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vendredi 11 juillet 2014

Lady Snowblood - Shurayuki hime, Toshiya Fujita (1973)


Au début de l'ère Meiji (vers 1870), une mère de famille, Sayo, voit son époux et son fils se faire assassiner sous ses yeux avant de se faire violer, par trois hommes et une femme. Après avoir tué l'un d'entre eux, elle se retrouve en prison où elle donne naissance à une fille, Yuki. Sa mère morte en couche, Yuki est élevée par un maître du sabre pour devenir un instrument de vengeance redoutable, une véritable femme fatale.

Meiko Kaji avait gagné ses galons de star en interprétant la prisonnière taciturne de La Femme Scorpion (1972). Les studios allaient bien sur tenter d’exploiter son charisme dans d’autres genres et contextes et cela la conduirait à ce Lady Snowblood, un autre de ses rôles emblématique. Le film est un chambara (film de sabre japonais), genre emblématique du cinéma japonais qui à l’instar du reste de l’industrie aura subit quelques mutations au début des années 70. Dans la politique de l’excès de l’époque (outrance destiné à relancer les entrées pour concurrence la télévision) le genre s’était transformé en s’ornant désormais d’un érotisme plus prononcé et d’écart de violence bien plus corsés où chaque coup de sabre était prétexte à de spectaculaire jets d’hémoglobine. 

La série de film emblématique de cette tendance sera Baby Cart qui tout au long de ses six épisodes fera montre d’une inventivité constante dans ses combats dantesque et ses débordements sanglants. Baby Cart était adapté du manga de de Kazuo Koike (scénario) et Gōseki Kojima (dessins). Lady Snowblood est également issus d’un manga écrit par Kazuo Koike qui y reprend de nombreux motifs de Baby Cart (le récit de vengeance en tête) et pour cette transposition cinéma il était certainement à craindre d’avoir un simple décalque au féminin de Baby Cart ou alors une version chambarra de la saga de La Femme Scorpion. Le film évite pourtant avec brio tous ses pièges.

Meiko Kaji retrouve sur ce film le réalisateur Toshiya Fujita qui devait d’ailleurs initialement réaliser La Femme Scorpion avant le refus initial de l’actrice qui finira par se raviser et interpréter le rôle culte sous la direction de Shunya Ito au bout du compte. Réticente également au départ à jouer dans ce Lady Snowblood en raison des nombreux clichés de la version manga (l’héroïne s’y dénudant notamment lors de certains affrontements alors que Meiko Kaji a toujours refusée de de dévoiler à l’écran – ce qui entraînera d’ailleurs son départ de la Nikkatsu - malgré l’époque s’y prêtant un peu trop pour les actrices japonaise) mais Toshiya Fujita saura la convaincre à travers une formidable refonte du manga. 

Le récit narre la quête vengeresse de  Yuki Kashima, dont la famille fut assassinée vingt ans plus tôt par trois hommes et une femme. Seule sa mère survécu, tuant un des meurtriers avant d’être condamnée et d’accoucher de notre héroïne en prison. Avant de mourir en couche la mère maudira les meurtriers dont elle n’a pu se venger et jurant que le nourrisson une fois adulte saura la venger. 

Une malédiction à la fois pour les coupables et pour Yuki dont toute l’existence n’est désormais vouée qu’à accomplir ce dessein. Si les jets sanglants et les combats hargneux sont bien là, le film adopte un ton assez surprenant. La narration chapitrée, la construction en flashback et la voix-off funeste apportent une hauteur renforçant le destin tragique de Yuki dont nous découvrons l’enfance sans joie, les exactions insoutenables des meurtriers et donc la détermination implacable dans une narration parfaite de montée en puissance.

Cette construction imprègne le film d’une infinie tristesse et mélancolie symbolisée par la chanson Flower of Carnage (Shura no Hana en japonais et chantée par Meiko Kaji) mais aussi par l’interprétation intense de Meiko Kaji. Loin de simplement reproduire le masque glacial de La Femme Scorpion, l’actrice y dévoile au contraire sous la froideur apparente une intensité et une émotion à fleur de peau palpable par la fureur que l’on devine dans les attitudes rigide et le regard rageur. La vengeance n’est pas un poids mais son unique raison de vivre.

Dès lors le réalisateur se déleste de la virtuosité d’un Kenji Misumi (réalisateur emblématique du chambara et responsable d’une bonne partie de la saga Baby Cart) ou de la stylisation pop  d’un Shunya Ito ou Norifumi Suzuki pour un ton plus sobre, austère et dépressif. La vengeance n’a rien de flamboyant et la tristesse de la quête de Yuki se manifestera par la nature constamment insatisfaisante des exécutions. Vingt ans plus tard les anciens criminels sont devenus vieux et malades, les plus infâmes se suicideront avant que Yuki ne leur règle leur compte et le pire d’entre eux semble (dans un premier temps en tout cas) décédé depuis des années et ne pouvant gouter au châtiment. 

L’existence de l’héroïne n’en semble que plus triste et vaine, thématique renforcée lorsque Yuki éveille à son tour les instincts vengeur de la fille d’une de ses victimes et faisant de la violence un cycle sans fin.  Toshiya Fujita magnifie ainsi son scope de mouvement de caméra lent et solennel, d’une poésie visuelle toute en retenue (le sang se mêlant à la neige et formant des flocons écarlates) et d’effets savamment calculés.

Cette sobriété peut sembler décevante pour celui venu chercher l’adrénaline d’un Baby Cart mais fait au contraire tout le prix du film. Le scénario parvient également à impliquer tout la dimension historique que Kazuo Koike - dont plusieurs planches sont utilisées de manières inventives - inclut dans ces manga (le film étant beaucoup recherché sur ce point que les Baby Cart qui oubliait cette facette du manga la plupart du temps) notamment par la description de l’ère Meji, supposée être celle de la modernisation et de l’intégration des coutumes occidentales par rapport à la plus austère ère Tokugawa. 

Cette modernité est ici au contraire source d’avidité (le crime fondateur du film étant la cause d’une escroquerie du groupe de tueurs) et d’injustice, la richesse permettant aux pires ordures de s’élever au sein de cette société. Une des méchantes tient ainsi la police à sa botte par la corruption et le dernier des meurtriers est même devenu un notable nanti organisant même un bal pour les européens dans la dernière scène.

Yuki tout en poursuivant un but personnel pallie ainsi à cet état de fait, froide et détachée de tout états d’âme, de toute émotion humaine comme le soulignera un dialogue. C’est du moins le cas en toute fin de film alors que les possibilités d’ailleurs sont esquissées par la relation platonique entretenue avec l’écrivain Ryūrei Ashio (Toshio Kurosawa) mais Yuki devra tout sacrifier pour atteindre son but, cette notion se manifestant physiquement dans l’ultime affrontement. Une fois son destin furieusement accompli que reste-t-il à Yuki, peut-elle survivre à une existence dépourvue de sa raison d’être. 

La conclusion entre résignation et ultime sursaut en forme d’instinct de survie semble nous donner la réponse. Une grande réussite qui rencontrera un grand succès et connaîtra une suite l’année suivante avec la même équipe. Une œuvre culte qui inspirera à Tarantino son diptyque Kill Bill (2003/2004), sorte de relecture US, pop et décomplexée de Lady Snowblood dont il reprend nombre d’idées (la structure en chapitre, le combat final et Lucy Liu directement inspirée du personnage de Meiko Kaji) et les thèmes (le désenchantement de la quête de vengeance de Kill Bill Volume 2).

 Sortie en dvd zone 2 anglais et en bluray anglais incluant la suite et doté de sous-titres anglais

3 commentaires:

  1. Je viens de voir ce film, Tarentino a tout pompé !! Sais-tu s'il a cité ce film comme influence au moment de la sortie de Kill Bill ?? ...ou l'a t-il dit + tard ??

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  2. Non il l'a admis dès la sortie d'ailleurs la bande originale de Kill Bill comporte le morceau Urami Bushi chanté par Meiko Kaji dans Lady Snowblood. Mais effectivement il assume les gros emprunts (la structure en chapitre, le récit de vengeance, le combat final dans la neige) revu à la sauce pop. Après Kill Bill (le Volume 1 en tout cas) c'est son film le plus ouvertement jukebox donc il n'y va pas de main morte effectivement.

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    1. ...et les giclures de sang qui font pshhh !!
      Merci de ces précisions.

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