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lundi 30 décembre 2013
L'Homme de la rue - Meet John Doe, Frank Capra (1941)
Pour retrouver son poste, la journaliste Ann Mitchell invente un personnage nommé John Doe qu'elle fait passer pour réel dans une lettre de suicide dénonçant le malaise social ambiant. Elle engage alors un dénommé John Willoughby pour se faire passer pour ce fameux John Doe. Mais, celui-ci se prend au jeu.
Son cinéma s'étant de plus en plus politisé depuis le milieu des années 30 et L'Extravagant Mr. Deeds (1936), Meet John doe constituait une forme d'aboutissement de cette tendance pour Frank Capra. Le réalisateur établit en effet à cette époque son indépendance artistique en fondant Productions Frank Capra sa société de production où il pourrait sans entrave dresser le portrait de l'Amérique contemporaine. Le virulent premier film de cette ère serait L'Homme de la rue, à l'origine un sujet de 1939 de Richard Connell et Robert Presnell nommé The Life and Death of John Doe adapté d'une nouvelle de Connell parue en 1922 dans le Century Magazine sous le titre A Reputation. Captivé par le postulat de cette histoire, Capra se la réapproprie avec son scénariste Robert Riskin pour ce qui sera leur dernière collaboration. Le script s'avère si virulent qu'aucun studio ne souhaitera le financer hormis Jack Warner se proposant de le distribuer en lui laissant les bénéfices tandis que Barbara Stanwyck (après les défections de Ann Sheridan et Olivia de Havilland), Gary Cooper (très satisfait de sa collaboration avec Capra sur L'Extravagant Mr. Deeds) et Walter Brennan acceptent de tourner dans le film sans avoir lu le scénario. Fort de ces garanties Capra s'endettera auprès des banques afin de financer le film lui-même.
C'est l'effervescence au journal The Bulletin récemment racheté par l'ambitieux homme d'affaires D. B. Norton (Edward Arnold) et les têtes tombent dans une hilarante et glaçante scène d'ouverture où on vous signale votre congé d'un simple geste de la main. Parmi les congédiés la journaliste Ann Mitchell (Barbara Stanwyck) mise à la porte car sa rubrique est trop gentille et ne fait pas assez polémique. Qu'à cela ne tienne, avant de partir elle signera un ultime article explosif avec la fausse lettre d'un lecteur nommé John Doe menaçant de se suicider à noël car n'en pouvant plus de son existence miséreuse, de l'indifférence et de la corruption ambiante qui ne changera rien à sa situation.
Cette blague où l'auteur exprime son aigreur a un impact inattendu une fois l'article paru, le public comme les politique souhaitant rencontrer le mystérieux John Doe. Revenue en grâce, Ann Mitchell en fabrique un de toute pièce avec le hobos et joueur de baseball déchu John Willoughby (Gary Cooper) qui va endosser le costume de "l'homme de la rue" moyennant finance. Cette entreprise purement cynique destinée à relancer les ventes du journal va pourtant éveiller la bonne conscience de l'Amérique, à commencer par celle des instigateurs de la supercherie. La bienveillance et le désintéressement de son père médecin se rappelle ainsi au souvenir de Ann lorsqu'elle doit rédiger les discours de John Doe, et le rustre John Willoughby, touché par le réel élan de solidarité que son alias provoque va progressivement être gagné par la cause et devenir John Doe.
Il l'a d'ailleurs toujours été sans le savoir, anonyme parmi tant d'autres ayant du mal à joindre les deux bouts et va ainsi sincèrement suggérer à ses semblables de s'entraider pour mieux avancer. Gary Cooper est formidable, rustre un peu gauche et indifférent peu à peu touché par la grâce, les discours maladroit et lu comme un automate faisant bientôt place à une éloquence simple et sincère lorsqu'il fustige les politiques dont il a deviné les desseins lors du final.
Malgré les conséquences positives cet élan repose en effet sur un mensonge et Capra distille tout au long du film les éléments propre à retourner cette base viciée contre la sincérité des protagonistes. L'égoïsme et la misanthropie ordinaire du personnage de Walter Brennan l'exprime bien, ce dernier préférant tourner le dos à la civilisation, les obligations et besoin superficiels qu'elle engendre et les "vautours" qu'elle attire. De l'autre côté nous avons le glacial D.B. Norton (fabuleux Edward Arnold véritable masque calculateur et inhumain) prêt à faire un usage de ces John Doe, pressurer le mouvement pour s'en faire un marchepied vers le pouvoir et plus précisément la Maison Blanche.
Entre ces deux extrêmes Capra dépeint une opinion publique malléable et dont l'attitude ne peut être spontanée mais forcément téléguidée par un gourou bienveillant (John Doe) ou manipulateur (D.B. Norton). L'attitude sincère et intéressée de Stanwyck et Cooper réduit à l'icône publicitaire montre ainsi bien les limites de l'entreprise. La dernière partie du film, très sombre, symbolise les interrogations de Capra sur cette société. John Doe endosse véritablement le costume de martyrs par une opinion à la volonté bien faible et par les puissants qui n'en ont plus d'utilité.
Le réalisateur aura ainsi tourné plusieurs fins dont une où le héros/symbole accompli son destin et se suicide. Peu satisfait lors des projections-test, un spectateur anonyme lui donnera alors la clé. Seuls d'autres John Doe, d'autres bougres anonyme ayant décidé de se soucier un jour de leur voisin, peuvent sauver notre héros, établissant ainsi le mouvement au-delà des frêles épaules d'un seul homme pour en faire un vrai idéal collectif et dépolitisé. Une utopie ou une possible réalité mais en tout cas un final magnifique et puissant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
Justin, je vous ai dit ce que je fais : je fais défiler la colonne bleu de droite pour voir ce que je reconnais, ensuite
RépondreSupprimerj'écris un ou deux mots ici, pour dire pourquoi j'ai aimé. C'est sans doute frustrant pour vous. Mais pour moi, c'est un plaisir ! Ce qui m'étonne parfois est de lire simultanément, en grisé, à droite une de mes phrases du jour. Comment faites-vous ? Vous avez soit une installation exceptionnelle, soit, ce que je crois plutôt un QI hors du commun
A propos de Meet John Doe, je dois dire que c'est mon Capra préféré. Non seulement j'adore Gary Cooper à la folie, mais la scène de tribunal comme en raffole le cinéma américain (Paradine Case, Anatomie d'un meurtre — avec la petite culotte — , Témoin à charge, 12 hommes en colère, et tous ces films ou Charles Laugton est le juge suprême : j'allais oublier l'affaire DSK, pas encore sorti) est la meilleure du genre.