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vendredi 9 mai 2014

Heat - Michael Mann (1995)


Une équipe de braqueurs prépare l'attaque d'un fourgon blindé à Los Angeles. Leur chef Neil McCauley (Robert De Niro) et ses complices Chris Shiherlis (Val Kilmer), Michael Cheritto (Tom Sizemore) et Trejo (Danny Trejo) peaufinent les derniers détails. Pour réussir leur coup, ils engagent un nouvel associé, Waingro (Kevin Gage). Le braquage, pourtant planifié dans les moindres détails, tourne mal à cause d'une erreur de ce dernier et tourne au bain de sang. Les braqueurs dérobent uniquement un lot de bons au porteur appartenant à un financier véreux, Roger Van Zant (William Fichtner). L'enquête sur le braquage est confiée à Vincent Hanna (Al Pacino), lieutenant aguerri de la police criminelle. Une lutte à distance va s'engager entre Hanna et McCauley.

Heat fut le film de la reconnaissance critique et publique pour Michael Mann. Le réalisateur avait jusque-là déjà signé des œuvres marquantes mais s’étant soi confrontées à l’échec commercial (Manhunter (1986) première transposition cinématographique des méfaits d’Hannibal Lecter), soi où le grand public ignorait son rôle dans le processus créatif (la série Miami Vice dont il produisit les trois premières saisons). Son talent était alors uniquement reconnu par quelques aficionados et il fut ainsi véritablement découvert avec Heat. Pourtant plus qu’une révélation, Heat constitue un aboutissement de toutes les recherches esthétiques, narratives et thématiques de Michael Mann depuis ses débuts. Le professionnalisme et la rigueur du héros « mannien » tel que défini dans l’inaugural Le Solitaire (1981), les atmosphères désenchantées et la noirceur de Miami Vice, l’imagerie urbaine bleutée et métallique de Manhunter, la densité narrative de l’ambitieuse et méconnue série Les Incorruptibles de Chicago (1986 – 1988), tout cela forme un tout grandiose et ambitieux dans Heat

La trame même du film participe également au parcours personnel de Mann. Au départ scénariste pour la télévision (notamment les deux premières et meilleures saisons de Starsky et Hutch), Mann déjà soucieux de réalisme et passionné de récit criminel noua de nombreux contact dans la police ou auprès d’ex criminel comme l’écrivain Edward Bunker. C’est par ce biais que l'inspecteur Chuck Adamson lui narra le récit de sa traque du braqueur Neil McCauly dans le Chicago des 60’s, de l’admiration et du respect qui finit par se nouer entre le chasseur et sa proie jusqu’à son arrestation mortelle en 1963. Fasciné par cette histoire, Mann en tirera tout d’abord le téléfilm L.A. Takedown (1989) dont le format l’oblige à grandement tronquer son ambitieux scénario de 180 pages. Après le succès du Dernier des Mohicans (1992), Mann a enfin la possibilité d’en tirer toute l’ampleur requise dans Heat qui sera également l’occasion de la rencontre (puisqu’ils partageaient l’affiche du Parrain 2 (1974) sans se croiser) des deux monstres sacrés Al Pacino et Robert De Niro.

Par son postulat donc, Heat est une classique histoire de gendarme et voleur à laquelle Michael Mann va amener une profondeur vertigineuse. Tout au long du récit, le scénario définira le criminel Neil McCauley (Robert De Niro) et le flic Vincent Hanna (Al Pacino) comme les deux revers d’une même pièce. La première scène d’attaque de fourgon et la gestion de l’acolyte incontrôlable Waingro (Kevin Gage) montre d’emblée la méticulosité et la détermination sans faille de McCauley. De même l’impressionnante et rapide reconstitution du crime qui suit par Vincent Hanna. Tous deux sont des professionnels entièrement dévoués à ce qu’ils savent faire de mieux, des casses pour l’un et traquer les criminels pour l’autre. Une telle rigueur n’est pas sans effet sur la vie personnelle. McCauley s’impose ainsi un ascétisme quasi monacal où comme il l’affirmera plusieurs fois, il ne doit s’être fait aucune attache qu’il ne pourrait quitter sans états d’âme dans les 30 secondes si les flics pointent le bout de leur nez.

I'm alone, I am not lonely / Je suis seul, pas solitaire comme l’affirmera une de ses répliques, et Robert De Niro par sa raideur, ses explosions de violence froide et son regard constamment aux aguets expriment parfaitement cette idée. Les héros de Michael Mann ne sont jamais aussi captivants que quand ils dévient de leurs préceptes et se rendent vulnérable en osant exposer leur humanité (James Caan dans Le Solitaire, Tom Cruise dans Collatéral (2004)). Nul besoin de surligner cela pour le réalisateur qui nous l’expose visuellement dans la scène où De Niro rentre seul dans son appartement vide de meuble, pose son arme et scrute la mer depuis sa baie vitrée tandis que s’élève les notes synthétiques de Moby. Un moment de mélancolie suspendue typique de Michael Mann où l’émotion passera par l’image, la caméra s’attardant sur le regard perdu dans le vague de McCauley tandis que les teintes bleutées de la photo de Dante Spinotti accentuent la dimension crépusculaire de la séquence. 

Vincent Hanna quant à lui aura payé sa soif de justice par une vie intime sinistrée. Survolté et imprévisible pour les malfrats qui croisent sa route, il se referme et devient taciturne, comme en veille lorsqu’il regagne le domicile conjugal au grand désespoir de son épouse (Diane Venora) et de sa belle-fille (Natalie Portman). All I am is what I'm going after / Je suis ce que je pourchasse. Là aussi en une réplique le dilemme du personnage et son mimétisme avec sa proie est défini. 

Si De Niro rentre dans une demeure vide après ses méfaits, Pacino lui s’éteint et se soustrait à son environnement lorsqu’il rentre chez lui, toute son attention et son énergie ne pouvant qu’être sollicités par son métier, son sacerdoce. Pacino dans un registre plus nerveux et exubérant est formidable (le background du personnage dans le script affirmait que le personnage consommait de la coke sans que cela soit dit dans le film ce qui donne ce petit tour décalé et excessif dans la prestation de l’acteur) de bagout et de présence fiévreuse.

Autour de ces deux astres, Mann fait naviguer un nombre impressionnant de personnages secondaires qu’il parvient à faire exister quel que soit leur temps de présence à l’écran. Ils servent à renforcer l’ampleur narrative du récit (toute sa sous-intrigue avec le financier Van Zant (William Fichtner) absente du téléfilm originel), son authenticité (le mentor taciturne formidablement incarné par Jon Voight) mais aussi servir de reflet accéléré des problématiques rencontrés par les deux personnages principaux. En dépit d’une vie de famille rangée, Michael Cheritto (Tom Sizemore) ne peut se passer de l’adrénaline des braquages tandis que Chris (Val Kilmer) semble inadaptée à une existence normale sombrant dans le jeu et en conflit avec sa femme (Ashley Judd).

Mann s’astreint dans Heat de toute la facette funeste et de destinée typique du polar. La malchance n’a rien à faire ici, les personnages s’astreignent à une certaine vision de la vie dans leur comportement et ce sont des micros évènements où ils dévient de leurs choix initial qui provoqueront leur perte. McCauley en laissant échapper Waingro en début de film provoque ainsi les évènements tragiques de la dernière partie, et s’éloignera de toute la rigueur qui le définissait au départ en allant se venger et fatalement s’exposer à la fin. On pense également au repris de justice en conditionnelle Donald Breedan (Denis Haysbert) rompant en un instant ses bonnes résolutions pour le pire. 

Mann définit ces conflits par un mimétisme contrasté dans l’opposition de ces eux héros. Ce sera d’abord dans le calme d’un bar que se feront enfin face McCauley et Hanna. S’étant déjà jaugé et ayant su apprécier les compétences de l’autre dans son domaine, on aura non pas une confrontation mais une affirmation de chacun d’aller jusqu’au bout quel que soit les conséquences car c’est tout simplement leur métier. Deux professionnels face à face, froid et décidé, si éloigné mais si proche en même temps.

Le réalisateur se refuse à un plan d’ensemble qui les séparerait à l’image pour privilégier un champ contre champ renforçant cette idée de revers d’une même pièce pour chacun des protagonistes, l’intensité et la connexion étant telle que les gestuelles se reflètent de l’un à l’autre (Pacino reprenant un mouvement de tête de De Niro en lui répondant), les dialogues se répétant avec le calme froid de De Niro ou la nervosité de Pacino. Le gunfight apocalyptique lors de la grande scène de holdup up fait passer la parole à l’action dans un morceau de bravoure où le chaos urbain a rarement été plus virtuose – lors de la Masterclass qu’il donna à l’occasion de la rétrospective lui étant consacrée à la Cinémathèque Française en 2008, Mann avait dévoilé l’impressionnant plan de bataille de cette séquence qualifiée de World War 3 sur le planning de tournage ! -. 

Un fracas de balles, de verres brisé et de hurlement à l’issu duquel les héros sont confrontés à des choix décisif. En quittant le chevet de sa belle-fille meurtrie, Pacino renonce sans doute définitivement à son mariage mais s’assure la possible capture de De Niro. Ce dernier, en oubliant sa pure logique d’efficacité pour se venger, en révélant sa vraie nature et tombant amoureux d’une jeune femme (Amy Brenneman) qui l’accompagnera dans sa fuite brise ses préceptes de survie élémentaire qu’il s’était si rigoureusement imposé (Mann s'attardant longuement sur son visage impassible et son esprit en ébullition alors qu'il prend la mauvaise décision). 

L’issue ne pourra qu’être fatale dans une somptueuse course poursuite finale. Mann nous perd avec brio loin des concepts de bien et de mal pour seulement montrer des êtres humains face à leurs contradictions et le spectateur ne sait finalement plus qui il souhaite voir vainqueur de cet affrontement. On retrouve cette émotion en pesanteur dans le superbe plan final où une nouvelle fois, De Niro et Pacino n’ont jamais semblé plus proche et plus éloignés par la seule force de l’image. Un chef d’œuvre du polar d'un Michael Mann au sommet de son art et annonçant la suite avec les ambiances nocturnes urbaine de Collatéral et Miami Vice (2006).

Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez Warner

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