Retour) loin de son image de vamp séductrice et ici chaque apparition l'orne d'une aura immaculée et innocente adoucissant ses traits et jurant avec les atmosphères sombres et oppressante du monde du crime.

A son contact, le jeu de Taylor se fait moins mécanique et dévoile le déraillement d'un Johnny plus troublé qu'il n'ose se l'avouer et réellement amoureux. Cette conscience aura été interrogée tout au long du film par le fascinant personnage incarné par Van Heflin, alcoolique autodestructeur dont les tirades montrent le recul face à un milieu dont il n'est pas dupe.

Sous ses allures fragiles et vacillantes, c'est le personnage le plus lucide et pendant amical de celui de Lana Turner, même si on peut suggérer une attirance plus trouble ayant passé les mailles du code Hays.. Le final est splendide et surprenant, montrant un héros se mettant à nu et enfin capable de se sacrifier pour l'autre. Robert Taylor avec une finesse remarquable n'adoucit pas pour autant le malfrat dans cette prise de conscience, cette déclaration d'amour ne pouvant s'exprimer que dans la douleur et la violence dans une magnifique scène de conclusion.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

1 commentaire:

  1. Je viens de visionner ce film et je suis très agréablement surpris car je n'en connaissais pas l'existence. C'est unn excellent film noir; l'image est de Harold Rosson (Quand la ville dort). Le dialogue est vraiment brillant et les lois du genre sont exemplaires. Les amateurs ne doivent pas hésiter!

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