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jeudi 24 avril 2014

L’île nue - Hadaka No Shima, Kaneto Shindo (1961)

Au Japon, sur une minuscule île de l'archipel de Setonaikai, un couple vit avec ses deux jeunes enfants. La terre est aride et l'île ne possède pas de ressource en eau douce. Pour cultiver cette terre ingrate et survivre, le couple est donc obligé de faire de continuels voyages en barque entre la terre ferme et l'île : ramener l'eau précieuse et en arroser avec attention et parcimonie chacun des plants cultivés. Ces gestes renouvelés sans cesse rythment le quotidien.

L’île nue est un des joyaux du cinéma japonais et constitue encore aujourd’hui un pur ovni. C’est sans doute le chef d’œuvre du réalisateur Kaneto Shindo dont l’inspiration naîtra d’une contrainte. Au départ assistant décorateur puis scénariste au sein de la Shoshiku, Shindo passe à la réalisation en 1950 et crée l’année suivante sa société de production Kindaï Eiga Kyokai. Dix ans et une quinzaine de films plus tard, la société se trouve en grande difficulté financière, contraignant Shindo a rapidement mener un projet commercialement viable s’il veut éviter la faillite. 

 Malheureusement la société n’a plus les moyens de produire un film couteux en studio, et du coup Shindo choisira une solution plus radicale. Sur un squelette de script ne faisant que quelques pages et narrant la vie de paysans sur une île de l'archipel de Setonaikai, Shindo opte pour un tournage en plein air (l’île de Mihara non loin d’Hiroshima) avec une équipe réduite de dix techniciens qui ne nécessitera qu’un budget modeste de trois millions de yens au cours des deux mois de tournage.

Le film s’ouvre sur de majestueuses vues aériennes de l’archipel puis de « l’île nue » que l’on pénètre progressivement, y assistant au labeur du couple joué par Taiji Tonoyama et Nobuko Otowa (épouse de Kaneto Shindo et actrice fétiche de 41 de ses films). Le ton est donné avec des images élégiaques et hypnotiques dont la beauté fascinante est contrebalancée par les activités pénibles qu’elles dépeignent. L’île où vivent nos personnage est doté d’une terre aride et dépourvu d’eau douce, les obligeant à d’incessant aller-retour en barque pour cherche de quoi arroser leur culture. Shindo crée par cette répétitivité une atmosphère hypnotique se jouant sur le montage où s’alternent les déambulations des paysans, leurs visages striés par l’effort la pêche du fils cadet et le mouvement perpétuel de la nature environnante. 

Le premier aperçu de ce cadre de vie harassant se déroulera sur une journée, sa monotonie étant seulement interrompue pour faire surgir l’humanité qui différencie ces êtres de simples bêtes de sommes, que ce soit par les moments de relâches partagés (petit déjeuner et dîner, le bain ragaillardissant du soir) ou lorsque la mère montre une rare trace de lassitude en renversant un seau d’eau. Shindo étendra ensuite le procédé sur une temporalité plus étendue, au fil des saisons où seuls les changements climatiques nous feront différencier la période où l’on se situe tant le rituel de nos personnages semble inamovible. 

La musique d’Hikaru Hayashi joue un rôle essentiel par sa nature lancinante appuyant sur l’aspect immuable et fataliste de cette tâche, mais exprimant aussi une profonde mélancolie, une vraie empathie pour ces êtres. Cela offre un contrepoint et guide en partie l’émotion du film qui totalement dépourvu de dialogues, comme si la parole était un effort et un privilège que les protagonistes ne pouvaient se permettre.

Shindo interrompra le cycle pour le bonheur et le malheur de cette famille. Le bonheur, c’est lorsque les enfants pêchent un énorme poisson dont la vente permettra enfin une brève échappatoire avec une sortie en ville où l’on se détend, on daigne enfin se relâcher, sourire et entrapercevoir une modernité que cette vie rurale ancestrale ne laisse pas deviner (le voyage en bateau  à vapeur plutôt qu’en barque, la télévision…). Le destin cruel vient troubler cette quiétude dans l’effort également l’aîné des enfants tombera malade, confrontant cette famille à son isolement et son dénuement. 

Ces êtres courageux ploient donc une nouvelle fois sans rompre lors des dernières minutes poignantes. Tout est dit dans l’échange de regard final entre les époux, la résignation, le désespoir et surtout, encore et toujours, la force de reprendre la tâche. Kaneto Shindo réussi une prouesse rare, nous captiver par la seule force de l’image (photo magnifique Kiyoshi Kuroda dans un cinémascope fabuleux) au service de l’émotion. Un idéal de cinéma pur. 

Sorti en dvd zone français chez Wild Side

1 commentaire:

  1. Tout ce que vous dites est juste et pertinent à mon sens.
    C'est en effet un pur chef-d’œuvre de pudeur sur la condition humaine.
    Amicalement. Lebastard James

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