Jeff Bailey (Robert Mitchum), pompiste dans une petite ville californienne, retrouve par hasard Joe Stephanos, un homme de main de son ancien employeur, Witt Sterling (Kirk Douglas). Le jeune affranchi lui fait comprendre que Sterling souhaite le revoir au plus vite. Joe va au rendez-vous avec sa fiancée, à laquelle il raconte son trouble passé de détective...
Classique absolu du film noir, Out of the Past est une œuvre qui témoigne de l’ascension de la
plupart de ses protagonistes. Jacques
Tourneur, consacré maître de la terreur suggestive grâce au trio de production
Val Newton – La Féline (1942), L’Homme léopard (1943 et Vaudou (1943)-
allait là prouver sa versatilité et aisance dans tous les genres (déjà prouvée
l’année précédente avec l’excellent western Le Passage du canyon (1946)). Avec le Feux
Croisés (1947) de Edward Dmytryk, Robert Mitchum est pour la première fois
en tête d’affiche et Kirk Douglas ici en homme d’affaire manipulateur trouve
lui son second rôle au cinéma.
Out of the Past se
situe à l’âge d’or du genre et condense dans son intrigue différentes
situations et grand archétypes aperçus dans des réussites l’ayant précédé dans
les années 40 : un héros reclus voyant son passé ressurgir (l’ouverture
des Tueurs (1946) de Robert Siodmak),
une narration en flashback dressant une sorte de fatalité inéluctable et une
femme fatale vénéneuse (Assurance sur la
mort (1944) que fondateur). Robert Mitchum et son détective privé
désinvolte, astucieux et tout en bagout doit bien sûr beaucoup au Philip
Marlowe du Grand Sommeil (Howard
Hawks, 1947). En croisant tout cela on plonge ainsi dans le récit d’un modeste
pompiste et ex détective privé convoqué par un ancien client (Kirk Douglas)
pour un nouveau job. Une mission à laquelle il ne peut se soustraire, lui qui
avait succombé aux charmes de Kathie Moffett (Jane Greer), fiancée de Douglas
qu’il était chargé de retrouver.
Jacques Tourneur défini ainsi deux monde entre le passé et
le présent de Mitchum. Lumineux, apaisé, aéré et synonyme de romance pure et
sincère pour le présent de la petite ville californienne où est désormais
établit le héros. On découvrira ainsi Mitchum alanguit en pleine nature avec
son nouvel amour. Les ténèbres viennent investir cette plénitude lorsque s’amorce
le flashback avec ses environnements claustrophobes et surchargés de la demeure
de Douglas ou des séquences aux Mexique. L’allure avenante et mystérieuse de
Jane Greer est le pendant négatif de la petite amie simple du présent et la
supposé pureté de sa robe blanche est contredite par sa féminité agressive et
un visage aux émotions indéchiffrable.
Les scènes d’amour entre Mitchum et
Greer font ainsi preuve d’une beauté mais aussi d’une sophistication qui
préviennent d’emblée de la nature viciée de cette relation. Les retrouvailles
sur la plage, entre ombre et majestueuses lueurs du crépuscule montre ainsi le
croisement de calculs et du lien affectif réel. Robert Mitchum est tout d’un
bloc capable de tout abandonner pour elle qui au contraire s’adapte et survit
aux circonstances quel que soit ses sentiments, comme le montrera son retour
auprès de Kirk Douglas qu’elle déteste pourtant.
La Griffe du passé
est aussi en quelque sorte l’acte de naissance du personnage cinématographique
de Robert Mitchum. Quelques acteurs furent envisagés avant qu’il n’obtienne le
rôle (John Garfield et Dick Powell pour les plus fameux) mais le film n’aurait
pas atteint cette aura culte sans lui. Daniel Mainwaring au scénario (avec
James Cain) adapte ici son propre roman Build
My Gallows High paru en 1946. Grand ami d’Humphrey Bogart, il s’inspire
largement de son interprétation de Philip Marlowe pour définir un de ses héros
récurrents de papier tout naturellement appelé Humphrey Campbell. Nouant
également une amitié par la suite avec Robert Mitchum, il contribuera largement
ici et dans Ça commence à Vera Cruz (1949)
à l’établir comme un grand acteur de
film noir.
Comme déjà dit, les situations et une partie de sa caractérisation
associe Mitchum ici à de grandes figures passé du genre. Sous les attitudes de tough guy (jubilatoire moment où il
stoppe un homme de main qu’il a berné qui voulait le corriger) et l’art de la
réplique cinglante, l’acteur dégage une nonchalance et une mélancolie faisant
toute l’émotion du film. Une passion irraisonnée l’a fait passer du mauvais
côté et l’ensemble du film est une vaine poursuite pour repasser de l’ombre à
la lumière. On est loin ici des héros bernés et pris à leur propre piège de
certains film noir, Mitchum fait preuve ici d’une intelligence (on repense à
Marlowe) et d’une psychologie lui permettant d’anticiper la plupart des pièges
qu’on lui tend. Tourneur en fait une silhouette furtive et imposante dans la
nuit urbaine qui ne le domine jamais et dans laquelle il se fond avec grâce.
Malgré tous ses efforts, son erreur initiale a fait de cette nuit son élément
et tous ses efforts n’y feront rien.
La fatalité du film noir n’a rien à voir
ici dans la chute du héros, c’est bien la prise de conscience lue à travers le
regard lucide de Mitchum lors de la conclusion qui la provoque. Plus malin que
ses ennemis et insaisissables pour les autorités, un fossé semble le séparer d
sa fiancé innocente. Ce contraste se ressentira dans leur ultime rencontre s’opposant
à leur scène commune en ouverture : à nouveau enlacé en pleine nature, Ann
(Virginia Huston) conserve la tenue rustre du début quand Mitchum est désormais
emmitouflé dans son imper de détective, ils ne seront jamais du même monde.
A l’inverse
l’instinct de survie et la malice de Jane Greer ressemblent dangereusement aux
siens et l’ayant compris, Mitchum se saborde volontairement alors qu’il
pourrait s’en sortir une fois de plus. La conclusion est une des plus magistrales
du film noir et annonce celle fameuse également d’une autre incursion de
Mitchum dans le genre avec Un si doux
visage (1952) d’Otto Preminger. Le titre français est pour le coup
particulièrement bien vu, cette griffe du passé laissant une marque indélébile
dont on n pourra jamais se défaire.
Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse dans la collection RKO
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