Pages

mercredi 25 juin 2014

Les Forbans de la nuit - Night and the City, Jules Dassin (1950)

Suite à la rencontre de Gregorius, un champion de lutte, Harry Fabian décide d'organiser des combats. Ce dernier utilise toujours des combines louches ou compliquées pour mener à bien ses projets et cette fois-ci n'échappe pas à la règle... Il fait appel à des personnes peu recommandables auprès desquelles il doit rapidement en découdre.

Les Forbans de la nuit voit Jules Dassin conclure une trilogie urbaine entamée avec La Cité sans voiles (1948) et Les bas-fonds de Frisco (1949). Adapté d’un roman de Gerald Kersh, le film s’avère précurseur du mode qui aura surtout cours quelques années plus tard à Hollywood avec un tournage en Europe et plus précisément délocalisé à Londres. La première raison est économique puisqu’à l’époque les bénéfices engrangés au box-office pour les films US sont législativement bloqués en Angleterre et afin de ne pas perdre cet argent disponible, mieux vaut produire un film sur place, pur film de studio ou coproduction locale. Jules Dassin se trouve également déjà dans le collimateur de la Commission Hays pour ses sympathies communiste et le studio voit d’un bon œil de l’éloigner un temps d’Hollywood et le réalisateur s’installera d’ailleurs définitivement en Europe après le tournage.
Dans la lignée de ses deux œuvres précédentes, Dassin se déleste de toute velléité et imagerie touristique dans sa description de Londres pour privilégier le versant sordide des bas-fonds de la ville. 

C’est le Londres des petites frappes, des vendeurs à la sauvette, mendiant et gangster qui nous est dépeint ici dans toute sa crudité (les anglais détesteront d’ailleurs le film à sa sortie). Le sentiment de grouillement et d’urgence frappe d’entrée et va se concrétiser à travers le personnage d’Harry Fabian (Richard Widmark) fuyant dans les ruelles sombres et désertes un créancier tenace. Tout est déjà résumé là, les ennuis affleurent vite après un Harry pour lequel le récit sera une fuite en avant concrète ou sen suspens. Harry a des rêves de grandeur et de réussite (I want to be somebody), de l’énergie à revendre pour les réaliser mais empruntera constamment des chemins et pratiques dangereux pour atteindre son but. La même filouterie et bagout de rabatteur de de nightclub lui sert ainsi pour se lancer dans un projet hasardeux de combats de lutte dont il serait le grand promoteur. 

La quête de réussite du personnage est sans but concret si ce n’est celle des apparences et il s’adapte ainsi aux opportunités qui se présentent à lui. C’est ainsi au hasard et selon ses méthodes d’arnaqueur à la petite semaine qu’il montera cette affaire qui naît d’emblée de la manipulation et du mensonge. Embobinant le très puriste père (Stanislaus Zbyszko vrai champion de lutte) du boss du circuit de la lutte à Londres (Herbert Lom charismatique et inquiétant), Fabian entraîne une âme pure son échec annoncé puisqu’il s’acoquinera à un patron de club peu recommandable (Francis L. Sullivan) et son épouse veule (Googie Withers) pour se financer. Ces fondations branlantes l’entraîneront dans la spirale d’un échec annoncé ou toutes les petites trahisons, mensonges et reniement l’aliéneront de ceux croyant en lui (Gregorius mais aussi sa fiancée jouée par Gene Tierney dans un petit rôle) et déchaîneront sur lui ses accointances les plus douteuses.

Richard Widmark promène une nouvelle fois sa folie et sa nervosité avec un brio certain. Une sourde angoisse pointe ainsi constamment sous une assurance de façade, Harry Fabian étant constamment en parade et en faisant trop comme pour se rassurer inconsciemment. Lorsque les évènements tournent en sa défaveur, cette tension peut alors exploser. Pas dans la violence comme certains rôles fameux de l’acteur (Carrefour de la Mort (1947) en tête) mais dans une détermination fiévreuse à endiguer la fatalité qui le rend méprisable comme lorsqu’il ira voler les économies de sa fiancée pour se sortir d’affaire. Il n’y a que les proportions des ennuis qui changent finalement puisqu’en début de film il fouille le sac de Gene Tierney en quête de 5 livres pour à la fin et aux abois lui en voler 200.

Fabian est un perdant dont l’échec était annoncé en dépit de toutes ses manigances comme le résumera cette réplique cinglante au plus fort de sa détresse : « You've got it all. But you're a dead man. ». Jules Dassin au fil de cette déchéance perd la silhouette frêle de Widmark dans des environnements urbains de plus en plus oppressant où la photo de Max Greene le fait disparaître dans les recoins sombres de l’image.

 Dassin prend un tour expressionniste pour capturer le visage révulsé, terrifié et en nage d’un Widmark de plus en plus conscient de sa mort imminente. Le fantastique n’est pas loin dans la manière furtive de faire apparaître ses poursuivants (le splendide final ou Herbert Lom et ses acolyte le guette depuis le pont), ombres et spectres prêt à fondre sur lui. La conclusion est aussi saisissante que pathétique dans le terrible sort qu’elle réserve à son héros. Une des très grandes réussites de Dassin.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire