1936, Deeds, simple provincial d'une
commune du Vermont, hérite d'une fortune fabuleuse et doit se rendre à
New York pour la gérer. Sur place, il a affaire à un avocat véreux qui
cherche à administrer ses biens à sa place, et à une jeune femme dont il
tombe amoureux, ignorant qu'elle est journaliste chargée de rédiger des
articles caustiques à son propos.
L'Extravagant Mr. Deeds
est un tournant dans la carrière de Frank Capra, le film qui lance la
série de grandes œuvres à conscience sociale du réalisateur avec Vous ne l'emporterez pas avec vous (1938), Monsieur Smith au Sénat (1939) et L'Homme de la rue (1941), les deux derniers reprenant d'ailleurs la structure initiale de Mr. Deeds
avec cette idée d'un naïf confronté à une institution qui va le broyer.
Cette conscience sociale n'est pas neuve chez Capra et notamment dans
un film comme La Ruée (1932) mais c'est le succès de Mr. Deeds
qui lui fera réellement comprendre l'impact de cette veine humaniste
auprès du public et le poussera à développer de manière plus complexe et
fouillée dans ces œuvres suivantes. Au départ le réalisateur est
captivé par la nouvelle Opera Hat de Clarence Budington Kelland parue en 1935 dans la revue The American Magazine
et partira de la base du récit (un brave homme provincial hérite d'une
fortune colossale et de biens immobiliers dans une grande ville) pour le
faire sien à travers le scénario du fidèle Robert Riskin. Alors que
l'emploi du temps surchargé de Ronald Colman l'empêche d'attaquer Horizons Perdus
qui devait être son film suivant (et finalement tourné l'année
d'après), Capra se lance donc dans ce film charnière, engageant la star
Gary Cooper authenticité incarnée pour être Mr. Deeds ainsi que Jean
Arthur dans son premier grand rôle qui fera d'elle une star.
L'histoire
voit donc un grand candide et innocent confronté à l'hypocrisie et au
cynisme lorsque Longfellow Deeds (Gary Cooper) est tirée de sa province
paisible pour se rendre à New York toucher le colossal héritage de 20
millions de dollars que lui a légué un oncle qu'il n'a jamais vu. Gary
Cooper avec son croisement d'allure imposante, de visage à l'expression
sincère et de regard rêveur impose immédiatement à la singulière
personnalité du héros. Détaché des préoccupations superficielles de son
nouvel entourage (voir comme il encaisse sans ciller l'annonce de sa
fortune), Deeds est une énigme pour les citadins cyniques. Il n'est pas
le grand benêt qu'une inévitable horde vautour espère plumer, ni l'idiot
dont on peut se moquer en douce, notre héros réglant leur compte aux
escrocs et aux mesquins en tout genre d'un crochet bien senti. Pas assez
malléable pour les avocats véreux souhaitant avoir procuration sur sa
fortune et trop droit pour alimenter la presse à scandale curieuse de ce
nouveau riche, Deeds sera finalement victime de sa pureté d'âme et de
sa quête d'une oreille sincère.
Il pense la trouver avec Louise Bennett
(Jean Arthur) travailleuse sans le sous dont il va tomber amoureux mais
cette dernière est en fait une journaliste qui profite de leurs
rencontres pour alimenter ses articles où elle le ridiculise sous le
sobriquet de "Cinderella Man". Gary Cooper est absolument formidable,
entre lucidité et candeur enfantine, incarnant un Deeds qui est la
spontanéité même : surexcité par la moindre sirène de pompier,
empoignant son tuba dès qu'il a besoin de réfléchir, s'enfuyant et
glissant comme un adolescent maladroit après avoir fait sa grande
déclaration d'amour sous forme de poème.
Cherchant le meilleur dans
chacune de ses rencontres et des lieux parcouru (la tirade sur la tombe
de Grant où il est le seul à ressentir l'émerveillement et le poids de
l'histoire de ce cadre) Deeds verra son allant progressivement brisé par
la fausseté et la froideur que représente cette vie citadine égoïste.
Cette fortune non désirée va s'avérer un poids insurmontable qui va le
pousser au désespoir il saura mettre cette déception au service des
autres. Capra n'a pas encore atteint la finesse de traitement de L'Homme de la rue
et amène sans doute un peu grossièrement cette prise de conscience
lorsqu'un fermier dans la misère vient violemment afficher sa triste
réalité à Deeds. L'émotion et la vérité qu'il confère à la scène fait
pourtant tout, notamment à travers le regard compatissant de Gary Cooper
qui voit enfin une utilité à cette richesse : aider les plus démunis.
C'est
l'extravagance de trop pour les puissants qui vont chercher à stopper
cette noble entreprise. Le film est vraiment une matrice moins
conceptuelle et sombre de Meet John Doe
avec des êtres dont la dévotion et le désintéressement est un mystère
insondable, une folie pour les nantis. On a presque une sorte
d'anticipation d'anticommunisme primaire dans le rejet de l'action de
Deeds (ses ennemis voyant dans son action un danger pour le pays mais
contrairement au méchant faustien incarné plus tard par Edward Arnold
dans L'Homme de la rue on reste
ici à un degré plus terre à terre volonté d'enrichissement personnel sur
le dos de Deeds). Deeds est un miroir du sentiment qui anime son
environnement et face à cette fausseté et cynisme ambiant, il
abandonnera la partie par un dépit le plongeant dans le mutisme lors de
la cruelle scène de tribunal en conclusion. Le regard de ceux chez qui
il a éveillé l'espoir et l'amour sincère qu'il a cru voir lui échapper
va pourtant le réveiller.
La tirade finale de Gary Cooper (qu'il est
d'ailleurs amusant de comparer dans une idée proche avec le discours
solennel et grandiloquent du Rebelle
(949) de King Vidor) est à l'image de ce héros espiègle, s'innocentant
en confrontant chacun à ses petites tares. L'acteur fait totalement
échapper le personnage à la figure d'archétype qui aurait pu le guetter,
ce regard vers les autres, cet optimisme et naïveté étant ceux que tout
un chacun espère éternellement conserver. Une foi contagieuse à l'image
d'une Jean Arthur poignante dont les airs de calculs ne résisteront pas
longtemps à l'extravagant Mr. Deeds. Capra émeut et tient en haleine
jusqu'au bout avec cette œuvre chaleureuse.
Sorti en dvd zne 2 français chez Sony
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