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lundi 31 mars 2014

Les 55 Jours de Pékin - 55 Days at Peking, Nicholas Ray (1963)


Pékin, 1900. La révolte des Boxers prend de l'ampleur et les autorités chinoises sont divisées : le général Jung-Lu presse l'impératrice Tzu-Hsi d'arrêter les fanatiques, tandis que le prince Tuan lui conseille de les aider à chasser les étrangers. Face à la menace de conflit, les délégations étrangères regroupées au sein du Quartier des légations, organisent leur défense. Le major Matt Lewis arrive à Pékin à la tête d'un détachement chargé de protéger l'ambassade américaine. Il y rencontre la baronne Natacha Ivanoff et l'ambassadeur britannique, Sir Arthur Robertson. Le 20 juin, le siège du quartier des ambassades commence. Il durera 55 jours…

Les 55 Jours de Pékin est une superbe fresque historique qui constituera le chant du cygne de Nicholas Ray au cinéma. Un adieu qui aurait d'ailleurs pu intervenir quelques années plus tôt tant tous les précédents films seront sources de conflit pour Ray (exclu du montage du Brigand bien-aimé (1957), viré avant la fin du tournage de La Forêt interdite (1958), interdit de tourner les séquences musicales de Traquenard (1958)) bientôt blacklisté à Hollywood. Exilé en Europe et envisageant de se reconvertir dans l'enseignement du cinéma, Ray trouvera le salut avec la rencontre du producteur Samuel Bronston qui se lance à l'époque dans une série de superproductions historiques (Le Cid (1961), La Chute de l'Empire Romain (1964)). Bronston se spécialise ainsi dans les tournages monumentaux délocalisé en Espagne où il se propose de sortir un film chaque été jusqu'à sa faillite et ultime production avec Le Plus Grand Cirque du monde (1964). La première de ses tentatives sera un échec avec John Paul Jones (1959) réalisé par John Farrow et la seconde Le Roi des Rois (1961), inégale évocation de la vie du Christ mais fantastique livre d'image signé Nicholas Ray.

Le projet suivant est supposé être La Chute de l'Empire Romain à nouveau confié à Nicholas Ray, des décors commencent même à être construit alors que le sujet n'intéresse pas le réalisateur ni la star envisagée Charlton Heston ne voulant plus entendre parler de péplum après le sommet de Ben-Hur (1959). Ray en profitera pour lui soumettre le sujet des 55 Jours de Pékin (initialement soumis par son scénariste Philip Yordan et son collaborateur Bernard Gordon) et couper l'herbe sous le pied de son producteur. Pour garder sa star Bronston se voit donc contraint de finalement produire Les 55 Jours de Pékin, transformer les décors antiques déjà construit de La Chute de l'Empire Romain (finalement tourné l'année suivante par Anthony Mann) et avoir un scénario tenant la route bien qu'écrit en catastrophe.

Le film dépeint l'une des crises majeures du début du XXe siècle avec la révolte des Boxeurs qui vit la délégation internationale subir le siège des révolutionnaires chinois ainsi que des troupes impériales. Le début du film nous montre ainsi la mainmise des occidentaux sur les institutions chinoises avec la caméra de Ray traversant Quartier des légations de Pékin où se crée une cacophonie des hymnes nationaux des pays en place (Japon, France, Angleterre, Russie, Allemagne et anticipant ironiquement la confusion qui conduira à la Première Guerre Mondiale) tandis qu'une voix-off nous explique que treize des principales provinces locales sont dirigées et exploitées par les étrangers. 

Ray dépeint de manière limpide l'aspect de poudrière des lieux où le pouvoir impérial faussement inféodé aux Occidentaux guette l'avancée des Boxeurs pour reprendre le pouvoir grâce à eux. De l'autre côté les occidentaux sont divisés entre répondre par une présence militaire accrue pour endiguer la menace ou faire jouer la diplomatie pour ne pas s'attirer les foudres des locaux. 

Chacun de ces questionnements s'incarne à travers un des personnages principaux, la diplomatie avec l'ambassadeur britannique Arthur Robertson (David Niven), la force militaire pour le major Matt Lewis (Charlton Heston), l'ambiguïté du pouvoir chinois avec L'impératrice douairière Tzu-Hsi (Flora Robson dont le port et la prestance font oublier la curiosité d'avoir engagé une actrice anglaise pour jouer une chinoise) et enfin l'individualiste baronne Nathalie Ivanoff (Ava Gardner) voguant d'un camp à un autre au gré de ses passions et intérêts. Chacun sera confrontés aux limites de sa posture initiale lorsque le conflit se déclenchera. 

Le plus intéressant sera avec David Niven captivant en politicien à la vue plus lointaine justifiée mais confronté a dommages collatéraux de ses choix y compris dans sa vie personnelle. Niven incarne à la perfection ce flegme anglais rassurant et charismatique tout en amenant cette humanité qui déleste de toute rigidité politique ce personnage passionnant. Heston est très attachant également à travers ce personnage incapable de se départir de son détachement et sa froideur militaire, autant dans son histoire d'amour avec Ava Gardner que dans ses attitudes empruntées lorsqu'il devra s'occuper de la fille métisse d'un camarade disparu. 

Si l'histoire d'amour est assez convenue, Ray dépeint avec subtilité ce rapport de filiation naissant, ne forçant jamais le mélodrame (superbe scène tout en retenue où Heston annonce la mort de son père à la fillette) et faisant de cette facette une sorte de fil rouge tout au long du film où la silhouette ou le regard de la petite fille apparaît comme pour implorer un amour qu'Heston n'est pas encore capable de donner ou d'exprimer. 

Ava Gardner incarne un personnage typique du cinéma de Ray avec cette Baronne déchue et à l'attitude répréhensible en quête de rachat. Cela se ressent malheureusement plus dans la prestation de l'actrice (magnifique scène de mort si typique d'Ava Gardner avec cette réplique superbe et sobre "Don't you want to live ?" à laquelle elle répond "I lived" dans un dernier souffle) que dans l'écriture du personnage un peu cliché dans sa rédemption pas assez fouillée. 

Il faut dire qu'à l'époque l'actrice complètement détachée du monde Hollywoodien n'acceptait plus les rôles que pour les gros cachets et mena la vie dure à Nicholas Ray en arrivant fin saoule sur le plateau qu'elle honorait au minimum de sa présence. La disparition prématurée (et du coup l'écriture rudimentaire) de son personnage résulte de cette attitude et aura des conséquences plus grave en entraînant l'éviction de Nicholas Ray avant la fin du tournage complétée par la seconde équipe (deux réalisateurs différents suivant malgré tout les indications de scènes mise en place par Ray) .

Visuellement le film est une splendeur reconstituant de manière impressionnante ce Pékin du début du siècle, autant dans l'aspect contemplatif (le fameux plan-séquence survolant les concessions étrangères) que dans les scènes de batailles. C’est dans ces dernières que l'on relève quelques incohérences sacrifiant au spectaculaire (la tour échappée d'un péplum et envoyant des projectiles explosif) mais offrant leur lot de moments palpitants comme cette scène où Heston et ses hommes abrités derrière un charriot font reculer une horde d'assaillants, la fuite des civils alors que le chaos se déchaîne et le danger se rapproche dans la deuxième partie. 

Le point de vue adopté est bien sûr occidental, mais il n'est jamais manichéen (et loin des précédentes versions caricaturales et racistes traitant des faits, du côté asiatique un des volets de la saga Il était une fois en Chine aura ces évènement en arrière-plan et Chang Cheh y aura consacré un film également) la folie guerrière chinoise étant contrebalancée par les informations sur l'exploitation étrangère abusive. 

Un vrai Fort Alamo asiatique qui culmine dans sa dernière partie où les occidentaux démunis doivent faire appel à leur courage et ingéniosité en infériorité numérique. Bien que changeant les noms pour plus de liberté dramatique (le personnage d'Heston ayant été rapidement blessé et immobilisé ne participa pas à la bataille jusqu'au bout) le film respecte bien le déroulement des évènements (la fuite déguisée en fermière de l'impératrice) tout en les magnifiant par une approche romanesque passionnante. Une belle réussite, la dernière de Ray qui subira un accueil critique tiède mais un certain succès public, sans jamais être (injustement) placé parmi les grands films du cinéaste.

Sorti en dvd zone 2 français et dans un magnifique bluray chez Filmedia

dimanche 30 mars 2014

La Femme scorpion - Joshuu 701-gô: Sasori, Shunya Ito (1972)


Après avoir été trahie par l'homme qu'elle aimait, Matsu, surnommée Sasori (Meiko Kaji), va tout faire pour s'évader de prison et assouvir sa vengeance.

La Femme Scorpion est sans doute un des films les plus emblématiques du Pinku Eiga et de ces paradoxes. On rappelle donc que ce sous-genre naquit à la fin des années 60 lorsque les studios japonais en détresse et au bord de la faillite à cause de la concurrence de la télévision trouvèrent une solution radicale pour se relancer. L’idée était de de montrer ce que ce que le petit écran ne pouvait se permettre à savoir un érotisme bien plus prononcé. Cette tendance envahit tous les genres, du film historique au sein de la Toei au mélodrame ou la comédie polissonne à la Nikkatsu et sous la contrainte ces films purent parfois s’avérer diablement audacieux.  

La Femme Scorpion en est un bel exemple avec un pur film d’exploitation cédant à tous les aspects putassier propre à séduire le public masculin initialement visé en en faisant un WIP (Women in Prison) déshabillant allégrement ses prisonnières, faisant subir les derniers outrages à son héroïne et en pimentant même le tout d’une scène saphique totalement gratuite (et à la chute assez comique). Sous le racolage apparent pourtant se cache un sacré brûlot féministe fustigeant la société japonaise.

Le film s’ouvre sur l’évasion de la prisonnière 701 Nami (Meiko Kaji) avec une codétenue, les deux étant malheureusement rattrapée de justesse par leurs geôliers non sans avoir vendu chèrement leur peau. Autant dans sa façon de tenir tête aux poursuivants lors de l’évasion que par son attitude farouche et glaciale lorsqu’elle est jetée au cachot après sa capture, la hargne de Nami interpelle. Capable d’exaspérer par sa résistance les gardiens qui la torturent ou d’intimider alors qu’elle est pourtant ligotée une codétenue sadique par un regard noir, Nami semble être un roc inébranlable. Sa haine vient de bien plus loin que ceux qui la tourmentent dans cette prison et remonte à quelques années plus tôt lorsqu’elle fut manipulée par l’homme qu’elle aimait Sugimi (Isao Natsuyagi), un policier corrompu qui la livra en pâture à des yakuzas pour s’enrichir. 

Ito se montre d’une inventivité flamboyante pour souligner ce passé dramatique à coup de cadrage surprenant (la contre-plongée rendant le sol transparent et adoptant le point de vue terrifiée de Nami assaillie par des yakuzas libidineux), d’une esthétique pop qui renforce le malaise (tout le drame initial se déroulant dans un décor unique se transformant au gré des variations d’éclairages et en coulissant pour illustrer comment ce traumatisme s’inscrit dans la mémoire de l’héroïne) et surtout par une force évocatrice marquante. Ainsi le sang de Nami déflorée pour la première fois forme le drapeau du Japon sur le drap blanc, le machisme et la domination masculine étant montrés en étendard par la représentation même de ce symbole national bafoué.

Le scénario (adapté du le manga de Tooru Shinohara) étale tous les clichés associés au film de prison (gardiens sadique, rivalité entre bande rivales…) mais même dans ses angles les plus racoleurs ne perd jamais de vue ses velléités féministes rageuses. Toutes les divisions et les affrontements entre prisonnières se font donc souvent par les manigances d’un élément masculin extérieur semant la discorde, que ce soit Sugimi payant une détenue pour assassiner Nami qui reste un témoin gênant ou alors le directeur braquant les prisonnières contre notre héroïne en les soumettant à des tâches harassantes à cause d’elle. 

La toute puissance masculine altère ainsi une possible solidarité féminine et dévoile les tares d’un sexe faible incapable d’exister loin du regard des hommes. Ito exprime cette idée en faisant de toutes les femmes néfastes des personnages expansif et bavard ayant recours à une logorrhée trompeuse et signe de faiblesse. 

A l’inverse, Nami et ses rares alliées sont des êtres taiseux qui se jaugent et s’estiment en un regard et dont les actions définissent la volonté de fer plus que les mots. Malmenée par une prisonnière profitant qu’elle soit attachée pour lui jeter son repas à la figure, Nami va par le geste radicalement calmer les ardeurs de l’intéressée. Plus tard lorsqu’on infiltrera une gardienne pour se lier d’amitié et lui soutirer des informations, un simple « Tu parles trop » lancé par Meiko Kaji suffira à faire comprendre qu’elle a démasquée la taupe.

 Shunya Ito va verser dans un excès visuel croissant pour rendre cette thématique par l’image, rendant les ennemies les plus malfaisants carrément monstrueuse (le face à face dans les douches) où transformant son décor en véritable espace mental propre à libérer toutes ses frustrations (le passage de l’extérieur au studio durant la scène de travaux forcés tournant à la rébellion et le ciel prenant des teintes écarlates accentuant la touche baroque). 

L’allure frêle mais le regard farouche, Meiko Kaji impose un personnage au tempérament indomptable dont elle fait une véritable icône. C’est une femme martyr refusant constamment le destinée de soumission que la société veut lui imposer, cette nature rebelle et vengeresse s’incarnant parfaitement lors du final où elle arbore cette tenue d’archange noir bien décidé à faire payer tous les hommes l’ayant trahie. Un vrai classique qui sera une des sources d’inspirations de Quentin Tarantino pour ses Kill Bill (reprenant d’ailleurs la chanson Urami-Bushi chantée par Meiko Kaji) et qui connaîtra pas mal de suites dont seuls les 2e et 3e épisodes réunissant encore Shunya Ito et Meiko Kaji devant et derrière la caméra valent le détour. 


Sorti en dvd zone 2 français chez Pathé dans un coffret réunissant tous les épisodes de la saga