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samedi 12 avril 2014

Les Tueurs - The Killers, Robert Siodmak (1946)


Un soir, dans une petite ville qui traverse la route nationale, arrivent deux inconnus. Ils cherchent quelqu'un. Ce sont des tueurs à gages. Leur victime sera un autre inconnu, Pete Lunn, installé depuis peu dans cette modeste bourgade et qui tient un poste d'essence. Pete Lunn, prévenu de leur arrivée, ne cherche cependant pas à s'enfuir et attend avec fatalisme qu'ils l'abattent. Mais Lunn avait souscrit à une assurance sur la vie.
La compagnie d'assurance désigne l'un de ses détectives, James Reardon, pour enquêter sur cette affaire. Interrogeant les témoins et ceux qui ont connu Pete Lunn, Reardon reconstitue le puzzle mystérieux...


The Killers est une date dans l’histoire du film noir mais aussi le révélateur de deux des plus grandes stars de l’âge d’or Hollywoodien avec les débutants But Lancaster et Ava Gardner. Le film est une adaptation de la courte nouvelle éponyme d'Ernest Hemingway mais en est surtout un développement puisque seules les dix premières minutes chargées de mystère en sont tirées. Deux tueurs patibulaires débarquent dans une petite ville de province, menaçant tous ceux qu’ils croisent à la recherche de leur le cible, le « suédois » Peter Lunn (Burt Lancaster). Celui-ci, prévenu de son sort attend pourtant résigné ses bourreau et se laissera abattre sans un geste. La nouvelle se terminait juste avant que l’acte fatal ne soit commis et le scénario (officieusement signé John Huston pour la majeur partie mais laissant le crédit à Anthony Veiler car il était alors en contrat à la Warner) développe l’après ou plutôt l’avant avec l’enquête d’un agent d’assurance qui va dans une structure à la Citizen Kane remonter le passé de la victime et les raisons l’ayant amené à faire montre de si peu d’opposition face à la mort imminente. 

Robert Siodmak avait avec d’autres posés nombres de codes du film noir avec Phantom Lady (1944) et The Spiral Staircase (1945) et ajouterait en cette même années 1946 la dimension psychanalytique du genre avec Double Énigme. Dans Les Tueurs, c’est le sentiment de fatalité et d’inéluctable grandement magnifié par Billy Wilder et son Assurance sur la mort (1944) qui a cours, à nouveau provoqué par une femme fatale manipulatrice. Siodmak amène cela par une mise en scène jouant sur plusieurs tableaux. D’abord par une dimension opératique jetant dès l’ouverture avec la photo d’Elwood Bredell déployant ses ombres funèbres sur cette petite ville dès l’arrivée des tueurs notamment lorsqu’il pénètre dans le snack. 

Cette fatalité est également contenue par la mine de chien battu et de loser né qu’arbore Burt Lancaster. Lors de la scène d’ouverture, son visage disparait dans l’ombre et sa présence ne se signale que par un phrasé éteint car cet homme est déjà mort bien avant d’être transpercé par les balles. Les flashbacks dévoileront en filigrane les raisons de cette mort attendue et espérée avec ce boxeur déchu mené à sa perte par la rencontre de la troublante Kitty Collins (Ava Gardner).

L’alchimie entre Burt Lancaster et Ava Gardner est un des grands atouts du film. Lancaster fait des débuts fracassant avec ce rôle de brute épaisse influençable et Ava Gardner après avoir végété dans des productions de secondes zones au sein de la MGM vit enfin sa chance tourner avec le plus mineur Tragique rendez-vous (1946) et le film de Siodmak. Conscient du jeu pas encore assuré  de la débutante, Siodmak en fait d’ailleurs une sorte de chimère fantasmatique dont la duplicité ne se construit qu’au fil des flashbacks. Aucune réelle scène d’amour n’est partagée entre eux, les retours au passé n’étant là que pour souligner le charme et l’emprise de Kitty sur le Suédois.

Ce sera pour le montrer brisé par son départ, une première rencontre où tout semble s’estomper pour n’avoir d’yeux que cette à la grâce irréelle, assumer un vol de la belle ou s’engager dans une affaire criminelle à risque. Ava Gardner déploie ainsi un charisme aussi vénéneux qu’insaisissable, ne daignant exprimer une émotion sincère que dans la toute dernière scène pour sauver sa peau (Siodmak ayant tendu toute sa direction d'Ava Gardner vers ce moment où elle doit enfin se dévoiler dans tout son égoïsme).

L’ensemble des enjeux du film dessinent une forme de vacuité dans ce après quoi courent tous les personnages. Le suédois poursuit un amour qui le manipule, Kitty trahit tout le monde par appât du gain et l’enquête de l’agent d’assurance et les risques qu’il prend n’auront pour conséquence qu’une hausse de la prime annuelle de sa compagnie et un jour de congé supplémentaire pour lui. Siodmak pose ainsi un regard à la fois cru et distant sur le drame en marche symbolisé par ce superbe plan-séquence lors de la scène de hold-up où un mouvement de grue accompagne la brutalité du méfait avec un recul soulignant cette vacuité. 

Les péripéties nous ayant menés là s’avéreront vaines pour chacun qui ne pourra profiter de cet argent ou des rapprochements qu’il pourrait susciter. Dans un sens, tout était dit en début de film lorsque le Suédois après l'apparition d'un fantôme du passé cesse de courir en vain et laisse la mort venir à lui. La roue du destin a rarement paru aussi impitoyable et aveugle que dans Les Tueurs. Un classique qui en générera un autre bien plus tard avec l’excellent remake de Don Siegel (qui alors encore monteur fut envisagé pour réaliser l’original qui aurait été son premier film) À bout portant (1964).

 Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

 

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